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L’expression de la souveraineté des États outre-mer à l’époque moderne a connu depuis une vingtaine d’années de nombreux travaux qui en ont renouvelé en profondeur l’approche. C’est à cette histoire que s’attache Helen Dewar dans cet ouvrage consacré à la Nouvelle-France du premier 17e siècle, avant la fondation de la Compagnie des Indes occidentales par Jean-Baptiste Colbert. Mais ce n’est qu’un des fils suivis car son ambition, comme on le voit dans le sous-titre Companies, Law and soverignty in the French Atlantic et dans son introduction, est d’embrasser des travaux relevant de disciplines différentes (économie, politique, droit) et de champs d’études souvent séparés : la formation de l’État moderne, l’expansion européenne, l’histoire de l’empire et le développement à grande échelle des organisations de type capitaliste, qu’elle convoque dans un examen approfondi mettant en lumière les liens unissant toutes ces approches comme autant de facettes d’une même question. Si l’intention n’est pas nouvelle, car elle s’inscrit finalement dans les nouvelles tendances de l’histoire de l’Atlantique, Helen Dewar sait dans le même temps ne pas trop embrasser afin de garder le fil de sa démonstration et de nous livrer une étude avec clarté et exigence. Elle s’appuie pour cela sur une riche bibliographie tant en langue anglaise qu’en langue française, qu’elle sait mobiliser au mieux, et sur de nombreuses archives. Elle donne dans ce livre l’aboutissement de sa réflexion sur la place des compagnies dans l’expression de la souveraineté des États, réflexion menée depuis des années et ponctuée de plusieurs articles dont elle reprend ici une partie des propos. Elle les réagence en suivant une trame chronologique classique découpée en six chapitres, pour bien saisir les tenants et les aboutissants du rôle des compagnies mais aussi les tâtonnements de la monarchie dans sa recherche d’une formule propre à satisfaire ses ambitions.
Le premier chapitre présente le contexte politico-économique et la culture du privilège en France à l’époque d’Henri IV, quand la fin de la guerre civile, la pacification du royaume après l’édit de Nantes (1598) et le rétablissement de l’État permettent le retour des Français en Amérique du Nord. Le privilège constitue l’essentiel de l’appui donné aux entreprises vers la Nouvelle-France et guide les premiers pas de Dugua de Mons et de Samuel Champlain. Le deuxième chapitre est consacré aux rivalités entre les différents acteurs sur le terrain et en métropole, à la question de l’étendue des pouvoirs de Champlain et des associés, ainsi qu’à la place contrariée tenue par le vice-roi de la Nouvelle-France, Condé (p. 66). Les conflits d’autorité constatés illustrent la complexité de l’édifice sinon voulu du moins orchestré par la monarchie. Le troisième chapitre pose la question de la domination maritime et territoriale, car il ne saurait y avoir de territoire ultra-marin sans une domination maritime et une marine. Pour Helen Dewar, ce premier modèle n’atteint pas ses objectifs à cause de la concurrence entre la Compagnie de Montmorency et la Compagnie de Rouen et Saint-Malo et est revu en profondeur par l’État à partir de 1621 (p. 122). C’est tout l’objet du quatrième chapitre. Le doute est jeté sur les protestants qui pourtant occupent une place assez essentielle dans le processus d’expansion outre-mer. Le cinquième chapitre s’ouvre sur la solution trouvée par la monarchie pour remédier à ces désordres, à savoir la fondation en 1627 de la Compagnie de la Nouvelle-France à qui est confiée la conduite sur place de toutes les opérations. Cette période s’accompagne aussi d’un plus grand zèle religieux avec l’affirmation de la catholicité (p. 125) et l’interdiction du passage des protestants en Nouvelle-France – ils seront en 1635 interdits du passage aux Antilles, quoiqu’avec peu de succès. L’évangélisation des Autochtones, qui apparaît depuis le début de l’aventure canadienne comme un marqueur de la présence française, se renforce graduellement pour occuper une place centrale. Le sixième chapitre clôt la réflexion avec une analyse des modes de gouvernance des territoires de la Nouvelle-France, et le constat d’une forme de délégation de souveraineté par la monarchie au profit de la Compagnie, ce qui n’exclut pas certains abus et de nouvelles difficultés.
Plusieurs points soulevés par Helen Dewar méritent l’attention. Nous en retiendrons deux ici. Le premier est le rôle essentiel du cardinal de Richelieu dans cette aventure de la Nouvelle-France, sans parler de son implication directe et financière. Il a voulu très tôt lancer le royaume dans le grand commerce, avec tout ce que cela implique, en favorisant des compagnies universelles. Cela n’a pas rencontré l’écho souhaité. Il s’est donc tourné vers de petites compagnies par espaces géographiques. Faut-il en conclure que la vision globale disparaît ? Il semble bien, à lire Helen Dewar, que cette ambition demeure malgré tout, dans la mesure où le projet maritimo-colonialo-commercial est porté par un seul homme, le cardinal de Richelieu, qui à force de charges et de titres (grand-maître, chef et surintendant général de la navigation et du commerce de France, gouverneur du Havre, entre autres) assure la supervision de toutes ces opérations qu’il a comprises comme complémentaires et indissociables, dûment aidé et secondé dans cette tâche par Jean de Lauson. C’est Richelieu qui donne une forme d’unité à l’action de l’État, sans aller jusqu’à dire qu’il avait de grands desseins, selon l’expression consacrée, ou qu’il avait tout dûment pensé et réfléchi.
L’autre grand mérite de l’ouvrage d’Helen Dewar est de tenter d’explorer l’expression de la souveraineté à plusieurs échelles : atlantique, continentale et régionale, en privilégiant les comparaisons avec les autres compagnies françaises existant en Amérique, notamment sa contemporaine, la Compagnie des îles de l’Amérique (p. 232-233). Leurs structures comparables suggèrent un modèle de compagnie qui accompagne les velléités du pouvoir, qui tout en déléguant à des particuliers la conduite des opérations de peuplement et de commerce, vise à confier des tâches régaliennes comme l’exercice de la justice, la définition des impôts et même le soin de faire des armes et des munitions. Il ne s’agit pas de concession mais véritablement d’une forme de délégation de souveraineté, les compagnies étant en l’espèce les seuls décideurs, nommant tous les agents sur place, qu’ils relèvent du commerce ou de la justice.
Le livre d’Helen Dewar nous invite finalement à comprendre le processus complexe qui conduit la monarchie d’Henri IV à Louis XIV à privilégier pour l’expression de son autorité en matière maritime et commerciale des petites sociétés avec des privilèges puis des compagnies à charte disposant de toute son autorité. La politique française s’avère ainsi construite au fur et à mesure des expériences, mais aussi au fur et à mesure de l’affirmation sur place de son autorité. Il y a un temps des précurseurs et un temps de la consolidation. Les années 1660 apparaissent comme un nouveau tournant signant un contrôle plus direct par la monarchie. Cela montre qu’au-delà de la réflexion générale sur l’exercice de la souveraineté il convient d’interroger les temporalités.