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À l’automne 1660, des rumeurs commencent à circuler à Québec : une jeune femme dans une seigneurie avoisinante est assaillie par des forces magiques à cause d’un homme qui voulait l’épouser mais qu’on a refusé.
Mairi Cowan utilise cette histoire captivante comme point de départ pour explorer et expliquer la vie quotidienne et les mentalités en Nouvelle-France. Le livre suit la jeune femme, Barbe Hallay, de sa naissance en France jusqu’à sa mort à Québec, et plus particulièrement au cours des événements de sa possession démoniaque : son examen par des prêtres qui la déclarent victime de maléfices, son séjour chez les religieuses de l’Hôtel-Dieu et enfin sa guérison par une femme laïque.
Suivant la tradition de la microhistoire, The Possession of Barbe Hallay considère les personnes ordinaires, tels les domestiques et paysans, comme capables d’agir sur le cours de l’histoire. Ce livre réussit non seulement à rendre compréhensible l’histoire particulière de Hallay, mais aussi à toucher plusieurs thèmes historiques d’importance, comme le rôle de la religion dans la vie quotidienne à l’époque moderne, les concepts et pratiques sous-tendant la colonisation et la place des femmes dans la société. Cowan présente clairement les nombreuses sources manuscrites et imprimées sur lesquelles repose son analyse, dont les lettres de Marie de l’Incarnation et les Relations des Jésuites. Cet ouvrage offre un portrait soigneusement détaillé – appuyé par des interprétations soigneusement présentées – de l’histoire de Barbe Hallay et, à travers elle, d’une période importante de l’histoire de la Nouvelle-France.
Chaque chapitre commence avec la vie et l’histoire de Hallay puis débouche sur des questions historiques plus complexes. Le premier chapitre s’ouvre sur le voyage de Hallay et de sa famille de France jusqu’en Nouvelle-France, qui eut probablement lieu en 1659. Les débuts de la colonie et la situation des migrants français, leurs origines et leurs expériences en traversant l’Atlantique y sont discutés. La vie quotidienne en Nouvelle-France est illustrée avec une admirable richesse : la diversité linguistique parmi les colons est évoquée aussi bien que ce qu’ils mangeaient, buvaient, sentaient et entendaient. La question de l’identité religieuse de la colonie est aussi abordée, à savoir l’importance du catholicisme sur le plan politique, mais aussi la grande diversité de praxis au quotidien, compte tenu de la présence des Huguenots et des Abénakis, Haudenosaunés et Wendats ayant leurs propres religions.
Le deuxième chapitre traite du début des problèmes démoniaques de Hallay, qui auraient été causés par les « maléfices » de Daniel Vuil, l’amoureux éconduit. Pendant que Hallay est amenée à l’Hôtel-Dieu, Vuil est emprisonné puis mis à mort. L’histoire de Hallay et Vuil est mise en contexte : dans la colonie de 1660, l’angoisse monte dans un contexte d’hostilités entre colons et certains peuples autochtones et d’une situation démographique précaire, ce qui amène les gens à accorder une importance accrue à la question de la volonté de Dieu et des forces du mal.
Les chapitres 3 et 4 suivent la guérison de Barbe Hallay et discutent des croyances et surtout de la démonologie en Nouvelle-France. On commence par suivre Hallay chez les Augustines de l’Hôtel-Dieu de Québec, où elle est soignée par Catherine de Saint-Augustin, une religieuse présentée comme une guerrière contre les démons et une femme vouée au salut de la Nouvelle-France. Cependant, Hallay n’est pas complètement guérie, et les démons réapparaissent après son retour à Beauport. C’est maintenant la femme du seigneur, Marie Regnouard, qui prend soin d’elle en tant que maîtresse de la maison où Barbe travaille. Elle réussit à expulser les démons en appuyant un os de Jean de Brébeuf contre le corps de Hallay. La mention de Brébeuf et du prêtre jésuite Paul Ragueneau, qui a écrit la Vie de Catherine de Saint-Augustin et a donné l’os à Regnouard, témoigne de l’importance des Jésuites dans l’histoire de Hallay ainsi que dans la société de son temps.
Ses épisodes démoniaques enfin finis, Barbe Hallay mène une vie plutôt normale, et Cowan en profite pour poursuivre l’étude de la vie quotidienne en Nouvelle-France : Hallay occupe quelques emplois dans la seigneurie et à l’Hôtel-Dieu, puis se marie en 1670. Elle construit avec son époux une habitation typique où ils élèvent leurs quatre enfants (en dessous du nombre moyen d’environ sept enfants par famille). Comme dans la vie de Hallay, les angoisses qui tourbillonnaient dans la colonie en 1660 se sont aussi calmées avec une attention accrue de la monarchie française pour la Nouvelle-France. L’évolution des mentalités était aussi en train de reclasser démons et sorcellerie comme des superstitions plutôt que comme faisant partie intégrante des croyances religieuses.
Chose intéressante, surtout pour une oeuvre de microhistoire, on entend à peine la voix de Barbe Hallay elle-même, malgré sa place au centre du récit. Cowan note le fait dans son introduction et sa conclusion et indique que ce silence doit nous faire méditer : Hallay est « one of the mostly silent historical majority, people silent not in their own times but in ours because we are not left with lengthy accounts of their thoughts and actions » (p. 157). Ce livre rend les expériences d’une partie de cette majorité historique plus accessibles et nous permet de mieux connaître l’époque dont elle faisait partie.