Ce livre est une étude stimulante aux multiples facettes mettant en lumière la vie et les expériences des voyageurs et des coureurs des bois français (puis canadiens) opérant dans le bassin hydrographique de la baie d’Hudson entre les années 1660 et 1780. L’auteur soutient de manière convaincante que les « spécialistes canadiens-français de l’arrière-pays » ont joué un rôle déterminant dans les prétentions françaises sur cette région, généralement considérée comme échappant à l’influence impériale. Cet argument est étayé par l’étude détaillée des acteurs locaux qui ont aidé l’empire par la collecte d’informations, le commerce et la diplomatie, toutes choses qui dépendaient des relations établies par des spécialistes avec les Anichinabés, les Cris, les Nakodas et les Dakotas. Au fil des chapitres, le lecteur découvre les tensions entre les spécialistes de l’arrière-pays et les fonctionnaires de la métropole et de la colonie du Saint-Laurent, les politiques impériales « ambivalentes », la fragmentation de l’influence française et, enfin, l’essor concomitant des sociétés métisses dont les peuples ont façonné la culture et l’économie du bassin de la baie d’Hudson et des Grandes Plaines longtemps après la chute de la Nouvelle-France, en 1760. Cet ouvrage avance plusieurs idées importantes. Tout d’abord, Berthelette repense la géographie de l’influence de la France et des sujets français en Amérique du Nord coloniale. Le bassin de la baie d’Hudson n’est pas un espace périphérique mais plutôt une « composante majeure » (a key asset, p. 6) de l’empire français. Les voyageurs et les coureurs des bois pénètrent dans cet espace, nouent des relations avec les sociétés indigènes et font du commerce, tandis que les autorités métropolitaines s’efforcent d’exercer un contrôle plus strict sur ces terres, les sujets français et les sociétés indigènes. Deuxièmement, Berthelette révèle les tensions existant entre les spécialistes de l’arrière-pays et les fonctionnaires français, ce qui remet en question la vision de l’impérialisme français comme un « processus monolithique et hiérarchique » (top-down). Au contraire, « des visions, des perspectives et des programmes rivaux » (p. 7-8) façonnent l’influence française dans la région. Les méthodes et les objectifs divergents des spécialistes de l’arrière-pays et des fonctionnaires impériaux sont à l’origine de la troisième idée avancée par Berthelette : l’explication de l’émergence des communautés métisses par la « tension entre une souveraineté autochtone localisée et les ambitions impériales françaises » (p. 8). Ce faisant, Berthelette remet en question les historiographies plus anciennes du développement social et politique des Métis, qui se focalisent sur la région de la rivière Rouge au 19e siècle. Le premier chapitre explore la période de 1663 à 1714 et explique comment l’empire français fait ses premières incursions dans le bassin hydrographique de la baie d’Hudson en utilisant les connaissances, l’expérience et l’expertise des spécialistes de l’arrière-pays. À l’aide d’études de cas de nature biographique, Berthelette montre comment des hommes comme Pierre-Esprit Radisson et Médard Chouart des Groseilliers passent du statut de « mauvais garçons et contrebandiers » (p. 50) à celui d’agents de l’empire fournissant les informations, les compétences diplomatiques et l’accès aux sociétés indigènes tant désirés par le pouvoir français. La dépendance métropolitaine à l’égard de ces spécialistes est encore illustrée dans le chapitre 2, où Berthelette révèle que les informations géographiques et ethnographiques glanées auprès d’eux ont alimenté les fantasmes français d’une mer de l’Ouest et d’un passage vers le nord-ouest dans les années qui suivent le traité d’Utrecht en 1713. Ces chapitres confirment l’activité française dans la région tout en proposant une interprétation du fonctionnement interne du pouvoir colonial français, à savoir qu’il s’appuie sur des acteurs locaux et des connexions avec les indigènes …
Berthelette, Scott. Heirs of an Ambivalent Empire. French-Indigenous Relations and the Rise of the Métis in the Hudson Bay Watershed. Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2022, 376 p.[Record]
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Jonathan Quint
Université du Michigan
Traduit de l’anglais