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L’historien américain Jonathan D. Spence affirme que « les pays occidentaux finirent tous, tôt ou tard, par avoir des relations avec la Chine, que le contact fût établi par des marchands, des missionnaires, des diplomates, des soldats ou des marins, des médecins, des enseignants ou des techniciens[1] ». Sous la plume des observateurs, on trouve beaucoup de preuves d’un discours de domination ou de rejet, mais également de nombreux signes de curiosité, de respect, d’affection, d’empathie, d’admiration, d’enthousiasme, etc. Ces sentiments seraient caractéristiques de ce que certains chercheurs appellent la « sinophilie ».

Les historiens et les historiennes s’intéressant à l’évolution des perceptions de la Chine sur le long terme réalisent des synthèses qui illustrent le mouvement d’un balancier oscillant entre « sinophobie » et « sinophilie » dans les mentalités européennes et nord-américaines. Ils et elles s’attachent aussi à cerner la dynamique entre cette alternance et les relations sino- occidentales[2]. Pour de multiples raisons, un mouvement sinophile émerge dans les années 1950 et connaît un développement continu à travers le monde jusqu’au début des années 1980. Des groupes « d’amitié » avec la République populaire de Chine (RPC) sont fondés non seulement dans les pays socialistes, mais également au sein des sociétés capitalistes. Les membres, qui se qualifient d’« amis » de la Chine, cherchent à présenter une autre image de ce pays, c’est-à-dire différente de celle véhiculée dans les médias. Au Québec, deux associations d’amitié avec la Chine voient le jour durant la première moitié des années 1970. Leurs membres sont issus des milieux socioéconomiques et politiques très variés : professeurs d’université et de cégep, étudiants (y compris les plus radicaux), travailleurs (à l’usine, en garderie, etc.), journalistes, syndicalistes, etc. Avec les maoïstes, ils forment un cercle de sinophiles qui tentent d’avoir un impact dans les sphères politique, sociale et universitaire du Québec au moyen de liens privilégiés avec la Chine.

Les « étincelles » sinophiles qui constituent l’objet d’étude de cet article sont une fenêtre à travers laquelle nous pouvons appréhender la mutation de la société québécoise dans les années 1970. Notre travail vise d’abord à saisir les changements qui s’opèrent au Québec par le biais de ses rapports avec le monde extérieur, en l’occurrence avec la Chine. Il cherche ensuite à mettre en lumière les actions que ces « amis » de la Chine, sans rôle diplomatique officiel, entreprennent et poursuivent au-delà et en deçà des cadres étatiques, les motivations qui les ont conduits à travailler volontairement pour l’amitié sino-québécoise et, enfin, l’influence de leurs initiatives dans diverses sphères de la société. Finalement, nous tentons de contribuer à l’enrichissement des enquêtes menées parallèlement par des historiens de différents pays sur le mouvement d’amitié avec la Chine à l’échelle nationale ou mondiale[3].

Les travaux de l’historien et politologue Serge Granger sur les relations sino-québécoises montrent la façon dont les missionnaires canadiens- français ont construit et maintenu les premiers liens entre la Chine et la population québécoise[4]. Granger affirme que, dans les années 1960, la sécularisation de la société québécoise a contribué à la « laïcisation » et à l’évolution des mentalités à l’égard de la Chine[5]. On assiste ainsi à une diversification des acteurs s’intéressant à ce pays : leurs intérêts, motivations et niveaux de connaissance, de compréhension et d’engagement sont fort variés. En se penchant sur cette constellation d’acteurs, cet article vise à offrir quelques éléments complémentaires aux travaux existants sur le rapport du Québec à la Chine dans les sphères religieuse, politique[6], littéraire[7] et médiatique[8].

Notre analyse s’ouvre sur un examen de la politique internationale chinoise et l’évolution des associations d’amitié avec la Chine à travers le monde, avant de présenter le contexte dans lequel se sont regroupés les sinophiles du Québec au début des années 1970. Elle se penche ensuite sur les deux principaux groupes d’amitié à Montréal et sur le rôle des maoïstes au sein de ceux-ci.

Les archives personnelles des acteurs non étatiques du Québec sont les éléments les plus importants de notre corpus. Notre enquête s’appuie en effet sur des sources documentaires provenant de plusieurs fonds privés, notamment celui de Céline Lamontagne et la collection Paul T.K. Lin. Membre de l’association Amitiés Québec-Chine de 1975 à 1976 et de la Société Canada-Chine de 1976 à 1980, Céline Lamontagne a participé activement au travail d’amitié avec la Chine. Ses archives témoignent de l’évolution des associations d’amitié au Québec et de leur rôle dans les relations sino-québécoises[9]. Quant à la volumineuse collection Paul T.K. Lin (« Lin Papers ») conservée à Hong Kong, la correspondance, les articles personnels, le matériel de référence et les photos qu’elle contient permettent de saisir la constitution et l’évolution d’un réseau sinophile au Québec durant le séjour de Lin à Montréal (1965-1982). Cet article s’appuie en outre sur les fonds des associations d’amitié[10], des groupes maoïstes et des institutions de savoir[11]. Enfin, nous aurons recours aux témoignages publiés (autobiographies, souvenirs, etc.) d’individus ayant contribué à la promotion de l’amitié avec la Chine en sol québécois. Ces sources viennent compléter les informations que nous avons recueillies dans les fonds d’archives personnelles.

Influencer et gagner les peuples

Durant la guerre froide, hors des réseaux diplomatiques officiels, des canaux non conventionnels, autrement dit parallèles, constituent une méthode utilisée par plusieurs pays des deux côtés du rideau de fer pour gagner « les coeurs et les esprits[12] » de populations étrangères. Peu de temps après la fondation de la RPC en 1949, des organismes sont créés par le gouvernement pour cultiver l’amitié et approfondir la compréhension mutuelle entre les peuples du monde entier et celui de la Chine.

Dans son discours intitulé « Notre politique et nos tâches diplomatiques » (pinyin[13] : « women de waijiao fangzhen he renwu »), prononcé le 30 avril 1952, le premier ministre Zhou Enlai affirme qu’il faut unir les peuples du monde, non seulement ceux des pays frères, mais aussi ceux « des anciens pays coloniaux et semi-coloniaux et des pays capitalistes ». Il précise : « Mais dans le cas de la diplomatie, c’est la relation entre États et États qui est l’objet. La diplomatie s’exerce sous la forme de relations d’État à État, mais l’objectif fondamental reste d’influencer et de gagner des peuples, ce qui est dialectique. Il est important d’être clair sur ce point[14]. »

Durant son long mandat, Zhou souligne plus d’une fois que les activités diplomatiques ne concernent pas uniquement le gouvernement, mais que le peuple dans son ensemble a le droit d’y participer : « Les relations entre les deux peuples ne peuvent pas être menées uniquement par des diplomates professionnels, mais doivent s’appuyer davantage sur les deux peuples eux-mêmes[15] », explique-t-il. En vertu de cette stratégie, des activités visant à « promouvoir les relations entre les gouvernements par le biais d’échanges entre les peuples » (« yi min cu guan[16] ») sont organisées. Dans l’historiographie chinoise, cette politique est connue sous le nom de « ren min wai jiao » (人民外交, littéralement « diplomatie du peuple[17] »), qui désigne les activités extérieures de la RPC basées sur la théorie de l’analyse de classe, sous les auspices des agences extérieures du Parti communiste chinois (PCC) mais au nom d’organisations populaires, avec pour cibles principales des militants politiques étrangers politiquement crédibles et des organisations non gouvernementales, et dans le but d’établir des relations amicales entre les peuples et un front uni dans la lutte politique internationale[18]. Un exemple typique de l’application « expérimentale » de cette politique par le gouvernement chinois est ses tentatives de laisser le « peuple » japonais « tout faire bien avant l’établissement de relations diplomatiques gouvernementales[19] ».

En fait, les voyages en Chine favorisent cette promotion du gouvernement par le peuple. Le tourisme a une importance politique et économique considérable, son but étant de faire connaître les réalisations de l’État et du peuple chinois et de dissiper les malentendus à propos de la Chine causés par la confrontation entre les deux camps. Sur la proposition de Wang Jiaxiang, directeur du Comité central de pilotage des activités internationales, Zhou Enlai décide de créer, le 15 avril 1954, l’agence de voyage Lüxingshe comme principal organisme d’accueil des touristes étrangers. Avant 1960, ce sont surtout des pays socialistes qui sont visés, l’accueil de touristes des pays capitalistes (principalement des communistes et des partisans de la gauche) étant limité et sélectif[20]. L’espoir est qu’une fois que ces personnes importantes auront constaté la viabilité de la société chinoise rouge ou, à tout le moins, la fermeté de l’emprise du PCC, elles ne pourront manquer de rapporter que la RPC n’a rien d’éphémère et qu’il est peut-être temps de reconnaître la place qui lui revient parmi les nations. Toujours en 1954, l’Association du peuple chinois pour l’amitié avec l’étranger (zhong guo ren min dui wai you hao xie hui, ou you xie) est mise en place. Elle fait partie d’un système de communication internationale[21], qui incorpore également l’agence de presse Xinhua (Chine nouvelle), la station Radio Pékin, la maison Éditions en langues étrangères et l’agence de voyage Lüxingshe[22]. Les premiers groupes d’amitié avec la RPC voient le jour dans les années 1950. Une association d’amitié avec la Chine est née le 1er octobre 1950 au Japon. Proche du parti socialiste du Japon, son objectif déclaré est de « promouvoir la paix et l’intérêt mutuel entre les deux pays, en utilisant les échanges et en faisant la promotion du commerce », ainsi que de « réfléchir profondément à la vision erronée du peuple japonais à l’égard de la Chine et contribuer à la paix dans le monde[23] ». La plupart des associations d’amitié avec la Chine sont fondées par des individus qui ont séjourné en Chine, au Royaume-Uni (1950), en Suède (1952)[24], au Chili (1952), en France (1952), en Nouvelle-Zélande (1952), au Luxembourg (1956) et au Mexique (1957). Dans la plupart des cas, ces associations sont issues de la rencontre des milieux universitaire (en particulier des sinologues) et de gauche. Toutefois, les travaux existants montrent que les relations d’amitié ont des aspects très variés d’un pays à l’autre. Par exemple, en France, l’Association des amitiés franco-chinoises (AAFC) affirme sa volonté et sa capacité de contribuer à la création de conditions favorables à l’établissement de relations diplomatiques entre la France et la Chine, tandis qu’en Suisse, le principal objectif des associations est de cultiver une attitude plus positive à l’égard de la Chine afin de contrer la surveillance stricte exercée par le gouvernement suisse sur les activistes de gauche[25].

Au Canada, la première association d’amitié avec la RPC est fondée en 1964 à Vancouver par Jack Scott, membre du Parti communiste du Canada. Lors du schisme sino-soviétique en 1963[26], ce dernier se range du côté de l’URSS, ce qui provoque un mécontentement de la part des membres prochinois. Ces derniers créent donc la Canada-China Friendship Association (CCFA) par réaction au positionnement prosoviétique de leur parti et aussi par sympathie envers la Chine. Lors de sa fondation, la CCFA est la première de ce genre en Amérique du Nord[27], et le gouvernement chinois prend des initiatives pour rejoindre ces premiers « amis » de la Chine[28]. Plusieurs membres importants sont invités à faire un voyage en Chine. Ainsi, par l’intermédiaire de la CCFA, la Chine développe un canal qui la relie à la population nord-américaine. Du côté canadien, cette organisation offre une plateforme à ceux qui répondent à nos critères de « sinophilie », du Canada et d’ailleurs[29]. Ces sinophiles organisent des conférences et d’autres types d’activités portant sur la Chine et permettant aux publics intéressés de s’informer à son sujet par des moyens autres que les médias.

Le 13 octobre 1970, le Canada et la RPC établissent des relations officielles, en promettant un échange d’ambassadeurs dans les six prochains mois. La visite historique du premier ministre Pierre Elliott Trudeau en 1973 suscite un intérêt important pour la Chine, en particulier chez les universitaires, les étudiants et les professionnels canadiens. Elle conduit rapidement à la formation d’associations ou sociétés d’amitié Canada-Chine à travers le pays, dirigées par des personnalités telles que James Endicott[30]. Pei-Chih Hsieh joue un rôle déterminant dans la création de la section saskatchewanaise de la CCFA[31].

Pour comprendre le contexte dans lequel est né le premier groupe d’amitié avec la Chine, il est important de revenir sur un événement qui se tient à Montréal en 1972, après la reconnaissance diplomatique, mais avant la visite en Chine du premier ministre Trudeau en 1973.

Le pavillon de la Chine communiste à l’exposition Terre des Hommes (1972)

Inaugurée en 1968 par le maire Jean Drapeau, l’exposition Terre des Hommes s’inscrit dans le prolongement de l’exposition universelle de Montréal, communément appelée « Expo 67 ». Celle-ci ayant connu un véritable succès, la vocation du site fait l’objet de maints questionnements et débats. Des promoteurs suggèrent d’en faire un complexe immobilier luxueux, tandis que d’autres proposent de transformer les îles en campus international. C’est le concept du maire Jean Drapeau qui l’emporte. Le site devient ainsi une exposition permanente qui vise à attirer, comme l’explique Drapeau dans un entretien avec le journaliste Claude Jean Devirieux, « les touristes et, surtout, la jeunesse[32] ». L’exposition Terre des Hommes débute le 17 mai 1968 et se tient tous les étés jusqu’en 1978.

Le pavillon chinois d’Expo 67 a été présenté par le gouvernement de Taïwan, auquel restait fidèle une bonne partie de la communauté chinoise de Montréal. Lorsque les invitations ont été lancées en novembre 1963, la République de Chine, alors à Taïwan, est le dix-septième pays à confirmer sa présence. Aucune invitation n’a été envoyée à Pékin, sous prétexte que seuls les pays avec lesquels le Canada avait des relations diplomatiques pouvaient participer à l’exposition. Dans Portrait de l’Expo, Robert Fulford fait la remarque suivante : « On a donné comme excuse officielle que le Canada ne reconnaissait pas officiellement Pékin, la Chine rouge ne pouvait être invitée par les voies diplomatiques normales. Ceci pouvait paraître curieux à ceux qui avaient remarqué que le manque de voies diplomatiques n’avait pas empêché le Canada de vendre à la Chine pour quelques centaines de millions de dollars de blé[33]. » Après la normalisation des relations diplomatiques entre le Canada et la RPC, celle-ci récupère le pavillon chinois de l’exposition Terre des Hommes. Dès le 29 août 1971, un membre du cabinet du maire de Montréal confirme que des pourparlers sont entamés depuis déjà plusieurs semaines avec le chargé d’affaires de l’ambassade de la RPC à Ottawa[34]. Il précise d’ailleurs qu’une entente définitive à ce sujet interviendra dans les prochaines semaines. Cette information est corroborée par un porte-parole du gouvernement du Québec qui a accepté de subventionner l’exposition à hauteur de quelque 10 millions de dollars, répartis sur trois ans[35].

La participation de la RPC est finalement confirmée par Jean Drapeau le 27 avril 1972. La Chine populaire va occuper « ce que le maire a diplomatiquement appelé “le pavillon oriental” », comme le rapporte un journaliste de La Presse[36]. Le gouvernement chinois a l’intention de reprendre le pavillon occupé par Taïwan, dit de « la Chine nationaliste » en 1967, 1968 et 1969, alors que la Ville de Montréal aurait préféré lui offrir l’ancien pavillon de l’Ontario[37]. « Tout indique que c’est à l’insistance de la Chine de Mao que celle-ci sera logée dans le pavillon autrefois occupé par Taiwan[38] », affirme le journaliste. Enfin, le maire de Montréal souligne que « c’est par des voies diplomatiques que la Chine a été invitée à participer[39] ». La Ville de Montréal se félicite de ce « premier geste concret posé par la République populaire chinoise, en terre d’Amérique[40] » :

Pour sa première participation à Terre des Hommes, la République Populaire de Chine a rassemblé dans son pavillon un mélange exceptionnellement réussi de culture classique et des métiers contemporains qui font la force de ce pays de 700 millions d’habitants. L’un des traits dominants de ce pavillon est le fait que tous les artistes contemporains des provinces de Chine ont été avisés que leurs travaux étaient envoyés au Canada, à Terre des Hommes 1972. On invite de plus chaque visiteur à donner son opinion sur le style et la qualité de la participation chinoise dans un livre placé à cet effet, bien à la vue du public[41].

Pour l’occasion, le pavillon chinois est décoré de drapeaux nationaux, de lanternes de papier et de matériaux décoratifs sur fond ivoire et blanc cassé. L’extérieur est entièrement repeint d’un jaune doux. À l’intérieur du pavillon, toute une section du rez-de-chaussée est consacrée à la peinture classique chinoise du 15e siècle pendant la dynastie Ming. De l’autre côté, 16 tableaux donnent à voir les paysages et certains centres de Pékin, Shanghai, Yan’an[42] et Shaoshan[43], ainsi qu’une représentation de la grande muraille de Chine. Plusieurs peintures classiques de grands maîtres, tels que Xia Chang (1388-1470) et Xu Wei (1521-1593), portent « le sceau d’authenticité que leur ont toujours reconnu les experts en art depuis des temps immémoriaux[44] ». Les peintres chinois ont ajouté « la touche énergique de la Révolution culturelle[45] » à la dextérité des vieux maîtres. Les résultats en sont probants dans des oeuvres comme La ligne est complétée et Plein d’enthousiasme. Le deuxième étage du pavillon est entièrement consacré à l’artisanat, dont on trouve plus de 320 produits :

La beauté et la durabilité des articles d’artisanat chinois sont quasi-légendaires. Que dire des fameuses pièces sculptées sur corail dont quelques-unes exigent six mois de travail ! La broderie, la sculpture sur bois, les tableaux faits à l’aide de plumes, la sculpture sur écaille, les tissus imprimés, la porcelaine, la poterie et l’ivoire sont autant de réalisations qu’il faut voir pour comprendre l’immense patience des Chinois[46].

Le pavillon comprend évidemment quelques oeuvres consacrées au Dr Norman Bethune[47], le médecin canadien devenu héros folklorique auprès du peuple chinois à la fois pour son travail et pour son humanisme. Dans un autre coin du deuxième étage, les visiteurs peuvent admirer une oeuvre d’art d’un genre différent : il s’agit d’une grappe de 32 balles sculptée sur ivoire et représentant chacune un modèle différent. Dans toute la Chine, « cinq ou six personnes seulement sont spécialisées dans ce genre de sculpture[48] », rappelle la Ville de Montréal. Enfin, l’ancien restaurant est converti en théâtre où des films, des pièces de théâtre et des documentaires sont présentés[49].

Le journal Dimanche-Matin affirme que « contrairement à ce qu’on aurait cru, le pavillon de la Chine communiste fait peu de place à la propagande communiste. Il se contente de présenter un panorama de l’ancienne et de la nouvelle Chine au moyen de peintures et d’oeuvres d’artisanat[50] ». Chang To, directeur du pavillon chinois, met l’accent sur le caractère « culturel » de l’exposition chinoise :

Le plus important, c’est quand nous avons appris que ce serait une exposition culturelle. Nous voulions encourager le flux de la culture. Cette fois-ci, nous sommes venus pour apprendre. … Nous aimerions organiser d’autres expositions. Nous avons remarqué que beaucoup de visiteurs américains disent vouloir des expositions similaires en Amérique du Nord, par exemple à New York. Je vous assure que cela sera considéré très favorablement en Chine[51].

Dans cette même entrevue avec le journal Sunday Express, Chang explique d’ailleurs que si la RPC a accepté de participer à l’exposition, c’est d’abord parce que « le maire nous a invités plusieurs fois[52] ». Toutefois, il ne semble pas vouloir répondre aux questions politiques qu’on lui pose, ni exprimer ses propres opinions sur la culture occidentale.

Au service du syndicalisme et de l’indépendance du Québec, l’hebdomadaire Québec-Presse porte un autre regard sur le pavillon chinois. Ce dernier est excellent, commente Virginie Boulanger, l’auteure d’un reportage intitulé « À travers ses oeuvres d’art, percer les mystères de la Chine contemporaine », paru en août 1972. Elle affirme « qu’à l’encontre des autres, le peuple et la classe ouvrière y sont glorifiés ». Et elle ajoutera que « c’est l’indice d’une ère nouvelle qui s’ouvre pour tous les peuples du monde[53] ». Pour cette première exposition de la Chine en sol nord-américain, elle aurait voulu voir « la représentation concrète, et non intellectuelle comme c’est le cas, de la vie de tous les jours des Chinois[54] », et ce qui différencie cette vie d’aujourd’hui de celle de l’ancien régime. Toutefois, à ses yeux, le pavillon chinois demeure intéressant dans son ensemble, et elle constate que la lecture des cahiers mis à la disposition des visiteurs est très éclairante. Leurs commentaires, qu’elle a passés en revue, permettent de connaître les perceptions du public à l’égard de l’exposition chinoise et de la Chine :

Nous y avons plongé et recueilli les propos qui semblent les plus justes en même temps que les plus critiques, laissant de côté les déclarations dithyrambiques à l’égard du peuple chinois, de son chef Mao Tsé-Toung et du pavillon lui-même… « Nous sommes d’accord avec Mao et le pavillon est une magnifique découverte » et « Ce pavillon est une application vivante de la pensée de Mao Tsé-Toung dans l’art. Qu’il soit le symbole de l’amitié éternelle entre les peuples chinois et québécois ! » On y trouve parfois une note d’insolence : « Où est passé Lin Piao ? », mais jamais d’injures[55].

Il n’est pas sans intérêt d’observer que Virginie Boulanger a des attentes élevées quant à l’accueil que l’organisateur chinois réserve à l’invité québécois. En témoigne le fait qu’elle insiste sur un point faible, déplorant qu’il n’y ait pas dans le pavillon un seul hôte ou une seule hôtesse qui puisse parler le français – « la langue des Québécois » –, la langue de communication étant l’anglais, « langue seconde et celle du colonisateur[56] ». D’après les commentaires relevés dans les cahiers, la journaliste n’est pas la seule à se montrer déçue de ce manque d’attentions important de la part des Chinois. On peut toutefois affirmer que, dans leur ensemble, les propos de Virginie Boulanger semblent très émotifs, ce qui prouve un réel attachement sentimental à la Chine et au peuple chinois.

Quant à la remarque sur le respect de la langue des Québécois, elle est on ne peut plus juste quoi qu’en disent certains visiteurs complexés qui, trop sensibles, l’ont qualifiée d’injurieuse et de grossière. Peut-on reprocher à des Québécois qui se réjouissent de l’apparition de la République populaire de Chine en terre québécoise d’être désappointés de retrouver chez les fils du libérateur Mao la même réplique sinon la même attitude que chez les Anglophones : « Sorry, I don’t speak French ». Ce n’est pas une question de fierté nationale, mais de respect de tout un peuple qui essaie de se libérer[57].

Quant au contenu du pavillon, Boulanger estime qu’il a satisfait la plupart des visiteurs qui, « si l’on s’en tient aux commentaires entendus à la sortie, sortent enchantés de leur incursion dans le pavillon du pays le plus mystérieux et le plus attachant de l’heure[58] ». Bien qu’elle ait été écourtée par une grève du syndicat des cols bleus de la Ville de Montréal, l’exposition Terre des Hommes de l’été 1972 n’en a pas moins connu un succès que certains journaux locaux décrivent comme fort satisfaisant[59]. En effet, plus de 3 millions de visiteurs s’y sont rendus. Parmi tous les pays participants, la RPC a été considérée comme l’une des deux vedettes, l’autre étant la Suisse. Pendant les dix premiers jours (du 20 au 30 juillet), le pavillon chinois a reçu 68 000 visiteurs. Le 12 août, 200 000 personnes l’avaient visité[60].

À ceux qui aimeraient approfondir leur connaissance de la Chine communiste, la journaliste de Québec-Presse donne ce conseil :

Tous ceux qui sont restés sur leur faim après la visite de l’exposition de peintures et d’objets artisanaux de la République [populaire] de Chine et qui veulent connaître la Chine au jour le jour, autrement que par l’AFP [Agence France-Presse] et UPI [United Press International], apprécieront la lecture de La Chine en construction. Mensuel d’une cinquantaine de pages, La Chine en construction est publié à Pékin en français, en anglais, en espagnol, en arabe et en russe par l’Association chinoise du Bien-être. Abondamment illustré, ce mensuel comporte une quinzaine de reportages, d’articles, d’analyses et de renseignements sur des sujets très variés[61].

La Chine en construction est une revue créée peu de temps après l’établissement de la RPC, d’abord en version anglaise sous le titre China Reconstructs. Le premier numéro voit le jour en 1951, avec pour rédacteur en chef Israel Epstein, journaliste et écrivain juif polonais naturalisé chinois. La version française paraît, pour la première fois, en 1963. Les reportages montrent les changements survenus en Chine après 1949, mettant l’accent sur divers aspects du socialisme chinois. Au Québec, plusieurs groupes proposent à leurs membres la lecture du mensuel, estimant qu’il constitue une source fiable d’informations permettant de connaître les réalisations du peuple chinois sans l’intermédiaire des médias considérés comme bourgeois. Une autre publication, Pékin Information, lancée en 1958, joue le même rôle.

L’édition et la diffusion de ces magazines d’information font partie de la propagande communiste chinoise. La politique d’orientation des médias en langue étrangère que la Chine adopte nécessite une division plus poussée du contenu des articles de propagande. Le premier ministre Zhou Enlai souligne cette nécessité, affirmant que chaque périodique doit posséder ses propres caractéristiques et publics cibles. Avec son langage hautement politique et sa focalisation sur les affaires étrangères, Pékin Information a pour objectif de capter à la fois l’attention des communistes et celle des personnalités pouvant avoir une grande influence dans leurs propres sociétés. Dès les débuts du magazine, cette orientation était clairement indiquée.

Quant à La Chine en construction, il est plutôt destiné à des « membres des masses intermédiaires » (zhong jian qun zhong)[62]. Ces derniers n’adoptent pas une position marxiste. Comme ils ont un niveau culturel et éducatif considéré comme moyen et n’ont pas de connaissances substantielles sur la Chine, ils sont plutôt censés faire preuve de curiosité et de disposition à apprendre. Des enquêtes confirment que le lecteur moyen des magazines chinois en langues étrangères est issu d’un milieu petit-bourgeois, composé principalement d’étudiants, d’enseignants, de médecins, d’ingénieurs, de journalistes et de quelques rares paysans et travailleurs.

Au début des années 1970, les éléments dits intermédiaires des pays capitalistes semblent constituer la cible la plus importante que la propagande chinoise tente d’atteindre par l’intermédiaire de diverses publications et activités culturelles. Cette stratégie a porté ses fruits au Québec, comme le démontre l’appréciation des visiteurs qui se sont dits impressionnés, à la sortie du pavillon chinois, par les acquis du peuple chinois après 1949. En effet, dans les années 1960 et au début de la décennie suivante, on distingue deux sensibilités à l’égard de la Chine. La première émane d’universitaires anglophones de l’Université McGill, lesquels éprouvent généralement de la sympathie pour la Chine qui, jusqu’au début des années 1970, reste isolée de l’Amérique du Nord. Malgré la diversité de leurs rapports avec la Chine, ils partagent la volonté de véhiculer une image du pays différente de celle que présentent les médias occidentaux. Ils s’efforcent de critiquer l’interprétation occidentale du passé et du présent de la Chine[63]. La deuxième sensibilité fait davantage preuve de compassion vis-à-vis du peuple chinois et manifeste elle aussi une grande méfiance à l’égard de l’interprétation des réalités chinoises que proposent les médias capitalistes occidentaux.

La distinction entre les deux sensibilités se trouve dans leur vision respective des rapports entre la Chine et les pays occidentaux capitalistes. Les universitaires ont pour but, notamment, de contribuer à la coexistence et à la compréhension mutuelle entre la Chine et l’Occident. Ils se réjouissent du fait que le Canada soit considéré comme un pays du second monde, conséquence de la faveur dont jouit le Canada en Chine grâce à Norman Bethune. Autrement dit, ils se préoccupent davantage des relations sino-canadiennes, tant à l’échelle étatique qu’entre les sociétés civiles. La deuxième perspective, qu’on trouve essentiellement (mais pas exclusivement) au sein de la gauche québécoise et, en particulier, de la gauche révolutionnaire, met plutôt l’accent sur la contestation et le renversement du capitalisme au Québec. La Chine est considérée avant tout comme un pays du tiers-monde qui a mené des combats acharnés pour se libérer des dominations occidentales. La position anti-impérialiste du gouvernement chinois attire certains Québécois dont l’intérêt pour la Chine s’inscrit dans cette perspective. À ce moment, il est encore très peu question de maoïsme.

Étant donné le succès qu’a connu le pavillon chinois en 1972, la négociation entre la Ville de Montréal et le gouvernement chinois fait couler beaucoup d’encre au cours des mois précédant l’ouverture de l’exposition Terre des Hommes en 1973. La participation de la Chine populaire devient une question presque cruciale pour l’événement dans son ensemble. Le quotidien The Gazette rapporte qu’un porte-parole de l’ambassade de Chine à Ottawa a affirmé que la RPC ne participerait pas à l’exposition. Dans un article que fait paraître le Journal de Montréal, le directeur du Service des relations publiques de la Ville de Montréal, François Zalloni, qualifie de « fantaisiste » cette « rumeur lancée par le quotidien de langue anglaise[64] ». Dans un reportage du journal Le Devoir, Zalloni souligne d’ailleurs que la question de la participation de la Chine n’est pas encore réglée. « La Ville est toujours en négociation avec la Chine », explique-t-il : « Il est possible que la décision de ce pays soit négative mais ce n’est pas certain. » Le même article rapporte qu’un autre porte-parole de la Ville déclare que les pourparlers avec la Chine se révèlent très lents. « Quoi qu’il arrive », ajoute-t-il, « il y aura cependant une participation chinoise à Terre des Hommes. Si, en effet, la Chine continentale se retire, une autre organisation chinoise la remplacerait et offrirait une exposition à caractère oriental. Il ne s’agit pas toutefois de la Chine nationaliste mais d’une compagnie privée[65].  » Ainsi, la Société Canada-Chine (SCC) voit le jour.

Au croisement de la politique et de la culture : l’admiration sous toutes ses formes

À la différence de la CCFA de Vancouver, la création du premier groupe d’amitié au Québec en 1973 n’est pas le résultat des rivalités entre les prosoviétiques et les prochinois au sein du mouvement communiste. Fondé sur une base qui n’a que très peu de rapport avec la politique intérieure canadienne, ce groupe a pour principe de ne pas intervenir dans les affaires internes canadiennes ou chinoises. Il ne s’est d’ailleurs jamais qualifié de porte-parole du gouvernement chinois, bien que ses relations avec ce dernier aient éventuellement suscité des soupçons quant à la nature de son travail.

Issus de milieux sociaux très variés, « un petit groupe de Montréalais[66] » se réunit, en juin 1973, autour de la SCC, fondée sous les auspices de Paul T.K. Lin, directeur du Centre for East Asian Studies de l’Université McGill, avec la collaboration des représentants de la RPC à Ottawa. Les objectifs de la société sont les suivants : faire naître une amitié active et durable entre les peuples du Canada et de la RPC, développer et approfondir les connaissances au sujet des progrès et réalisations de la Chine, favoriser les échanges dans les domaines de la culture, de l’éducation, des sciences et des sports[67].

Né au Canada de parents chinois, Lin a fait ses études dans son pays natal et aux États-Unis avant de s’installer dans la nouvelle Chine en 1950 et d’y demeurer pendant quinze ans. En septembre 1964, à la veille du déclenchement de la révolution culturelle prolétarienne, Lin décide de quitter le pays avec sa famille pour retourner au Canada. En septembre 1965, il intègre l’Université McGill à titre de professeur adjoint et y donne trois cours d’histoire : l’histoire de la Chine, la transformation moderne de l’Asie de l’Est aux 19e et 20e siècles et l’histoire du Japon[68].

Paul Lin arrive à McGill à une époque où la Chine populaire est « pratiquement un mystère en Occident, un mystère qui suscite un grand intérêt de la part de la communauté étudiante[69] », selon le principal de l’université. Après son arrivée, il s’exprime sur différents aspects de la Chine auprès de divers publics montréalais[70].

Dans les cours qu’il donne à McGill, Paul Lin propose aux étudiants d’essayer de trouver dans le passé des éléments pouvant aider à comprendre les sujets plus récents. Il les invite par exemple à réfléchir à l’impact de l’établissement des communes populaires sur les valeurs, habitudes et attitudes des paysans chinois, afin de mesurer s’il y a un vrai changement de conscience chez ces derniers à la fin des années 1950. Alors que les tensions de la guerre froide s’intensifient et que l’avenir de la Chine, au moment de la révolution culturelle, devient de plus en plus opaque, Lin insiste sur le fait que « seuls des dialogues objectifs et empathiques, et non des cris d’affrontement ignorant la dynamique des changements historiques, peuvent influer sur la compréhension de l’histoire[71] ».

Cette attitude respectueuse et sympathique envers le « terroir » chinois a pu influencer ses étudiants. En effet, l’une des contributions principales de Lin est d’avoir fortement marqué l’appréhension de la réalité chinoise de ses étudiants. Plusieurs francophones deviendront, dans les années 1970, des personnes ressources pour les groupes populaires ou politiques québécois manifestant un vif intérêt envers la société chinoise. D’ailleurs, les contacts internationaux que Lin possède lui permettent non seulement de jouer un rôle d’intermédiaire entre les acteurs étatiques américains, canadiens et chinois[72], mais également d’inviter à Montréal un nombre important de sinophiles, surtout des spécialistes en études chinoises des États-Unis, du Royaume-Uni, de France et de Chine, pour partager leurs connaissances et expériences avec divers publics intéressés.

En tant que Chinois né au Canada, Lin cherche continuellement à établir un pont entre ses deux identités. Comme il l’a exprimé dans son premier discours public, prononcé à l’âge de dix-huit ans : « Je suis fier d’être Canadien – de jouir de la liberté de pensée, de parole et de conscience – et je suis fier d’être Chinois – d’appartenir à une civilisation vénérable, riche de cinq mille ans de traditions glorieuses[73]. » Ce double héritage lui assure une excellente compréhension des deux cultures et la capacité de construire un pont entre les deux pays, à l’échelle tant étatique que civile. En fait, Paul Lin fournit des ressources scientifiques et humaines à tous ceux qui désirent en connaître plus sur la Chine, que ce soient des hommes d’affaires, des universitaires ou des activistes au sein de mouvements sociaux et politiques. Le rôle de pont qu’il joue auprès de divers acteurs, étatiques ou non, a pour effet de faciliter la communication entre ces derniers et de créer autour de lui une communauté de sinophiles partageant une même sympathie pour la Chine.

À sa fondation, la SCC compte 107 membres dont la grande majorité sont des Montréalais d’origine canadienne-anglaise et chinoise (et de langue anglaise)[74]. Sur la liste des premiers membres figurent les noms de personnes qui contribuent au développement des relations sino-canadiennes depuis les années 1960 : des médecins, des professeurs, des étudiants en études asiatiques, un conseiller municipal de Montréal, des personnes étant déjà allées en Chine[75]. Au début, la SCC se donne le mandat de présenter une image plus positive de la RPC, de même que de favoriser les échanges entre les gouvernements et les citoyens canadiens d’origine chinoise.

La SCC constitue un pont entre les acteurs étatiques et les acteurs autonomes, c’est-à-dire les individus ou groupes d’intérêt qui n’ont pas de rôle diplomatique officiel. Le gouvernement chinois a recours à la SCC, comme aux autres organisations d’amitié qui existent dans les pays tels que les États-Unis, la France ou le Royaume-Uni, afin de représenter la Chine au Canada, et ce, en théorie, de manière « autonome ». En réalité, cette représentation officieuse bénéficie toujours du soutien de Pékin et, plus directement, de ses représentants à l’étranger.

Malgré les prétentions de la SCC, parler de la Chine a nécessairement une dimension politique dans le Québec des années 1970. Ses objectifs impliquent une défense du socialisme à la chinoise. La collaboration de la SCC avec l’État chinois éveille inévitablement des soupçons quant à la nature de son travail. Des commentaires négatifs émanant de plusieurs visiteurs du pavillon chinois en 1973, conçu par la SCC, illustrent bien cette méfiance : « Exposition assez bien équilibrée entre l’ancienne et la nouvelle Chine. J’aurais aimé avoir plus de documents sur la Chine ancienne – la propagande de Mao est un peu trop présente. Tous les livres portent sur la nouvelle Chine et aucun sur l’histoire ou l’art ancien[76] » ; « En finir avec le communisme[77] ! » ; « Trop de propagande[78] » ; « Beaucoup de mensonges[79] ». Bien que le pavillon chinois demeure le pavillon le plus visité à Terre des Hommes entre 1972 et 1974[80], les critiques n’ont jamais manqué de se faire entendre. Certains craignent l’effet de la « subtile propagande maoïste et communiste » sur les visiteurs, et que les réponses données aux questions de l’auditoire soient, bien que franches, « toujours entachées de propagande révolutionnaire léniniste-marxiste en faveur du régime[81] ».

En réalité, il existe bel et bien au sein de la SCC des membres de conviction maoïste, mais se voulant non politique, l’association ne mentionne pas l’allégeance de ses membres dans ses publications. Plusieurs de ses rapports relèvent néanmoins l’existence d’éléments politiques dans le groupe dès 1975. La SCC annonce ainsi, lors de son assemblée générale tenue le 27 octobre 1975, l’expulsion de plusieurs membres, pour avoir agi contre les buts de l’organisation. Une source révèle d’ailleurs que, dans la première délégation de la SCC en Chine, il y a des étudiants radicaux anglophones du Mouvement révolutionnaire des étudiants du Québec, dont Herman Rosenfeld, qui sera nommé en 1975 rédacteur en chef de la Revue Canada-Chine. Ce rapport de l’association Amitiés Québec-Chine (AQC) montre bien que la SCC n’est pas la seule organisation à prétendre représenter la Chine au Québec.

Parallèlement à la naissance de la SCC, plusieurs Québécois mettent en place, à leur retour d’un voyage d’un mois en Chine[82], « un cercle d’étude sur la Révolution chinoise (Les Amitiés Sino-québécoises) », qui est ensuite transformé en « un groupe de travail visant à développer la compréhension mutuelle et l’amitié entre la population du Québec et le peuple de Chine[83] ). Les AQC affirment clairement que leur action doit être comprise dans la perspective d’une transformation socialiste de la société québécoise. Cette différence de nature entre la SCC, qui s’adresse davantage à l’élite montréalaise dans une perspective diplomatique, et les AQC, qui s’adressent plutôt à la classe ouvrière, est souvent soulignée à l’époque[84].

Les AQC s’inspirent visiblement d’initiatives similaires en France et aux États-Unis, que ce soit l’Association des amitiés franco-chinoises ou la Society for Anglo-Chinese Understanding[85]. Ayant pour but de « susciter et de renforcer le courant de sympathie » entre le Québec et la RPC, l’association affirme que « cette amitié grandissante entre les peuples chinois et québécois ne peut que favoriser le développement des forces progressistes au Québec et dans le monde, encourager la paix entre les nations et préparer un monde meilleur[86] ».

L’orientation des AQC fait écho à une frange de membres (souvent francophones), de la SCC dont les sentiments sinophiles s’expliquent par leurs revendications indépendantistes et socialistes pour la société québécoise. Ces membres, bien que minoritaires lors de la fondation de la SCC, deviennent plus visibles les années suivantes. En 1974, Denis Lazure, alors directeur général de l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu à Montréal, accepte la présidence de la SCC que lui proposent des membres soucieux du recrutement de francophones[87]. La SCC, selon lui, vise à « compléter les nombreux échanges gouvernementaux par des contacts “peuple à peuple” entre Chinois et gens d’ici[88] ». Les « gens d’ici », ainsi que l’entend Denis Lazure, sont « les gens de notre pays, en particulier ceux du Québec », qui éprouvent un vif intérêt « à l’égard du peuple chinois[89] ». Son projet, d’après le journaliste Jules Nadeau, est de « corriger une situation qui a souvent limité la participation du Québec au milieu anglophone sinon à l’université McGill seule[90] ». Il déclare ainsi qu’il entend, en tant que président, « donner “un coup de barre” à la participation des francophones à la société[91] ». Le nouveau président y consacre beaucoup d’énergie et de temps et, avec l’aide de Robert Garry, la SCC élargit ses activités et ses services en direction de publics très diversifiés. Le nombre de membres francophones connaît une augmentation rapide. Au début de l’année 1975, la SCC a quatre fois plus de membres qu’en 1973 et compte une proportion à peu près égale des deux principaux groupes linguistiques, en plus d’une importante représentation de la communauté chinoise[92].

Le 24 octobre 1976, la majorité des membres des AQC décident de travailler au sein de la SCC, ce qui marque la fusion des deux groupes d’amitié[93]. La dissolution des AQC est le premier sujet relatif au travail d’amitié abordé par la Ligue communiste (marxiste-léniniste) du Canada, l’une des principales organisations maoïstes du Québec dans les années 1970. Cette réorganisation des amis de la Chine au Québec est considérée par la Ligue comme faisant preuve de son « rôle de direction crucial[94] » dans des groupes d’amitié. Elle se félicite d’avoir réussi à « unir le mouvement autour de la SCC et par là, à bâtir l’unité sur la base des justes principes du travail d’amitié[95] ».

La ligne « juste » du travail d’amitié avec la Chine

Au Québec, le mouvement maoïste (marxiste-léniniste[96]) est né au début des années 1970 d’une rupture au sein du mouvement souverainiste de plus en plus dominé par le Parti québécois, considéré par l’extrême gauche comme un parti réformiste « bourgeois ». La crise d’octobre 1970 et les échecs électoraux de la gauche radicale révèlent aux yeux d’une partie de la jeunesse militante l’urgence de mener un combat idéologique vigoureux contre toutes les formes de révisionnisme et de réformisme, ce qui passe selon elle par la création d’un nouveau parti prolétarien inspiré par la doctrine marxiste-léniniste chinoise. Dans l’imaginaire des maoïstes québécois, les campagnes politiques qui se sont déroulées en Chine depuis 1949 représentent bien plus que le projet d’indépendance nationale et la construction d’un socialisme démocratique tels que célébrés par les militants socialistes et syndicaux. Elles constituent des actions contestataires menées par les masses contre le pouvoir, l’autorité et la bureaucratie qui caractérisent les puissances tant impérialistes capitalistes que communistes. Le projet politique antirévisionniste de la Chine de Mao donne aux jeunes maoïstes une raison de se révolter non seulement contre les structures de pouvoir de la société québécoise, mais aussi contre une gauche traditionnelle continuellement soupçonnée de réformisme ou de révisionnisme.

Voulant se différencier des partis communistes traditionnels, le groupe En Lutte ! et la Ligue communiste (marxiste-léniniste) du Canada, les deux principales organisations maoïstes du Québec, se qualifient de « prochinois » dès leur fondation. Le premier s’approprie plusieurs éléments de la pensée de Mao Zedong pour formuler son projet politique. Charles Gagnon, fondateur du groupe, utilise par exemple la thèse de Mao sur la « dialectique matérialiste » pour conforter sa propre position au sein de la gauche québécoise. La confusion idéologique, qui frappe selon lui toutes les organisations de gauche à l’exception d’En Lutte ! est le principal obstacle à la réalisation du désir d’unité et de la volonté d’organisation du prolétariat. Les réalisations du peuple chinois dans la construction du socialisme offrent conséquemment de nombreux exemples qui peuvent servir de justification au projet révolutionnaire du groupe. C’est également le cas de la Ligue qui se réclame, encore plus que le groupe En Lutte !, de l’appui du PCC. Les liens entre le Département de liaison internationale (zhongyang lianluo bu)[97] – le principal organe de propagande communiste de Chine – et les deux organisations maoïstes québécoises constituent un canal par lequel les relations transnationales ont pu s’établir entre le Québec et la Chine. En ce sens, les maoïstes québécois sont des acteurs non étatiques, participant aux échanges entre la société québécoise et la Chine communiste.

Toutefois, cette participation est-elle une contribution ou un obstacle à une meilleure image de la Chine que visent à promouvoir les « amis » du pays ? Nous allons répondre à cette question à partir de deux perspectives. D’abord, le fait que le communisme québécois se réfère au communisme chinois conduit probablement une partie de la population du Québec à associer le mouvement d’extrême gauche à la Chine. La façon dont un Québécois perçoit l’extrême gauche peut donc affecter sa vision de la Chine. Cela n’est pas nouveau. Peu de temps après que Pierre Trudeau eut lancé son « just watch me », plusieurs journalistes du Québec ont relevé un paradoxe : « la reconnaissance diplomatique de la Chine communiste par le Canada est annoncée au moment où un terrorisme soi-disant d’inspiration maoïste fait des siennes au Québec[98] ». La crainte et la résistance à l’égard du communisme, surtout à l’égard d’un projet communiste au Québec, poussent sans doute une partie de la population à rester à distance de la Chine plutôt qu’à cultiver un intérêt pour le pays.

Ensuite, les maoïstes agissent au sein de la SCC et des AQC. Leur intervention a un effet plutôt négatif sur le travail d’amitié. En effet, à partir de 1976, jouer un rôle de direction dans ce travail devient l’une des tâches prioritaires de la Ligue communiste. L’engagement de plus en plus intensif des maoïstes suscite des tensions au sein des amis de la Chine, comme dans toutes les organisations où les maoïstes tentent de s’imposer, dont les AQC. Vers 1978, la Ligue commence à affirmer son rôle « de premier plan » dans la transformation de la SCC en une « organisation de masse importante[99] ».

La participation des maoïstes au travail d’amitié est perçue négativement. L’engagement à titre individuel de certains maoïstes a probablement contribué à la circulation de connaissances sur la construction du socialisme chinois dans divers milieux de la société québécoise. Toutefois, l’intervention d’éléments politiques suscite d’importants conflits au sein de la SCC, entraînant le départ de membres de longue date. Par exemple, Robert Robson, président de la SCC depuis 1976, et Denise Lévesque, présidente de la SCC de Rouyn-Noranda depuis 1978, décident de quitter la Société en 1980. Robert Robson précise, dans sa lettre de démission, que cette décision « n’a pas été pris[e] hâtivement[100] ». Quant à Lévesque, elle écrit à Georges Joly, membre actif de la SCC, pour expliquer pourquoi elle se sent obligée de quitter le poste de présidence. Ces deux lettres fournissent des informations sur le fait que « la ligne ou l’orientation développée et pratiquée par le PCO[101] … a abouti à des conséquences négatives concernant la SCC dans son entité, et concernant certains membres de la SCC qui ne sont plus actifs[102] ».

L’implication de la Ligue dans le travail d’amitié de la SCC provoque également une réelle méfiance de la part d’autres groupes d’amitié avec la Chine au Canada. Depuis 1976, la position de la SCC en faveur de la création d’une « organisation nationale d’associations d’amitié[103] », proposée d’ailleurs par la SCC elle-même, diffère de celle des CCFA d’autres régions. Plusieurs rapports provenant du fonds d’archives de la Ligue, qui deviendra officiellement le Parti communiste ouvrier (PCO) le 1er mai 1979, montrent que l’unification des groupes d’amitié à travers le Canada constitue l’une des tâches prioritaires du groupe depuis 1977. Cela justifie l’inquiétude et la crainte manifestées par plusieurs CCFA. Le 30 juin 1977, l’association d’Halifax affiche son opposition à « toute création hâtive d’une organisation nationale ou pancanadienne », insistant sur le fait que les difficultés rencontrées par les amis au Canada ne proviennent pas d’une « coopération limitée entre “nous” », mais plutôt de ce « qu’il y a parmi “nous” des groupes et des individus qui continuent d’utiliser et de se servir de ces associations d’amitié comme une façade pour faire avancer leurs politiques ésotériques[104] ». Le 3 novembre 1977, la Canada-China Friendship Society (CCFS) de Saskatchewan expose sa position : « Notre principale préoccupation, basée sur notre observation des conditions à Regina, est qu’une organisation nationale pourrait faire le jeu de l’une ou l’autre des deux organisations politiques d’extrême-gauche : In Struggle et le CCL[105]. » En mai 1978, Ruth Gamberg, membre fondateur de la CCFA d’Halifax, affirme dans une lettre adressée à Paul Lin : « Le CCS de Montréal – ou ceux qui le contrôlent maintenant – semblent incapables de séparer le travail d’amitié proprement dit de leur allégeance “politique” particulière au CCL, à tel point que, entre leurs mains, le premier devient un simple instrument du second[106]. »

Dans les années 1970, la Chine offre de nombreux exemples concrets qui permettent aux militants de la Ligue de prouver la supériorité du socialisme, ainsi que la justesse de sa ligne politique. Il n’est donc pas difficile de comprendre la participation active de la Ligue au travail d’amitié. Son action au sein de la SCC entraîne toutefois le départ d’un nombre considérable de membres, un déclin de l’assistance aux activités publiques qu’elle organise, et des conflits avec d’autres groupes d’amitié avec la Chine à travers le pays. Une partie de cette baisse de participation est liée aux questions que certains membres se posent à propos de la situation chinoise, questions auxquelles la SCC n’est pas toujours capable de répondre de façon satisfaisante.

Même les représentants du gouvernement chinois déplorent les conséquences désastreuses des critères de recrutement gauchistes. Une délégation de l’Association du peuple chinois pour l’amitié avec l’étranger visite le Québec en mai 1978. Les représentants de la SCC s’entretiennent avec les délégués chinois sur la façon de mener à bien le travail d’amitié. Ces derniers reconnaissent la contribution des marxistes-léninistes. Néanmoins, « dans certains cas, nous avons constaté des erreurs gauchistes dans le travail d’amitié, qui ont réduit le nombre de membres et saboté le front uni sur lequel repose le travail d’amitié[107] ». Les délégués chinois critiquent sévèrement les conditions d’adhésion (l’accord avec le marxisme-léninisme) que certains groupes marxistes-léninistes imposent aux associations d’amitié, conditions qui font en sorte que ces dernières ont perdu la majorité de leurs membres et sont devenues « de petits groupes de gauche[108] ».

Ce changement d’attitude du parti frère n’est pas étonnant compte tenu des transformations majeures qui ont lieu dans la politique intérieure et extérieure chinoise depuis 1976. Avec l’affirmation du courant pragmatique, représenté par Deng Xiaoping, la Chine s’ouvre vers l’extérieur. En juin 1978, Deng déclare que la vérité doit être recherchée dans les faits. Dans la formulation concise qu’en donne la presse, cette idée est traduite par le slogan : « La pratique est le seul critère de vérité » (« Shijian shi jianyan zhenli de weiyi biaozhun »). Le communiqué officiel annonce que la Chine encouragera la coopération économique avec d’autres pays. Le IIIe plénum du XIe Congrès du Comité central du PCC, tenu en décembre 1978, marque le début de la politique d’ouverture du pays, et les orientations de son développement économique et politique des années suivantes. L’économie s’ouvre aux capitaux étrangers. À partir de 1979, les réformes économiques d’inspiration libérale s’accélèrent. Le 1er janvier 1979, le gouvernement des États-Unis accepte le principe de la Chine unique en reconnaissant la RPC, au détriment de Taïwan.

Du côté chinois, la normalisation des relations du pays avec les pays capitalistes contribue à diminuer l’importance « d’influencer et de gagner le peuple », pour reprendre l’expression de Zhou Enlai, dans le développement de ses relations extérieures. Par conséquent, la SCC, qui constituait un canal non étatique crucial dans les échanges entre les États et les sociétés durant ses premières années, commence à perdre son statut privilégié. Les associations ou sociétés d’amitié avec la Chine ne sont plus les seuls intermédiaires par lesquels la population québécoise peut entrer en contact avec ce pays[109]. En parallèle, la montée d’intérêts stratégiques dans les relations sino-québécoises s’impose progressivement à l’initiative des gouvernements. En 1977, le gouvernement du Québec emprunte cette voie à l’occasion de la visite à Québec de plusieurs représentants de l’Institut des affaires étrangères de Chine[110].

La Chine continue à attirer et retenir l’attention des Occidentaux, mais de plus en plus en vertu du marché potentiel immense qu’elle représente. Les nouveaux sinophiles qui entrent en scène sont issus notamment du milieu des affaires. En 1978, le capitaine d’industrie Paul Desmarais fonde le Conseil d’affaires Canada-Chine. L’année suivante, dans le cadre d’une imposante délégation commerciale canadienne, il effectue une première visite en Chine et pose les fondements d’une relation d’affaires durable avec ce pays. Avec l’entrée en scène de ces « capitalistes » comme acteurs non étatiques les plus actifs dans les relations du Canada et du Québec avec la Chine, on assiste à la naissance d’une sinophilie « pragmatique » dont la dimension émotionnelle est beaucoup moins prononcée que celle des années 1960 et 1970.

* * *

Nous avons choisi le terme d’« étincelles » et non pas celui de « phénomène » pour qualifier la sinophilie qui est née au sein de la société québécoise durant la Révolution tranquille, puisque le nombre de ces acteurs non étatiques reste très restreint par rapport à la totalité de la population. Il nous est difficile de mesurer leur degré d’influence dans les sphères qu’ils visent (politique, sociale, médiatique, universitaire, etc.). D’ailleurs, leur impact direct sur les relations officielles reste à discuter[111]. Les sentiments que les amis de la Chine éprouvent vis-à-vis de celle-ci, comme nous l’avons montré, sont conditionnés par divers facteurs tels que des enjeux internationaux, les relations sino-canadiennes, la politique extérieure chinoise et, enfin, des enjeux politiques et sociaux québécois.

La sinophilie au Québec dans les années 1970 est issue de la rencontre entre une mouvance intellectuelle et diplomatique au sein de l’élite anglophone, notamment des universitaires, et des mouvements sociaux et politiques qui ébranlent la société québécoise, en particulier du côté francophone. Les étincelles sinophiles au Québec sont nées dans le contexte d’un rapprochement hésitant entre la Chine et le Canada sur fond de guerre froide, mais aussi dans le sillage des mouvements marxistes qui s’activent depuis Mai 68. Au Québec, les effets de ces mouvements se font sentir dans les universités, les cégeps et les syndicats, dans le remous des grèves générales. Influencée par les militants sinophiles européens, français et italiens en particulier, une partie de la population québécoise cherche à s’inspirer de l’expérience révolutionnaire chinoise pour mieux s’inscrire dans les débats sociaux et politiques du Québec. C’est bien la Chine anti-impérialiste, anticapitaliste, socialiste et tiers-mondiste qui a réuni autour d’elle pendant une grande partie des années 1970 les militants de divers mouvements sociaux et politiques au Québec.

Le décrochage mutuel à la fin des années 1970 n’a rien d’étonnant. Avec l’ouverture du pays aux capitaux étrangers et la normalisation de ses relations diplomatiques avec les pays capitalistes, la Chine a sans doute moins besoin de communiquer avec le monde par l’intermédiaire des associations d’amitié et des groupes maoïstes. Du côté du Québec, les maoïstes et certains amis progressistes au sens large, devant la nouvelle orientation politique, économique et diplomatique du gouvernement chinois, ont vécu un désenchantement à partir de 1976. En effet, l’amitié avec la Chine a été marquée par le climat de la guerre froide et par les affrontements issus de la décolonisation. Ce mouvement d’amitié a d’abord attiré des progressistes, pour ensuite se replier sur lui-même en effectuant un virage radical, séduisant surtout des révolutionnaires. Il prend, vers la fin des années 1970, une tournure libérale qui a eu pour effet d’ouvrir ses horizons, changement qui reflète un revirement de la diplomatie chinoise.