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prix lionel-groulx 2022

Doté d’une bourse de 2 000 dollars, ce prix récompense le meilleur ouvrage paru en 2021 portant sur un aspect de l’histoire de l’Amérique française et s’imposant par son caractère scientifique.

Catherine Larochelle. L’École du racisme. La construction de l’altérité à l’école québécoise. Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2021, 352 pages

Le racisme s’apprend — et il s’apprend à l’école. C’est le point de départ de Catherine Larochelle dans son étude novatrice et stimulante de la société québécoise et de ses rapports à l’Autre de 1830 à 1915. L’école du racisme propose une analyse fine des matières et des approches pédagogiques et souligne la contribution de l’apprentissage formel aux stéréotypes et préjugés étayant le colonialisme et la hiérarchisation raciale au Québec. Cette thèse émerge des réponses aux nombreuses questions que Larochelle pose. Quelles sont les représentations de l’Autre proposées aux élèves québécois des 19e et 20e siècles ? Comment ces représentations alimentent-elles l’identité nationale en voie de construction ? Quels courants idéologiques ont influencé les travaux des pédagogues canadiens et quels stéréotypes se sont ainsi trouvés diffusés à l’ensemble de la population enfantine de la province ?

Afin d’y répondre, Larochelle parcourt de nombreuses sources de nature variée. Les manuels scolaires occupent une place de choix. Si l’autrice se concentre surtout sur les manuels d’histoire et de géographie, vecteurs privilégiés des représentations de l’altérité, elle analyse également d’autres matières. L’enseignement de l’écriture, de la grammaire et de la syntaxe contribuent aussi à la banalisation des stéréotypes raciaux tout comme les revues pédagogiques, les journaux à grand tirage et la correspondance des écoles et des inspecteurs. L’attention que porte l’autrice aux devoirs d’étudiants constitue une contribution particulièrement novatrice, dont l’analyse révèle comment les idées racistes prennent racine dans les esprits d’enfants d’âge scolaire. Au fil de sa démonstration, L’école du racisme fait dialoguer de façon habile sources et études, afin de souligner non seulement le caractère particulier du cas québécois, mais aussi les divers points de rencontre entre le Québec, le Canada anglais, les États-Unis et l’« Occident ». C’est sur ce dernier point que l’intervention de Larochelle est particulièrement efficace : elle révèle de façon frappante les influences qu’ont eues l’un sur l’autre les discours anglophone et francophone sur l’altérité. De cette façon, elle « réévalue, à la baisse, la portée des différences habituellement associées aux identités canadiennes blanches » (p. 13).

Le jury a grandement apprécié la nature contestatrice de L’école du racisme. En évitant sciemment de reconduire l’opposition habituelle des « deux solitudes », Catherine Larochelle propose une lecture de l’histoire québécoise originale, participant pleinement à la construction de l’altérité racisée et dépréciée qui emporte toutes les sociétés occidentales. Larochelle nous montre que le racisme au Québec pendant le long 19e siècle n’est pas un défaut individuel chez des personnes mal instruites, mais plutôt le résultat d’un système scolaire dont la mission est en partie de l’enseigner. Ce faisant, ce livre nous ouvre des champs négligés par l’histoire de l’Amérique française, des champs que l’on espère voir bientôt investis par d’autres.

prix de l’assemblée nationale du québec 2022

Doté d’une bourse de 3 000 dollars, ce prix récompense le meilleur ouvrage en histoire politique paru en 2021 qui s’impose par la qualité, l’originalité et la rigueur de la recherche historique et par son accessibilité au grand public.

Martin Pâquet et Stéphane Savard. Brève histoire de la Révolution tranquille. Montréal, Éditions du Boréal, 2021, 280 pages

Rédiger un ouvrage de synthèse, c’est, comme les auteurs le soulignent eux-mêmes, rendre un service public. Et en effet, proposer une lecture globale de la Révolution tranquille, au moment où cette époque est toujours présente dans la mémoire collective et devient matière d’histoire, constitue une entreprise historienne fort utile. Mais dans cette Brève histoire de la Révolution tranquille, Martin Pâquet et Stéphane Savard nous rappellent que la synthèse historique peut également être un lieu d’innovation de même qu’une contribution significative à la connaissance et à la compréhension du passé. Ainsi, les auteurs renoncent à la reconstitution chronologique pour proposer une structure narrative originale, sensible aux mutations du rapport au temps qui caractérisent et définissent cette période. L’ouvrage se décline en trois sections, qui constituent autant de temps distincts, selon une logique explicitée dans l’introduction. Il s’agit d’abord de situer la Révolution tranquille dans son contexte — canadien et international d’abord, puis québécois. L’analyse proposée laisse déjà entrevoir l’ambition et le souffle de l’ouvrage, attentif aux transformations socio-économiques, religieuses, démographiques, culturelles et politiques qui balaient le monde pendant les Trente Glorieuses et qui, au Québec, préparent l’arrivée d’un temps nouveau. La seconde partie de l’ouvrage, intitulée « Vivre », plonge le lecteur au coeur de la Révolution tranquille. Pour la connaître et la comprendre, les auteurs retiennent comme focale l’État québécois. Ils examinent d’abord le déploiement d’une impulsion réformatrice, portée par de nouvelles « élites définitrices », empreinte d’un nouveau nationalisme et d’une conception nouvelle du rôle de l’État ainsi que des droits et libertés des citoyens. Ils explorent ensuite le « moment » d’une prise de parole citoyenne qui s’affirme à partir de la fin des années 1960. D’autres acteurs occupent alors la scène — mouvements féministes et étudiants, syndicats, Premières Nations, artistes, mouvements indépendantistes — et se mobilisent autour d’un ensemble d’enjeux nouveaux. S’ouvre alors la dernière phase de la Révolution tranquille, celle des clivages sociaux et des ruptures qui signent la fin d’une époque. En guise d’épilogue, un dernier chapitre, « Se souvenir », offre un bel espace de réflexion où les auteurs inscrivent la Révolution tranquille dans le temps présent, comme lieu de mémoire et matière de l’historien.

Le jury tient à féliciter et à remercier les auteurs pour cet ouvrage exceptionnel qui enrichit l’historiographie québécoise et atteint pleinement son objectif de rendre la Révolution tranquille intelligible pour leurs contemporains.

prix michel-brunet 2022

Doté d’une bourse de 1 000 dollars, ce prix récompense la meilleure oeuvre en français traitant d’un sujet historique parue en 2020 ou 2021 et produite par une historienne ou un historien québécois de moins de trente-cinq ans.

Michel Thévenin. « Changer le système de la guerre ». Le siège en Nouvelle-France (1755-1760). Québec, Presses de l’Université Laval, 2020, 230 pages

Avec cet ouvrage, Michel Thévenin nous prouve qu’il y a encore de stimulantes pages à écrire sur l’histoire militaire de l’Amérique française. Dans Changer le système de la guerre, l’auteur nous offre une belle contribution à l’étude de l’européanisation des conflits coloniaux au 18e siècle en s’intéressant à la guerre de siège telle qu’elle s’est pratiquée au cours de la guerre de Sept Ans en Nouvelle-France. L’ouvrage débute par une brève synthèse, efficace et bienvenue, sur l’art et la pratique du siège en France (et plus généralement en Europe de l’Ouest) aux 17e et 18e siècles. L’attaque et la défense des places fortes sont en effet inscrites au coeur de la pensée stratégique des politiques et généraux européens, et domine conséquemment l’imaginaire guerrier des officiers militaires — y compris ceux qui sont envoyés combattre sur les théâtres d’opération nord-américains. Une lecture attentive des journaux de campagne de plusieurs de ces officiers, ainsi que des correspondances ministérielles, permet ensuite à Michel Thévenin de démontrer l’évolution de la pensée stratégique et tactique des officiers français servant au Canada. Si ceux-ci demeurent toujours convaincus de l’importance et du rôle des places fortifiées, ils doivent désormais composer avec un réseau de postes éloignés où lacs et rivières tiennent lieu de routes et où les pratiques de guerre des nations autochtones alliées contrastent avec la violence familière, et partant, acceptée, de la guerre en Europe. Chez Michel Thévenin, le cadre de référence européen n’est pas tant matière à revisiter le vieux débat historiographique sur l’inimitié entre officiers canadiens et français comme explication de la Conquête ; il sert plutôt à expliquer avec doigté les surprises, les hésitations, et les nécessaires adaptations d’officiers et d’ingénieurs formés aux conflits en pays densément peuplés hérissés de forteresses rapprochées, capables de se soutenir rapidement. La Nouvelle-France, par contraste, offrait un tout autre cadre géographique et humain — mais celui-ci requérait moins une réforme de la tactique qu’un changement d’échelle logistique capable de minimiser les effets de la distance. L’imposant effort de guerre britannique y parviendra, justifiant du même coup chez les décideurs français l’emploi d’ingénieurs formés et (relativement) expérimentés. Porté par une plume claire qui témoigne du constant souci de pédagogie de l’auteur, l’ouvrage de Michel Thévenin offre à ses lecteurs une introduction dynamique à l’histoire militaire du 18e siècle, rectifiant au passage quelques mythes à la vie dure. Il ouvre ainsi de belles pistes à des études complémentaires sur la logistique et la formation des ingénieurs, que l’auteur annonce déjà.

prix de la revue d’histoire de l’amérique française 2022

Ce prix couronne le meilleur article publié dans le volume 75 de la RHAF.

Le jury a couronné deux lauréates ex aequo.

Helen Dewar. « Statut corporatif et responsabilité personnelle dans la liquidation des dettes de la Compagnie de la Nouvelle-France ». Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 75, no 4, printemps 2022, p. 33-58

Bien que les historiens de l’Amérique française se soient toujours intéressés à la Compagnie de la Nouvelle-France (CNF), Helen Dewar montre à quel point elle est mal connue sous son aspect « corporatif ». En faisant appel à l’historiographie internationale récente portant sur le rôle des compagnies à charte européennes dans l’entreprise coloniale, cet article limpide nous fait découvrir la CNF sous un nouveau jour. Ainsi, Dewar axe son texte sur les enjeux financiers auxquels est confrontée la CNF, firme ayant aussi pour mandat d’assurer un retour sur investissement, plutôt que d’insister sur le rôle de la compagnie dans la colonisation et l’administration de la Nouvelle-France. Ce faisant, l’auteure présente la compagnie comme un acteur important dans l’histoire du développement de la société de capitaux en Europe, et non seulement dans l’histoire de l’Amérique française.

Dewar propose une analyse fine des sources archivistiques liées au fonctionnement financier de la CNF, allant des « articles » fondateurs de la compagnie jusqu’aux nombreuses poursuites générées par la liquidation de sa dette pendant les années 1630 et 1640. Si la CNF, en tant que personne morale, est en théorie distincte des personnes physiques qui possèdent des actions et qui assument sa direction, en pratique, les pertes financières que la compagnie essuie dans les années suivant son établissement sont imputées aux membres de la compagnie. Surgit alors une lutte vive, les directeurs cherchant à reporter le fardeau de la dette sur l’ensemble des associés. Cet affrontement concerne les règles internes de la compagnie, les pratiques généralisées des marchands comme le crédit et les contrats ainsi que le paternalisme et le patronage de la monarchie. À travers cette analyse des tentatives de régler la dette de la CNF, l’auteure documente un aspect méconnu de l’histoire d’une compagnie qui a exercé une influence profonde sur l’Amérique française et, par cette étude de cas, contribue à la compréhension des modalités complexes d’émergence d’une nouvelle entité commerciale, la société par actions, qui aura une emprise sur le monde entier. Le jury félicite Helen Dewar pour cette étude subtile et stimulante d’un pan négligé de l’histoire économique et juridique de la Nouvelle-France.

Fannie Dionne. « Pierre Potier, l’écriture et le pouvoir à la frontière linguistique de la Nouvelle-France ». Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 75, no 1-2, été-automne 2021, p. 19-40

La nature des archives écrase souvent l’ampleur du travail qui sous-tend leur existence, proposant des instants figés, des résultats, quelque éphémères qu’ils soient, plutôt que les longues heures nécessaires à la confection d’un vêtement, à la cuisson du pain, à la rédaction d’un poème. Les processus d’apprentissage, en particulier pour les périodes plus anciennes de l’histoire, sont mal connus. Rares sont les brouillons, les objets mal ficelés ou les cahiers d’écoliers qui témoignent des balbutiements, hésitations ou échecs douloureux qui accompagnent toute tentative d’acquisition d’habiletés. Il est donc particulièrement heureux que les efforts d’une historienne, livrés, eux aussi, sous leur forme achevée, nous rappellent avec brio tout ce que pouvait représenter l’acquisition des langues autochtones pour les Européens des XVIIe et XVIIIe siècles.

C’est à quoi s’attache Fannie Dionne dans cet article portant sur le jésuite Pierre Potier, missionnaire auprès des Wyandots de Détroit entre 1744 et 1781. Au cours de cette période, Potier rédigera de nombreux instruments à vocation mnémotechnique ou pédagogique (dictionnaires, listes de mots, radices), consignant des milliers de mots, expressions et phrases en wendat/wyandot. Au-delà de l’utilité de ces outils, tant pour les historiens et historiennes que pour le missionnaire, Fannie Dionne souhaite reconstituer ce que représente une tentative d’apprendre une langue de manière systématique. Potier et ses confrères ne cherchent pas uniquement à communiquer avec les Wyandots : ils s’inscrivent également dans une pratique de transmission s’appuyant sur les efforts de leurs prédécesseurs, concevant des outils destinés à être partagés, utilisés, raturés, annotés au fil d’un apprentissage. Dionne montre ainsi comment cet apprentissage, nourri de la pédagogie européenne des langues, laisse peu à peu entrevoir ses insuffisances. Il faudra à Potier découvrir les usages locaux, quitter ses livres, emprunter des caractères d’écriture, user de termes qu’il ne maîtrise pas, compter sur le bon vouloir des Wendats/Wyandots... C’est toute la richesse de ce processus qu’évoque Fannie Dionne à notre imagination et qui permet de retrouver, par-delà les outils linguistiques préservés dans les archives, toutes les ambiguïtés d’une relation d’apprentissage. En replaçant ainsi ces outils dans leur contexte de production, l’historienne offre une contribution importante à un champ d’étude en plein essor.

Jury des prix de l’Institut 2022

Joanne Burgess, Université du Québec à Montréal
Alexandre Dubé, Université du Québec à Chicoutimi
Brian Gettler, Université de Toronto