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L’ethnohistorien Roland Viau a déjà examiné en détail le phénomène de la guerre (1997) puis la place des femmes (2000) dans les sociétés iroquoiennes. Il se penche cette fois non pas sur un sujet qui transcende l’Iroquoianie, mais plutôt sur un épisode de l’histoire d’un groupe iroquoien précis, les Iroquoiens du Saint-Laurent, plus précisément les Hochelaguiens, au 16e siècle. Avec le style clair qui caractérise ses précédents ouvrage, l’auteur nous présente sa thèse : l’abandon de la vallée par les Iroquoiens du Saint-Laurent s’explique d’abord et avant tout par des causes épidémiologiques, introduites par les quelques incursions françaises, conjuguées en second lieu à des tensions sociopolitiques au sein de l’univers autochtone. Ce nouvel opus est une étude consacrée au sort des habitants de la vallée du Saint-Laurent, entre les brèves incursions de Cartier et Roberval dans le second quart du 16e siècle et la fondation de la Nouvelle-France par Champlain au tournant du siècle suivant, un objet de débats depuis longtemps chez les chercheurs. Hochelaga apparaît ici comme un prétexte.

L’ouvrage se divise en huit chapitres qui se détachent d’un enchaînement chronologique strict pour laisser place à la logique argumentaire. Une mise en contexte constitue les trois premiers chapitres. Le premier, consacré à l’environnement, souligne avec raison l’importance du lien que les Iroquoiens du Saint-Laurent entretenaient avec le fleuve, voie de circulation, réservoir de ressources diverses et symbole fort. Au moyen d’un procédé digressif qui revient régulièrement et avec des degrés variables de pertinence, de grands thèmes deviennent prétextes pour développer plus en détail certains points.

Les chapitres 2 et 3 illustrent la donne culturelle des Iroquoiens, et on ne revient que sporadiquement sur le cas précis d’Hochelaga. Le lecteur à qui l’oeuvre de Viau est familière se retrouvera en terrain connu, les autres ne pourront que bénéficier de sa profonde connaissance en ce domaine. Nous trouvons curieuse son énumération des traits saillants qui constituent l’identité culturelle des Iroquoiens du Saint-Laurent. Les trois premiers sont essentiellement le même (l’origine), comme le sont aussi les 6e et 7e (le territoire). Aucune mention de la dimension économique pourtant fondamentale, tandis que la dimension politique est réduite à sa nature clanique. Finalement, il ajoute un seul aspect technologique, très précis, celui d’une tradition céramique et ses qualités morphostylistiques typiques, comme si cette amarre archéologique véhiculait plus d’importance identitaire que toutes les autres constituantes technologiques. On retiendra cependant comme très intéressante, bien que non démontrée, l’hypothèse de l’existence de potières spécialisées. Parmi quelques affirmations à nuancer, relevons que la subdivision de la Laurentie iroquoienne en neuf concentrations humaines demeure à ce jour très hypothétique. Il en va de même pour l’origine marine des esnoguy (coquillages) ou encore pour l’identification de l’île aux Basques comme lieu de la tuerie des Stadaconiens. On note plus loin le manque de données sur les conditions sanitaires dans les villages, mais c’est oublier que l’archéologie trouve justement là un point d’ancrage régulier.

Les chapitres suivants nous plongent dans le thème conducteur de l’ouvrage, soit le sort des Iroquoiens du Saint-Laurent. Le chapitre 4 rappelle les différentes causes qui ont été avancées pour expliquer l’abandon de la vallée. Nous sommes d’accord avec le regard critique sur certaines positions issues des traditions orales autochtones, ce que nous avions identiquement examiné il y a près de vingt-cinq ans (Recherches amérindiennes au Québec, 1999), et pour lesquelles l’application d’une approche méthodologique est souhaitable au même titre que tout autre type d’enquête sur le passé humain. On aurait apprécié que l’explication climatique soit rejetée de façon plus convaincante que de seulement évoquer la grande capacité d’adaptation des Iroquoiens. Rappelons ici une dépendance marquée envers la culture de plantes d’origine tropicale, à leur limite septentrionale de production.

Le chapitre 5 se concentre sur l’épisode de la tentative de colonisation française de 1541 à 1543 et les facteurs de transmission de maladies européennes au sein de la population autochtone non immunisée. Les agents pathogènes de l’époque et leurs vecteurs, notamment les animaux domestiques, sont examinés, puis l’auteur décrit avec pertinence les relations tendues entre les Français et les communautés villageoises de la vallée. Il nous rappelle l’existence d’un passage du cosmographe André Thevet faisant mention d’une maladie qui aurait emporté la plupart des Stadaconiens lors du séjour de Roberval en 1542-1543. Malgré les nombreux bémols qu’appelle le cas de Thevet (d’ailleurs bien soulignés), cette mention est sérieusement prise en considération pour appuyer, avec un argumentaire convaincant, l’hypothèse du facteur pathologique dans le sort des Iroquoiens du Saint-Laurent. Notons l’erreur quand il attribue la Cosmographie universelle au pilote Jean Alphonse.

Le chapitre 6 aborde les conséquences de la maladie au sein du monde autochtone durant un épisode très peu documenté après les passages de Cartier et de Roberval. À l’arrivée de Champlain, plutôt que vierge, la vallée du Saint-Laurent est une terre veuve, selon l’expression jadis formulée par l’historien Francis Jennings (1976).

Le chapitre 7 nous reconnecte enfin avec les gens d’Hochelaga. On reste même sur sa faim quant au sort des autres Iroquoiens du Saint-Laurent. Des sources historiques identifient les Algonquins Onontchataronons comme les descendants des Hochelaguiens. Viau aborde la pertinence de cette hypothèse mais il s’emporte quand il propose de la tester génétiquement. D’une part, la complexité des origines des communautés actuelles est un point difficile à contrôler sans une substantielle banque de données ; d’autre part, les sources archéologiques d’ADN issues du site Dawson sont quasi inexistantes, contrairement à ce qu’il pense. Notons enfin que la mention d’une dizaine de sépultures d’individus métissés ou d’origine amérindienne retrouvés dans les récentes fouilles au site du Fort Ville-Marie est fausse.

Le dernier chapitre traite de la position géographique d’Hochelaga sur l’île. Malheureusement, l’auteur commet quelques erreurs. D’abord, comme Bruce Trigger, il répète une erreur de traduction de Biggar sur un passage de Cartier (p. 265). Une relecture du texte original aurait pourtant évité ce piège : ce sont les terres labourées qui sont autour de la montagne et non la montagne qui est autour de Hochelaga. Cette même erreur discrédite la thèse de Larouche (un village positionné entre les sommets du mont Royal) que Viau évoque sans regard critique, malgré l’usage complètement farfelu d’un détail du plan de Ramusio. Plus loin, les quelques données qu’il mentionne sur les récentes fouilles au site Dawson sont inexactes. Puis, associer les cédraies de l’île de Montréal au genre Cedrus (le cèdre du Liban) est une confusion créée par l’appellation vernaculaire du thuya (Thuya occidentalis), pourtant cité juste après !

Les éléments iconographiques sont parfois de piètre qualité. La première carte est résolument trop petite et ne répond aucunement à la prétention inscrite en légende de montrer divers éléments topographiques. D’autres cartes présentent aussi des lacunes, comme des différences avec les données du texte ou des éléments clés absents sur la carte pourtant surchargée d’icônes inutiles pour le propos. Certaines illustrations manquent de définition comme celles des wampums et des mocassins.

En somme, ce livre résulte d’un travail de recherche colossal et exhaustif, tout à fait à l’image de ce à quoi Viau nous a habitués. Hochelaga est à la rencontre de deux univers culturels et deux périodes historiques bien distinctes. L’auteur nous en peint un portrait juste. On regrette toutefois que certaines questions d’ordre archéologique y soient abordées avec moins de souci qu’il aurait fallu.