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Cet ouvrage collectif propose un regard multidisciplinaire sur les effets de la Charte de la langue française sur les communautés anglophones du Québec. La plupart des chapitres résument des communications présentées à un colloque tenu en 2017 sur les quarante ans de la « loi 101 », mais d’autres contributions ont été ajoutées pour « mettre la question en contexte, en examinant l’évolution démographique au fil des décennies, les régimes linguistiques ailleurs dans le monde ou les effets de la Charte sur d’autres groupes linguistiques et culturels » (p. 25). Les chapitres sont écrits soit en français soit en anglais, mais les directeurs de l’ouvrage offrent une préface, une introduction ainsi qu’une conclusion dans les deux langues.

Lorraine O’Donnell, Patrick Donovan et Brian Lewis signent l’introduction qui présente un survol actuel et nuancé de la littérature des quarante dernières années portant sur la loi 101 et le Québec d’expression anglaise. Ce travail permet de poser les bases quant à des perceptions et réflexions sur la loi 101 depuis quarante ans pour permettre une lecture plus actuelle. C’est aussi l’occasion de se pencher sur des effets rapportés de la Charte sur les communautés anglophones, que ces effets soient positifs (p. ex. une affirmation identitaire plus soutenue) ou de l’ordre des défis et réalités (perte et affaiblissement d’institutions communautaires) (p. 23). Ainsi, les directeurs proposent un ouvrage qui invite à la compréhension de réalités complexes et au partage de perspectives idéologiques différentes, voire opposées.

L’ouvrage collectif comporte vingt textes répartis en six sections. Les cinq premières sections sont thématiques et la dernière présente des perspectives personnelles et des opinions. Voici un survol de certains de ces textes.

La démographie et la vitalité des communautés font l’objet de la première section. Trois textes la composent, soit ceux de Jean-François Lepage, Michel Paillé ainsi que Richard Y. Bourhis et Rana Sioufi. Lepage expose des résultats d’une analyse démographique des données populationnelles de 1951 à 2036, offrant ainsi des projections pour les prochaines années. Si ces analyses ne sont pas faites au regard de la Charte, elles permettent de montrer les fluctuations à travers le temps et d’annoncer qu’une faible augmentation de la population de langue anglaise est à venir selon l’un des scénarios proposés ; en contrepartie, une légère diminution du poids relatif de la population francophone serait à observer au profit de la population de langue maternelle tierce.

La deuxième section examine la Charte au regard du droit, tant sur le plan provincial que national. On y retrouve les textes d’Andrew McDougall, Guillaume Rousseau et Éric Poirier ainsi que Michael Bergam. Rousseau et Poirier proposent un examen attentif des intentions des législateurs français et québécois et des interprétations judiciaires. Ils font un exposé des théories politiques du républicanisme d’inspiration française et du libéralisme anglo-saxon au regard des lois linguistiques tout comme des intentions respectives des législateurs français et québécois ainsi que des décisions importantes pour les interprétations. Il s’avère qu’au Québec « l’intention était principalement républicaine et favorable à la majorité et seulement un peu libérale et protectrice des minorités, alors que l’interprétation a été plus libérale et protectrice des minorités, surtout de la minorité anglophone, et moins républicaine et favorable à la majorité » (p. 168).

Le travail et l’économie sont l’objet de la troisième section de l’ouvrage qui comporte les textes de James Archibald et François Vaillancourt. François Vaillancourt propose une analyse économique de l’offre et de la demande du français et de l’anglais pour la période de 1970 à 2015. Il s’avère qu’en matière d’offre, la connaissance des deux langues a augmenté au Québec et qu’en matière de demande l’importance des employeurs francophones a aussi augmenté. Si le statut socioéconomique du français sur le marché du travail s’est amélioré, le bilinguisme serait toujours plus rémunérateur que l’unilinguisme pour tous les groupes linguistiques confondus.

La quatrième section porte sur le politique et présente trois textes, soit ceux de Patrick-André Mather, Yasmin Jiwani et autres personnes collaboratrices ainsi que Pierre-Olivier Bonin. Bonin a réalisé une analyse textuelle assistée par ordinateur de la couverture médiatique des journaux The Gazette (de 1985 à 2014) et The Globe and Mail (de 1977 à 2014) sur la loi 101 et les débats qui y sont associés. Ses analyses montrent que les écrits sont plus nombreux lors des contestations de la loi 101 devant les tribunaux.

Les communautés, l’éducation et l’identité sont les thèmes abordés dans la cinquième section dans laquelle figurent les textes de Diane Gérin-Lajoie, Paul Zanazanian et Rapahël Gani, Pierre Anctil, Dorothy W. Williams et Cheryl Gosselin. Le texte de Williams offre un regard historique sur l’adoption de la Charte du point de vue de groupes communautaires noirs anglophones. Cela permet notamment de montrer que les membres des communautés noires se sont retrouvés au carrefour de questions linguistiques, raciales et socioéconomiques, ce qui les a menées à se (re)définir comme communautés.

La sixième section présente des perspectives personnelles avec les textes de Kahawinóntie Cheryl Diabo, Guy Lachapelle, Julius Grey et Brendan O’Donnell. S’appuyant sur son travail bibliographique sur le Québec anglophone, O’Donnell expose la naissance et le développement des études dites anglo-québécoises jusqu’à leur déclin actuel qui est notamment nourri par le désintérêt des universités et des universitaires sur ce thème.

Dans une conclusion pertinente et nuancée, les directeurs exposent les avancées réalisées tout comme les défis persistants. Ils rappellent que le savoir, la communication et l’engagement sont trois « fondements essentiels à un renouvellement social continu sous la Charte » et que leur ouvrage représente un effort pour encourager ces fondements (p. 495). Cet ouvrage peut avoir la prétention de constituer un incontournable pour la compréhension des impacts de la loi 101 sur les communautés québécoises d’expression anglaise plus de quarante ans après son adoption.