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Qui dit que l’on n’écrit que l’histoire des vainqueurs ? Dans cet ouvrage, Alexandre Dumas analyse un échec retentissant dans l’histoire politique du Québec, celui du Parti national lancé en 1937 par cinq politiciens ambitieux et prometteurs, dont trois députés de l’Assemblée législative.

C’est une histoire méconnue et Dumas tire son épingle du jeu habilement. Le contexte économique et politique du début des années 1930 est présenté avant que l’auteur ne s’intéresse aux quatre personnages principaux de son oeuvre. Tour à tour, il décrit l’itinéraire politique de René Chaloult, Oscar Drouin, Ernest Grégoire et Philippe Hamel. À ceux-ci s’ajoute un cinquième « mousquetaire » (l’expression est tirée des journaux de l’époque et non pas de l’imaginaire d’un auteur fort bien dénommé pour un tel livre), Adolphe Marcoux.

À l’origine, les protagonistes sont tous membres du Parti libéral. Chaloult (1901-1978), natif de Québec, dans sa trentaine, est déçu par l’immobilisme du gouvernement d’Alexandre Taschereau face à la crise économique. Il se sent attiré par l’élan de Paul Gouin et de l’Action libérale nationale et appuie la nouvelle alliance de celle-ci avec le Parti conservateur du Québec, dirigé par Maurice Duplessis. Il se présente comme candidat pour l’Union nationale dans Kamouraska et est élu (1936) mais conclut que l’UN en pratique n’est qu’un triste cirque mené par un despote populiste. Impatient, il rompt avec Duplessis et, avec les autres mousquetaires, tente de lancer un nouveau Parti national (le premier remontait à l’époque d’Honoré Mercier) qui, lui aussi, ne sera qu’un espoir fuyant. Il reviendra donc au bercail libéral maintenant dirigé par Adélard Godbout et sera réélu. Chaloult aura changé d’étiquette politique quatre fois en quatre ans.

Oscar Drouin (1890-1953) a été élu en 1928 en tant que libéral pour le district de Québec Est et réélu en 1931. Il se joint à l’Action libérale nationale et remporte l’élection (1935). Il se porte volontiers candidat pour l’Union nationale en 1936, et Duplessis le nomme ministre des Terres et forêts, mais les illusions le quittent très vite lui aussi. Ernest Grégoire (1886-1980), de son côté, était sans doute très connu. Avocat, il est élu maire de Québec en 1934 et 1936. Concuremment, il est élu à l’Assemblée législative en 1935 en tant que membre de l’ALN puis réélu l’année suivante comme candidat de l’Union nationale.

Phillipe Hamel (1884-1954) est le plus âgé du groupe. Dentiste de son métier, C’est un fort orateur et entièrement voué à la nationalisation des compagnies d’électricité. Sa campagne le rapproche de l’Action libérale nationale et il sera élu durant l’élection de 1935 dans la formation de Paul Gouin. Il est réélu en 1936 sous la bannière de l’Union nationale mais, malgré sa popularité, est écarté du gouvernement Duplessis. Amer, il décide de l’abandonner. Le cinquième mousquetaire, Adolphe Marcoux (1884-1951), est médecin. Il gagne le siège de Québec-Comté en 1936 pour l’Union nationale. Il se joindra aux quatre autres, mais restera des plus discrets.

Dumas décrit l’esprit politique qui anime ces mousquetaires. Pour eux, le Québec est en déroute. Contre les « trusts » qui exigent des sommes démesurées pour des services publics tels que l’électricité, ils sont inspirés non pas par le courant de gauche qui gagne une bonne part de l’Europe et de l’Amérique du Nord, mais par le programme catholique d’intervention proposé par Pie XI et l’Action catholique.

L’accent nationaliste des mousquetaires est immanquable. C’est à travers les paroles et les gestes de ces cinq politiciens frustrés qu’une nouvelle parole nationalise s’ajoute au discours politique de la province. Le langage n’est pas celui de Duplessis. Les champions du Parti national s’attardent plutôt aux désirs et aux besoins des petites gens qui ont besoin de protection plus que d’un appui. Il n’est pas question pour eux de renverser le capitalisme, mais simplement de le corriger. L’Église se doit de continuer, dans leur esprit, à jouer un rôle important dans la vie québécoise.

Ce programme gagnera un appui, certes, mais il n’est pas suffisamment cohérent et inclusif. Il trouvera du soutien en région, mais Montréal reste froid. Malgré les amitiés idéologiques du parti avec l’Église, les prêtres restent discrets dans leur appui. Dumas souligne que si les idées véhiculées par les cinq ne réussissent pas à gagner un appui plus important, c’est sans doute à cause de l’étreinte exercée par les partis. À mon avis, cette explication est trop facile.

L’histoire politique, tant au Québec qu’ailleurs dans le reste du monde occidental, est un véritable cimetière d’initiatives partisanes mal conçues, mal organisées ou mal expliquées. Le fait demeure qu’à cette époque le Parti libéral de Taschereau s’est effondré ainsi que le Parti conservateur. D’eux sont nés deux nouveaux partis, et le tout en mois de deux ans. Le Québec durant les années 1930 a vécu une petite révolution tranquille, incomplète, bien sûr, parce que les idées d’étatisation et de laïcité n’avaient pas encore fait leur chemin, surtout pas dans les campagnes. Pour étendre un message, il faut des outils de communications, de l’organisation, et de l’argent. Mais il faut aussi des projets qui vont au-delà d’une simple promesse et un niveau de charisme qui séduira des foules. Le Parti national était une passion née presque spontanément d’un échec constaté au sein d’une partie de l’Union nationale. Les cinq mousquetaires ont lâché Duplessis parce qu’ils ne l’avaient pas compris. En lançant un autre parti, un mouvement pour mieux les servir, ils ont démontré qu’ils n’avaient pas suffisamment de patience pour le jeu politique.

Grâce à son approche biographique qui emprunte beaucoup à l’histoire des idées, au bel effort archivistique sur lequel reposent ces propos et à cause de la qualité de son analyse, Les quatre mousquetaires de Québec s’impose comme un livre incontournable de l’histoire politique du Québec.