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Paul Cadrin, professeur à l’Université Laval aujourd’hui retraité, chef de choeur, organiste, compositeur, est un théoricien du langage musical et un musicologue reconnu et apprécié pour ses travaux échelonnés sur plus de trente ans sur le compositeur polonais Karol Szymanowski et, plus récemment, sur l’histoire de la musique religieuse et liturgique. Avec la rigueur scientifique qu’on lui connaît, et avec une certaine émotion, car il s’agit ici de son oncle, il propose une biographie d’un personnage peu connu du milieu musical québécois, Félix Routhier Bertrand, qu’il qualifie à juste titre d’aventurier.
Cadrin nous invite à suivre la carrière inusitée de ce musicien qui, après des études classiques au séminaire de Sainte-Thérèse, poursuit sa formation musicale de 1927 à 1933 au Conservatoire national de musique dirigé par Eugène Lapierre. Il entame ensuite une carrière d’organiste, de maître de chapelle et de professeur à Chatham, au Nouveau-Brunswick, où il rencontre sa future épouse, Margaret Shidd. En 1938, il quitte Chatham pour devenir représentant des orgues électromécaniques de la compagnie Northern-Hammond et organise des démonstrations à travers le Québec. L’année suivante, il crée des ambiances musicales pour diverses émissions à la radio de CBF puis de CBM (Radio-Canada). À partir de 1942, sa présence radiophonique est bien établie. CKAC l’engage comme réalisateur et accompagnateur. Tout en poursuivant ses récitals d’orgue dans différentes églises, il compose quelques oeuvres religieuses dont une cantate pour choeur mixte et orgue, Peace, et rédige une dissertation intitulée « La musique à la radio », deux documents qu’il a peut-être soumis comme exigence au doctorat reçu en 1947 du Conservatoire national de musique, affilié à l’époque à l’Université de Montréal (avant la création de la Faculté de musique en 1950). Remanié substantiellement, cet ouvrage, publié en 1948, peut être vu comme un manuel décrivant les exigences pour qui veut poursuivre une carrière radiophonique professionnelle. L’auteur définit le musicien à la radio comme quelqu’un qui doit pouvoir interpréter tous les genres de musique, de la plus classique à la plus populaire. Dans les années 1950, Bertrand donne plusieurs récitals d’orgue. En 1951, il devient administrateur de la société Casavant et en 1953, président de l’Association des professeurs de musique du Québec. En 1961, il retourne au Nouveau-Brunswick où il terminera sa carrière en 1967. Il meurt en 1978 des suites d’un infarctus.
Cette carrière un peu « touche à tout » a laissé peu de traces pour l’historien. À l’exception de ses oeuvres dont les manuscrits dorment dans les archives, et dont la plupart étaient destinées au culte, il n’existe pour ainsi dire que peu d’enregistrements de ses concerts et les seuls textes qui permettraient d’en savoir un peu plus sur sa pensée musicale, mis à part son journal personnel (1937-1948) et des notes de programme, ont été publiés dans le journal Évangéline sous forme de chroniques « Musique sur tous les tons » dans 12 livraisons entre septembre et décembre 1961. Malheureusement, Paul Cadrin n’y ajoute aucune analyse de leur contenu qui aurait permis de mieux comprendre l’esthétique et la pensée du musicien.
Comme bien des musiciens de cette époque dont la formation musicale était limitée, Félix Routhier Bertrand a réussi à gagner sa vie en naviguant dans le « transculturel » entre les mondes classique et populaire. Tout en étant sympathique envers le personnage, Paul Cadrin a su garder ses distances avec cet oncle. Il sait que le legs du musicien se résume surtout à un livre et à une oeuvre, la cantate Peace diffusée à Moncton en décembre 1961 et 1962. Il nous rappelle également qu’il fut le promoteur de l’orgue Hammond, cet instrument aux sonorités fades et inexpressives qui accompagnait plusieurs émissions et romans radiophoniques au cours des années 1950, mais qui, aujourd’hui, grâce à l’évolution de sa technologie, est devenu très présent et apprécié dans la musique jazz et populaire.
Trop souvent, l’histoire musicale qui nous est transmise ne repose que sur quelques piliers qui en ont tracé les grandes lignes, oubliant ainsi toute l’activité sous-jacente qui fourmillait et qui aura permis à quelques noms importants de s’élever au-dessus de la mêlée pour atteindre la renommée. C’est la contribution de Félix Routhier Bertrand à cette vie musicale que nous transmet l’auteur. C’est le message que je retiens de la recherche de Paul Cadrin, d’avoir sorti de l’ombre cet « aventurier » de la musique.