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L’annonce en 2020 de la modification de la compétence du cours d’histoire occidentale au collégial a, une fois de plus, suscité des prises de position diverses sur les finalités de l’enseignement de l’histoire au Québec. L’ouvrage d’Olivier Lemieux prend justement appui sur les différentes controverses qui ont balisé sa mise en oeuvre pour nous présenter une histoire institutionnelle de l’enseignement de l’histoire au secondaire. Politologue de l’éducation, Lemieux s’arrête à l’histoire de la pensée éducative au regard des mouvements intellectuels québécois, au développement de la pensée politique, mais aussi à l’histoire des programmes d’étude et de leurs outils didactiques. L’auteur s’intéresse également à l’objet complexe que représente l’analyse des politiques éducatives en élargissant l’éventail des sources potentielles pour y inclure l’avis des groupes d’intérêt professionnels.
L’ouvrage constitue une réduction de sa thèse de doctorat déposée en 2019. Il repose ainsi sur une impressionnante documentation, qui va des sources documentaires et archives mobilisées pour l’ensemble de la période aux entrevues réalisées auprès de 18 acteurs clés « appartenant à des catégories d’interlocuteurs ayant occupé des fonctions ou des postes leur permettant de décrire le sens qu’ils ont donné à leurs actions … » (p. 14). Parmi les personnes interviewées, on retrouve plusieurs noms qui seront familiers aux lecteurs de cette revue : Denis Vaugeois, Monique Lapointe, Guy Rocher, Micheline Dumont, Christian Laville, Jacques Beauchemin, Robert Martineau et bien d’autres.
La porte d’entrée de l’ouvrage de Lemieux dans l’histoire de l’éducation au Québec est politique et concerne les tensions sur les finalités de l’enseignement de l’histoire, l’élaboration des programmes et le cycle politique des réformes. Le concept de controverse mais surtout l’intérêt que l’auteur porte aux groupes d’intérêt professionnels (notamment la Société des professeurs d’histoire du Québec) offre un panorama complet des « forces en présence » aux différents moments des cycles politiques (consultation, élaboration, révision, mise en place). Lemieux présente ainsi un récit thématique et chronologique organisé autour de quatre périodes correspondant aux cycles des programmes d’histoire du Québec au secondaire. La première période (1961-1976) s’ouvre avec le rapport Parent et se termine par la publication du livre vert sur la culture à la fin du règne de Robert Bourassa. La réforme pédagogique du gouvernement du Parti québécois marque le début de la seconde période (1977-1994). Celle-ci s’achève par la « rénovation » du programme scolaire québécois qui sera notamment orientée par les travaux du groupe Corbo. La troisième période (1994-2013) prend appui sur les réflexions qui, plus tard, vont se muer en une lutte polarisée jusqu’à la création du comité Beauchemin—Fahmy-Eid. Enfin, la dernière période concerne le cycle actuel depuis la création de ce comité. Les périodes se caractérisent évidemment par leurs programmes respectifs, ceux-là mêmes qui sont au coeur des controverses évoquées par l’auteur : les programmes de 1967 et 1970 pour la première période, celui de 1982 pour la seconde, le programme de 2006 pour la troisième et finalement le plus récent programme de 2017 pour la quatrième (cycle en cours).
À travers cette structure, Lemieux se donne comme objectif d’identifier la « source du pouvoir de contrôle » sur l’élaboration des programmes d’histoire, à l’image du travail de l’historienne Patricia Legris sur les programmes français (p. 11). Un des éléments qui retiendra l’attention, c’est la responsabilité changeante du poste de responsable des sciences humaines au ministère de l’Éducation ; l’autorité verticale qui caractérise d’abord sa position s’effrite puisqu’il perd certains pouvoirs d’approbation et d’évaluation notamment en ce qui a trait au matériel didactique. La trame chronologique s’avère ainsi particulièrement appropriée puisqu’elle permet de constater une forme de démocratisation puis de complexification des processus de réforme au fil des quatre périodes. Pour l’auteur, c’est dans un contexte de technocratisation de l’État que s’opère cette complexification menant à une « perte progressive du caractère humain de l’acte de consultation » (p. 130). À cet égard, l’ouvrage de Lemieux permet effectivement de circonscrire les grandes transformations sociales du Québec des années 1960 à aujourd’hui sans nécessairement les nommer ; elles s’incarnent à travers les différentes orientations qui guident les acteurs en présence lors de l’élaboration des programmes. La trame qui structure le livre ne déroge pas du choix de l’angle politique puisque l’ensemble de l’étude réfère à des facteurs et déterminants internes du champ de l’éducation. Ces moments ne sont évidemment pas étrangers au contexte politique qui anime le Québec à cette époque, mais on comprend rapidement que leur mise en place dépasse la durée de vie des différents gouvernements.
À travers cet ouvrage, Lemieux nous convainc décidément de la pertinence du regard qu’il pose sur les sources de pouvoir dans l’élaboration des programmes puisqu’on comprend comment certaines controverses peuvent laisser des marques dans la perception des acteurs de l’éducation, mais aussi dans leurs pratiques. Lemieux souligne également comment la commission Parent s’est échelonnée sur plusieurs années malgré l’urgence apparente de réforme de l’époque. En effet, la situation sociologique de l’éducation au Québec se caractérise alors par un contexte de crise découlant d’un certain pluralisme de la culture entre humanités classiques, culture de masse et éducation technique (p. 25). De ce fait, le long processus de la commission met de l’avant une perspective plus utilitaire de l’éducation.
Sans prétendre couvrir l’ensemble du sujet, Lemieux mentionne au passage la nécessité de s’interroger davantage sur la manière dont les groupes internationaux tels que l’OCDE et l’ONU ont pesé sur des décisions aux différents moments des réformes. On regrette finalement quelque peu la place somme toute plutôt mince accordée au concept de controverse lui-même, tout comme l’utilisation trop ponctuelle des sources journalistiques pour l’appuyer. Toutefois, nous saluons le processus d’édition d’une thèse de plus de 400 pages en un ouvrage clair, précis et savant auquel de nombreuses rubriques ont été ajoutées pour expliciter certains concepts ou présenter des extraits d’entrevue, de façon à ne rien perdre du rigoureux travail de recherche derrière le texte initial. Ainsi, l’ouvrage qui nous parvient apporte un éclairage riche et documenté sur le sujet particulièrement sensible de l’enseignement de l’histoire au Québec.