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Ce qui s’annonce à la lecture du titre du livre de Marc-André Comeau comme la monographie d’une lignée acadienne est, en fait, plus que cela. C’est l’histoire d’une famille euro-canadienne depuis ses origines normandes jusqu’à son intégration à l’une des branches de la société autochtone du Nouveau Monde, celle des Micmacs. La préoccupation sous-jacente de l’auteur, d’ailleurs fortement appuyée dans son introduction, est de documenter en même temps l’émergence d’une communauté métisse dans la baie des Chaleurs.
Mais c’est aussi une histoire régionale où l’accent est mis sur le mode de vie auquel les Mallet s’intègrent, la pêche à la morue, une activité très peu étudiée dans l’histoire nationale. Du coup Comeau anime tout un pan de la fresque économique et sociale de la Nouvelle-France. Pour ce faire, il donne vie à la famille Mallet en respectant un récit linéaire, où la trame historique se déroule suivant l’ordre du temps. En soi, le procédé est simple, mais il s’enrichit d’une approche qui n’est pas sans rappeler le jeu des échelles d’observation développé dans le cadre de la micro-histoire. L’auteur présente son héros François Mallet à hauteur humaine (son lieu de naissance, sa famille, ses obligations professionnelles, ses contacts avec les autochtones) pour ensuite l’insérer dans un parcours global qui s’inscrit dans une perspective nationale : la mouvance transcontinentale des morutiers, le commerce triangulaire basé sur l’exploitation de la morue salée-séchée, le développement des seigneuries maritimes en région, l’accueil et l’intégration européenne aux familles micmaques, les guerres intercoloniales et, finalement, la Conquête.
Marc-André Comeau nous présente son sujet en plus de 20 chapitres regroupés en cinq parties. L’ensemble ne nous offre rien d’extraordinaire, cependant le procédé procure au récit une progression tout aussi logique que croissante. La première partie est centrée sur la carrière de Jean Mallet, le premier du nom en terre d’Amérique et père du personnage central, François, son fils. C’est l’occasion de le suivre avec ses congénères dans le golfe Saint-Laurent. On le retrouve alors dans les hauts lieux de la pêche à la morue, au Petit Nord (T.-N.), à Saint-Pierre et Miquelon, pour terminer la course à l’île Royale (île du Cap-Breton) et de là à la baie des Chaleurs.
La seconde partie du livre s’arrête à François I Mallet, le principal sujet à l’étude, celui qui donnera une progéniture d’abord en Gaspésie et plus tard en Acadie. Le « I » s’explique parce que François I Mallet a un frère homonyme qui déménagera plus tard au Cap Breton (1749), après le retour de la forteresse de Louisbourg à la France. Les deux hommes mèneront des carrières distinctes. Le premier du nom, notre héros, s’est fixé sur les rives de la péninsule gaspésienne en 1729, mais il y venait depuis nombre d’années déjà. Nous apprenons qu’il a fait ses premières armes dans la navigation côtière en France dès l’âge de quinze ans avant de traverser en Amérique. Cette partie du livre est l’occasion de détailler les opérations de transformation du poisson sur les côtes de la Nouvelle-France, de relever les premières implantations halieutiques dans la baie des Chaleurs et d’expliquer les allers-retours de François I entre la France et l’Amérique.
La troisième partie de l’étude menée par Comeau établit le lien entre le jeune pêcheur français et la famille de son épouse, Marguerite Larocque-Caplan, celle par qui la lignée peut revendiquer ses racines métisses. En mettant l’accent sur cette parentèle, l’auteur en profite pour faire état des premiers cas documentés de familles métisses dans la baie des Chaleurs. Du coup, il apporte un éclairage sur la composition du clan source, les Caplan, et les activités qu’il mène dans le domaine des pêches.
L’avant-dernière partie du livre débute avec le mariage de François Mallet et son installation à Grande-Rivière. C’est l’occasion de plonger le lecteur dans les incidences de la guerre de Succession d’Autriche. L’histoire familiale pourrait prendre fin avec le décès du héros principal en 1752, mais l’auteur rappelle l’arrivée de nouveaux membres de la famille dans la baie des Chaleurs. Le chapitre raconte certains des incidents qui marquent la vie des années 1750 dans le golfe du Saint-Laurent et préparent rien de moins que la guerre de la Conquête.
La dernière partie du récit de Marc-André Comeau est véritablement la plus développée. En fait, l’auteur s’éloigne passablement du parcours de François Mallet pour adopter une vision plus large de son sujet. Il s’attache dans un premier temps à nous expliquer les péripéties qui conduisent à l’arrivée en 1758 des forces britanniques en Gaspésie puis à la poursuite de leurs opérations jusque sur les plaines d’Abraham en 1759. Après quoi, il présente les dernières résistances de la France qui, en fait, se sont déroulées dans la baie des Chaleurs à la faveur de la bataille de la Ristigouche (et non Restigouche, comme l’écrit Comeau). Ici, rien de nouveau, mais c’est l’occasion d’expliquer l’arrivée des Mallet en Acadie et l’émergence d’une communauté mixte, formée d’Euro-canadiens et de Micmacs. Le détour lui permet de camper le sort réservé à la communauté acadienne au moment et à la suite de la Conquête.
S’il est un mérite que l’on peut attribuer au livre Pêcheur normand, famille métisse, on doit dire que Comeau reconstitue de belle façon le climat des relations d’affaires et de travail des pêcheurs en utilisant les données déterrées par les chercheurs qui l’ont précédé. De plus nous avons là une chronique familiale campée sur un fond d’histoire nationale, mais qui s’est déroulée sur les côtes de la Nouvelle-France. Comeau raconte l’épopée d’une famille de pêcheurs tout en rafraîchissant les connaissances sur les activités de pêche qu’ils ont développées sur les rives de la baie des Chaleurs. Alors que la littérature historique se concentre en général sur ce qui s’est passé au coeur de la colonie, l’auteur apporte ici une contribution dont le sujet sort des sentiers battus.