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Si les études sur la mémoire et les commémorations au Canada sont riches et nombreuses, Joël Belliveau et Marcel Martel tentent avec Entre solitudes et réjouissances de compléter et synthétiser les recherches entreprises sur la conception et les usages des fêtes dites nationales dans les communautés francophones au Canada. Belliveau et Martel réunissent neuf contributions présentant les origines et l’évolution des fêtes nationales célébrées par les Acadiens et les Canadiens français, soit la Saint-Jean-Baptiste, la fête de la reine Victoria, la fête de l’Empire, la fête de Dollard, la fête du Dominion / de la Confédération / du Canada et la fête de l’Assomption. Les six contributeurs ont tous publié ailleurs sur les célébrations commémoratives au Canada. Notamment, plus d’un chapitre du collectif semblent être une continuation de leurs contributions dans le premier volume de Celebrating Canada dirigé par Matthew Hayday et Raymond B. Blake (2017).

L’ouvrage s’intéresse spécifiquement à la manière dont les fêtes sont constituées par leurs organisateurs du 19e au 20e siècle. Néanmoins, les auteurs assoient tous leur contribution sur comment les membres des communautés étudiées reçoivent, comprennent et célèbrent ces fêtes, en insistant sur la très grande variabilité des célébrations à travers le temps et l’espace. La variabilité étant incontournable, Belliveau et Martel organisent savamment l’ouvrage selon le calendrier annuel des fêtes, seul élément commun aux fêtes à l’étude. Ainsi, les auteurs présentent comment les francophones du Canada célèbrent des nationalités souvent divergentes fêtées les 24 mai, 24 juin, 1er juillet et 15 août, alors même que le nom et le thème des fêtes changent dans le temps.

Le 24 juin reçoit le plus grand nombre de chapitres explorant les origines de la fête au 19e siècle (Martel), puis les idéologies et activités déployées au 20e siècle au Québec (Marc-André Gagnon), en Ontario français (Serge Miville) et dans l’Ouest canadien (Dominique Laporte). Ensemble, les auteurs démontrent la lente évolution de la fête (d’abord aussi religieuse que civique) et comment la politisation de celle-ci (de plus en plus laïque) reflète la fragmentation du Canada français au cours du 20e siècle. En effet, avec les années 1970 et 1980, la Saint-Jean est entièrement provincialisée, même au Québec où elle promeut le projet national québécois et le nationalisme civique. D’un chapitre à l’autre, les auteurs démontrent aussi comment l’évolution du 24 juin reflète l’évolution et l’influence des organismes et de l’activisme canadien français et québécois, avec ou sans reconnaissance officielle.

La question de la résistance aux discours nationaux anglo-canadiens apparaît beaucoup dans l’ouvrage, mais se concentre plus dans les deux chapitres de Belliveau et Martel sur le 24 mai. En conjonction avec le chapitre de Martel sur le 1er juillet, les auteurs font ressortir comment les Canadiens français en tant que communauté(s) nationale(s) ont résisté aux tentatives d’imposition de célébrations nationales anglo-canadiennes, particulièrement aux interventions du gouvernement fédéral. Le thème des tensions et des contestations entre visions nationales concurrentes est par ailleurs une orientation avouée du collectif, formant un fil conducteur du livre, notamment envers une vision nationale canadienne, mais aussi lorsque ces oppositions apparaissent entre francophones. Par exemple, du chapitre de Martel sur le 1er juillet émerge la conclusion que le manque de consensus des Québécois envers une idée commune du Canada contribue à l’ambivalence de ces derniers envers cette fête.

Au fil de la lecture, on comprend facilement que les célébrations nationales francophones au Canada, de même que leurs activités et rituels, sont le fruit de négociations entre organisateurs et communautés, tout comme le thème du remplacement continu des idéologies qui les justifient. On le voit évidemment dans les multiples changements de noms des fêtes du 24 mai et 1er juillet, et dans la fragmentation des fêtes du 24 juin. Cependant, un certain va-et-vient idéologique se voit aussi dans l’évolution de la fête nationale acadienne du 15 août. Les deux collaborations de Belliveau et Michael Poplyansky sur la fête de l’Assomption sont bienvenues. Les auteurs proposent une synthèse de la foule d’articles et de thèses s’étant penchés sur des dizaines d’instances de la fête depuis sa conception en 1881. Ici aussi, la négociation et la variabilité sont au centre des conclusions. Bien que conçue comme une fête nationale constitutive et unificatrice par les délégués de la première Convention nationale acadienne, l’Assomption reflète immédiatement la multiplicité des communautés acadiennes qui les organisent, un miroir de l’extrême variabilité de l’expérience acadienne au pays depuis lors. Cependant, la synthèse de Belliveau et Poplyansky se limite principalement aux études existantes, ce qui résulte en une sous-représentation des exemples de célébrations du 15 août hors du Nouveau-Brunswick. Néanmoins, il appert que la fête du 15 août subit aussi une provincialisation dans les Maritimes, d’une manière analogue à celle du 24 juin dans le Canada français.

Soulignons la présence d’une conclusion générale, qui permet de présenter les convergences entre les fêtes et leur évolution. Outre la fragmentation grandissante des fêtes et des identités francophones déjà soulignée, Belliveau et Martel remarquent le rôle central et l’agentivité des participants dans la constitution et la signification des fêtes, mais aussi dans le rejet des activités et des rituels de celles-ci. Lorsqu’une célébration ne colle plus, lorsque les conjonctures politiques changent, les fêtes doivent aussi changer, au risque d’être abandonnées. Au-delà des efforts plus ou moins avoués d’affirmation nationale dans le très long terme, c’est la transformation même de la manière de célébrer qui saute aux yeux. La commercialisation des fêtes et l’organisation de mégaspectacles deviennent quasiment universelles avec les années 1970 et les exemples s’accumulent de chapitre en chapitre.

La conclusion générale permet aussi à Belliveau et Martel d’admettre, tard et trop brièvement, ce qu’ils nomment leurs « angles morts » (p. 289), soit l’absence des femmes et des autochtones dans les chapitres, mais aussi parmi les contributeurs, ce qui cause des silences inconfortables. Le sexisme et le colonialisme inhérents à tout discours national en Amérique du Nord, y compris au Québec et en Acadie, sont complètement absents de l’analyse. Soit ! très peu d’études en ont tenu en compte jusqu’à présent (N.V. Nelles étant une rare exception), ce qui ne facilite pas la synthèse. Cependant, un plus grand soin, ou du moins une plus longue explication, aurait été de mise. Comme tous les discours nationaux, les discours nationaux canadiens-français et acadiens sont construits sur l’exclusion de l’Autre. Malheureusement, même le chapitre de Gagnon sur le 24 juin au Québec au 20e siècle, où il démontre comment la fête peine à attirer les non-Canadiens français, explique mal ces fractures idéologiques. Dans un ouvrage de si haute qualité, cette lacune est décevante.