Cet ouvrage vient s’ajouter à la mince production d’oeuvres consacrées aux Acadiennes en palliant quelques lacunes énumérées dans l’introduction. Du numéro spécial de la revue Égalité publié à Moncton en 1983 par un comité principalement masculin jusqu’au volume Vers l’équité salariale, paru en 2014, qui se penchait sur la condition économique des femmes en Acadie, en passant par L’Acadie au féminin (2000) et le dossier sur les femmes publié par Dalhousie French Studies (2003), on ne peut pas dire que les travaux sur les femmes acadiennes aient été nombreux. C’est pourquoi Paroles et regards de femmes en Acadie s’impose auprès de celles et ceux qui s’intéressent à la condition féminine tant en Acadie que dans les autres sociétés dites périphériques où les femmes sont doublement marginalisées. Après l’introduction, qui situe le projet dans le contexte de l’Acadie historique, littéraire, sociopolitique et économique, l’ouvrage est divisé en trois grandes parties. La première traite principalement de la place des femmes dans l’histoire acadienne et dans le « grand récit » nationaliste. L’historienne Phyllis LeBlanc l’ouvre par une excellente synthèse des ouvrages récents sur l’Acadie et de la place qu’on y a fait aux femmes. Sa réflexion historiographique l’amène à constater que « les synthèses continuent à représenter les femmes comme un ajout au récit dont les grandes lignes de l’interprétation et le cadre d’analyse du passé sont déjà définis et représentés selon l’optique ou la mentalité du sujet historique dominant : le masculin » (p. 25). En d’autres mots, il ne suffit pas d’ajouter les femmes au récit dominant : il faudrait plutôt revoir entièrement la perspective dans laquelle l’histoire est abordée. Son chapitre judicieusement placé en début du volume donne le ton. Julien Massicotte enchaîne avec un chapitre sur les mouvements féministes des années 1970. Il montre le paradoxe d’une Acadie traditionnelle forte en symboles féminins (p. 50-51) mais loin d’être féministe, car les voix masculines de cette Acadie — celle de la Renaissance de la fin du 19e siècle — valorisent la femme principalement dans son rôle maternel. Massicotte explore les conjonctions et disjonctions entre les mouvements nationalistes et le féminisme en Acadie. Il remarque que les féministes auront tendance, en tant que groupe opprimé, à se ranger à gauche politiquement et ainsi verront dans le mouvement socialiste la possibilité de faire avancer leur cause. Malheureusement, à son avis, la plupart de ces mouvements considéreront le féminisme comme une lutte secondaire par rapport aux luttes entre les classes sociales (p. 60). Michael Poplyansky complète le portrait dressé par Massicotte en s’attardant aussi au féminisme et au néonationalisme par l’examen des procès-verbaux, des discours et des tracts du Parti acadien. Il note bel et bien la présence de groupes de femmes tels que les Dames d’Acadie et les Femmes acadiennes de Moncton, mais il observe que ces mouvements associatifs manifestent plus de continuité que de rupture avec les valeurs du passé. Il conclut que le Parti acadien n’a pas su intégrer le féminisme comme valeur essentielle. Dans le dernier chapitre de la première partie, Mélanie Morin explore la place des femmes dans l’espace public en Acadie dans le contexte de la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada (1967-1970). Cette commission, qui a émis 167 recommandations pour donner des « chances égales » aux femmes (p. 99), avait sollicité et recueilli des contributions du public, dont un mémoire soumis par le Groupe des femmes de la région de Moncton. Selon Morin, les signataires de ce mémoire et leurs réunions et travaux constitueraient « l’un des moments fondateurs du mouvement féministe contemporain en Acadie » (p. …
Thibeault, Jimmy, Michael Poplyansky, Stéphanie Saint-Pierre et Chantal White (dir.). Paroles et regards de femmes en Acadie. Québec, Presses de l’Université Laval, 2020, 341 p.[Record]
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Chantal Richard
Université du Nouveau-Brunswick