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Cette courte monographie retrace l’histoire institutionnelle d’une méthode d’enseignement, la Méthode dynamique, vouée à l’apprentissage de la lecture par les élèves du primaire. Le livre nous renvoie dans l’univers éducatif d’avant la Révolution tranquille et explique comment la communauté religieuse des Filles de la Charité du Sacré-Coeur de Jésus (FCSCJ) établie à Sherbrooke a navigué dans le monde de l’éducation dominé par le Conseil de l’instruction publique pour concevoir, faire approuver et diffuser une méthode d’apprentissage originale.
On doit reconnaître le travail en archives exécuté par Sébastien Lecompte-Ducharme, finissant au doctorat en histoire au moment de la publication de l’ouvrage, qui réussit à donner une vue d’ensemble des outils et des mécanismes employés par les FCSCJ pour répandre leurs techniques d’enseignement. Son livre, une commande de la communauté, n’a pas l’ambition d’être un ouvrage plus horizontal dans son approche. Cela dit, l’auteur semble avoir eu accès à une riche documentation. Son étude, combinée à la connaissance d’un lecteur averti et savant, permet de démontrer et de confirmer certains aspects de l’histoire de l’éducation au Québec. C’est un ouvrage modeste mais utile. Il publicise le contenu d’archives méconnues et enrichit une historiographie mal-aimée : lointaine est l’époque où la glorification du travail acharné des communautés religieuses en éducation était célébrée dans l’espace public québécois.
Lecompte-Ducharme opte pour un plan chronologique classique et livre une histoire institutionnelle très traditionnelle. On plonge rapidement dans un récit qui s’étend des années 1940 aux années 1990, dans lequel l’auteur lui raconte la naissance de la méthode dynamique, la complexité de sa mise en place officielle grâce aux instances de l’éducation du Québec et à l’imprimerie des Frères de l’instruction chrétienne, les modalités de sa diffusion au Québec et à l’étranger, puis son crépuscule, qui s’étend des années 1970 aux années 1990. À travers ce récit, une personnalité ressort : celle de soeur Renée du Saint-Sacrement, née Marie-Antoinette Guinebretière. Cette pédagogue française brillante, préfète des études des FCSCJ à partir de 1949, a été la conceptrice principale de la Méthode et sa force motrice jusqu’à sa mort en 1973. Le lectorat habitué des histoires institutionnelles des écoles et collèges tenus par des communautés religieuses est ici en terrain connu. L’auteur laisse largement dans l’ombre le travail en amont effectué par les enseignantes dans les classes, celles qui ont testé la méthode, au profit d’une héroïne au sommet de la hiérarchie communautaire. Le mérite de soeur Renée est bien démontré par Lecompte-Ducharme, mais le procédé n’en est pas moins habituel.
Apprendre à lire autrement illustre bien les transformations qui ont cours dans le milieu de l’éducation durant la période étudiée, qui a pour pivot la Révolution tranquille. Les FCSCJ sont en effet confrontées à la prise en charge par le gouvernement du Québec, par le biais du ministère de l’Éducation (MEQ), des écoles et des programmes d’enseignement à partir des années 1960. La Méthode dynamique est née dans un univers éducatif québécois qui, sans être enviable, permettait l’initiative à petite échelle. Une fois leur matériel approuvé par le Conseil de l’instruction publique en 1951, les soeurs peuvent librement diffuser leur Méthode dans un système éducatif confessionnel et décentralisé. Par leur dynamisme, les FCSCJ réussissent à imposer leurs techniques d’enseignement en créant un réseau d’écoles et d’enseignantes qu’elles ont elles-mêmes formées. Or, la création du MEQ entraîne une standardisation de l’enseignement au Québec : l’éducation en ressort globalement gagnante, mais, comme le montre l’auteur, le système centralisé perd en flexibilité, si bien que le matériel pédagogique de la méthode dynamique peine à obtenir l’approbation des fonctionnaires dans les années 1980.
À cause du plan chronologique de l’auteur, une lecture fouillée est nécessaire pour extraire de l’ouvrage une substantifique moelle qui dépasse la stricte histoire de la méthode. Qu’il s’agisse des relations entre les FCSCJ et les instances gouvernementales, des difficultés rencontrées par les soeurs pour l’impression de leur matériel ou de la mise en place successive de divers plans de formation pour enseignantes pour s’ajuster à un milieu de l’éducation changeant, Apprendre à lire autrement contient beaucoup d’informations qui sont malheureusement éparpillées dans l’ensemble de l’ouvrage. Il faut prendre beaucoup de notes, par exemple, pour reconstituer la trame historique qui a mené les FCSCJ à créer leur propre maison d’édition au milieu de la décennie 1970. L’ouvrage aurait certainement bénéficié d’une structure plus thématique.
À ce problème d’organisation du récit s’ajoutent un travail d’édition inachevé et quelques écueils d’interprétation. C’est que le livre manque souvent de profondeur. L’auteur décrit le contenu de nombreuses boîtes d’archives sans qu’on en comprenne toujours la signification. Le plus grave, peut-être, est que Lecompte-Ducharme ignore la dimension didactique de l’histoire de la méthode dynamique. Après avoir lu l’ouvrage, on peine à comprendre ce qu’est la Méthode, alors qu’on saisit bien mieux sa grande diffusion à l’extérieur des frontières du Québec. Tout au plus apprend-on qu’il s’agit d’un croisement entre la méthode globale (par l’identification des mots) et la méthode synthétique (par l’identification des lettres et des syllabes). Puisque l’auteur n’a pas su analyser et comprendre le matériel pédagogique dont il fait l’histoire, son lectorat ne pourra apprécier les valeurs que ce matériel transmet et les messages qu’il envoie.
Une analyse plus fine aurait certainement permis à Lecompte-Ducharme de mieux comprendre la relation entre le travail d’une religieuse et celui d’une pédagogue. Apprendre à lire autrement exprime une conception utilitariste du rapport entre la religion et le métier d’enseignant pour une soeur. Or, il semble échapper à son auteur qu’en enseignant aux enfants, les soeurs accomplissent leur vocation religieuse et diffusent un régime de valeurs catholiques pour encadrer la jeunesse. En enseignant, la soeur ne fait pas que travailler, elle prêche.