Comptes rendus

Gendron, Céline, Le papier voyageur. Provenance, circulation et utilisation en Nouvelle-France au XVIIe siècle (Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2018), 370 p.[Record]

  • Dr John Willis

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  • Dr John Willis
    Historien

Dans le cadre de ce livre, l’auteure fait le pari que, moyennant une contextualisation appropriée, le papier peut offrir une meilleure compréhension de notre histoire. Il s’agit d’un grand voyage. L’origine du papier remonte à l’Antiquité chinoise où – circa l’an 62 à 121 de notre ère – il sert de support sacré pour l’entretien du culte des anciens et de support écrit pour l’enregistrement et la conservation des édits impériaux (p. 26). L’écriture prolonge ainsi et la mémoire et la portée de l’État. Le papier passe en Occident, emporté depuis Xian (dans l’Ouest du vieil empire), dans le sillage des migrations de la civilisation musulmane. Il atteint l’Europe médiévale en passant soit par le Nord de l’Afrique et l’Espagne, ou soit par la Sicile et l’Italie. Il arrive en France au XIVe siècle, se disséminant par les foires de Champagne. Du XIVe au XVIIIe siècle, la France se distingue au sein de l’Europe en tant que grand producteur de papier. Perchée de l’autre côté de l’océan, la Nouvelle-France est une province éloignée de la métropole dont le papier sert de cordon ombilical et impérial. Spécialiste du papier, Mme Gendron l’examine dans toute sa matérialité. Elle raconte la technologie de sa fabrication, poussant sa recherche jusqu’à l’identification du producteur d’une feuille de papier en scrutant le filigrane (water mark), soit la marque discrète sur une feuille où le producteur inscrit ses initiales, sa marque de commerce industrielle. Par l’examen des filigranes sur un échantillon de documents écrits appartenant à l’histoire de la Nouvelle-France, l’auteure parvient à identifier le producteur et la provenance géographique du papier (p. 55). Le papier est dans tous les cas importé en Nouvelle-France depuis la France, car il n’y a pas de moulin à papier dans la colonie. Deux régions se distinguent en tant que fournisseurs : l’Angoumois, le bassin de la Charente et les pays au Sud de cette rivière ; et l’Auvergne, région située dans le Massif central à l’ouest de Lyon. Certains facteurs orientent la localisation des moulins à papier. D’abord, tout moulin requiert un accès privilégié à l’eau, ressource naturelle qui fournit le pouvoir hydraulique pour faire tourner roues et engrenages qui actionnent les grandes piles à maillet effectuant le défilage des chiffons. Ensuite, c’est la pureté de l’eau qui assure la qualité du fini du papier. Pas question de permettre aux grains de sable et autres impuretés d’abimer la surface du papier en devenir. Un autre facteur expliquant la localisation des moulins est l’accès à des réserves de la principale matière première, des chiffons, provenant d’un marché urbain à proximité ou, parfois, on met la main sur des produits dérivés (retailles et déchets) que jettent les fabricants de toile (p. 40). L’histoire du papier ne suit pas la même évolution géohistorique dans l’Angoumois (chap. 5) que dans l’Auvergne (chap. 6). Le papier angoumois est transporté par bateau le long de la Charente en direction de la côte Ouest de la France, et via le port de la Rochelle vers l’Europe et l’ensemble de l’Atlantique. Les marchands hollandais jouent un rôle clé dans le financement et la commercialisation de l’industrie du papier (p. 95). Une partie du papier utilisé en Nouvelle-France arrive ainsi de la côte Ouest. Une autre partie y arrive depuis l’Auvergne en passant par Paris, la nouvelle capitale des imprimeries françaises ; cette ville ayant détrôné Lyon au XVIIe siècle (p. 126-129). Le papier est transporté le long de la Loire en direction d’Orléans, puis est transféré sur des charrettes qui se dirigent vers Paris. Une portion de la production évite Paris pour …