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Il est assez peu fréquent, quoique fort intéressant, de pouvoir lire des ouvrages portant sur l’histoire de l’éducation des francophones hors Québec. Nous avons ici une belle occasion de le faire grâce à l’ouvrage de Nicolas Landry, professeur d’histoire au campus de Shippagan de l’Université de Moncton. Dans son ouvrage récemment paru, qu’il veut inscrire dans le sillage de Philippe Volpé plaidant pour une « histoire incarnée » de l’Acadie (p. 17, note 1), il s’attarde au parcours d’enseignante de l’Acadienne Marie-Esther Robichaud (1910-2003). Il s’agit d’un long parcours qui s’étend sur plus de 30 ans et qu’il retrace grâce au dépouillement de l’abondante correspondance que celle-ci a entretenue avec les enseignants et les enseignantes dont elle avait la responsabilité et aussi bien sûr avec les administrateurs scolaires, alors quasi tous masculins.

Après avoir brièvement fait état dans un premier chapitre de l’historiographie et de l’histoire de l’éducation au Nouveau-Brunswick, l’auteur retrace la carrière d’enseignante de Madame Robichaud qui s’étend de 1929 à 1944. Il s’agit d’une période fort active de sa vie professionnelle, au cours de laquelle elle fonde le cercle pédagogique de l’École supérieure de la ville de Shippagan et devient présidente de son association des enseignants et enseignantes.

On peut penser que sa nomination à la tête de cette association lui vaut de devenir en 1944 l’assistante du surintendant des écoles du comté de Gloucester. Quoi qu’il en soit, elle occupera cette fonction durant deux décennies, soit jusqu’en 1964. Ses rapports d’inspection révèlent les réalités éducatives difficiles rencontrées dans le comté, difficultés d’ailleurs aussi présentes au Québec à cette époque, soit les lacunes de la formation et de l’enseignement des maîtres et des maîtresses, les déficiences des infrastructures scolaires et même celles du matériel pédagogique. À cela s’ajoutent les défis, également bien connus alors au Québec, que rencontrent les maîtres et les maîtresses des comtés ruraux : fréquentation saisonnière des écoliers et écolières, rémunération déficiente des maîtres et surtout des maîtresses d’école, relations difficiles avec des syndics souvent parcimonieux, sans compter les interventions fréquemment non désirées des parents dans les affaires et le choix des matières enseignées à l’école.

L’auteur évoque également le rôle de Marie-Esther Robichaud auprès des mouvements associatifs, car ses fonctions l’amènent aussi à agir dans les foyers-écoles et les cercles pédagogiques qu’elle a contribués à développer. Elle s’implique ainsi activement auprès des enseignants et des parents. Seul petit bémol qu’a noté l’auteur : « Marie-Esther semble toutefois partager avec les enseignant-e-s “une certaine insécurité” en matière d’enseignement religieux » (p. 150).

Infatigable, elle s’attaque ensuite au problème du retrait quasi automatique de l’enseignement des femmes qui se marient, alors que se produit un important ralentissement du recrutement parmi les congrégations religieuses. Cette attitude s’impose tout particulièrement durant la Seconde Guerre mondiale, période durant laquelle des enseignants masculins sont enrôlés. Soucieuse de la formation continue des maîtres, elle encourage le perfectionnement des stagiaires en enseignement (ou apprentis maîtres) et se fait l’une des grandes promotrices des cours d’été offerts aux instituteurs.

Comme au Québec, peut-on lire dans l’ouvrage de Nicolas Landry, l’enseignement reste au Nouveau-Brunswick une profession largement féminine. Ainsi, dans le comté de Gloucester, le pourcentage des femmes dans l’enseignement se situe entre 87 et 89 %. Plus du tiers de ces enseignantes sont mariées et au moins 20 % sont religieuses.

L’auteur aborde également l’« implication exemplaire » de Marie-Esther Robichaud, même après sa retraite de l’enseignement en 1964. Ainsi, elle promeut l’implantation d’un collège féminin à Shippagan. Elle-même musicienne, elle recueille du matériel pour l’enseignement de la musique, n’hésitant pas à communiquer à ce sujet avec l’abbé Charles-Émile Gadbois, l’auteur bien connu du recueil La Bonne Chanson.

Elle remplit également le rôle de « chroniqueuse du couvent » et poursuit cette activité lorsqu’il devient un collège classique pour filles, le Collège Jésus-Marie, lequel, comme tout collège féminin, doit être affilié à un collège masculin. Pour cette optimiste, « l’arrivée des garçons ajoute à la vie étudiante » de l’établissement, s’avère un « élément nouveau » et crée une « atmosphère intéressante » (p. 190). Sa contribution à l’avancement de l’éducation au nord-est du Nouveau-Brunswick est indéniable. Infatigable, elle siège en 1976 au conseil d’administration du nouveau centre de documentation de la Société historique Nicolas-Denys de Shippagan et en sera la secrétaire de 1978 à 1994. L’auteur souligne également son rôle d’historienne. Elle publie en effet plusieurs textes dans un numéro spécial de la Revue d’histoire de la Société historique Nicolas-Denys consacré à l’histoire de l’éducation des francophones au nord-est du Nouveau-Brunswick, dans lesquels elle aborde notamment l’origine des cercles pédagogiques, le contenu de la revue publiée par les instituteurs ainsi que l’éducation permanente. Toutes ces activités seront récompensées par le Prix de mérite de l’Association des enseignants francophones du Nouveau-Brunswick. Sa contribution à l’avancement de l’éducation au nord-est du Nouveau-Brunswick sera aussi reconnue par l’Université de Moncton qui lui décerne un doctorat honorifique en Sciences de l’éducation en 1983.

En conclusion, Nicolas Landry dresse, notamment dans un tableau situé à la toute fin de son ouvrage (p. 204), un Bilan des activités et des reconnaissances manifestées envers Marie-Esther Robichaud 1948-1976. Le lecteur retiendra surtout que cette dernière, certes « l’une des plus célèbres pionnières de l’enseignement francophone » du Nouveau-Brunswick, aura laissé, avec la création des foyers-écoles, des cercles pédagogiques et même d’un festival de musique, « des traces tangibles de son passage dans le paysage éducationnel francophone » (p. 202).