Par son ouvrage Vivre au coeur de « paroisses de femmes » dans la région de Charlevoix, 1940-1980, Marie-Pier Bouchard nous livre une contribution novatrice à l’histoire régionale de Charlevoix, sous l’angle des femmes ayant dû composer avec l’absence de leur mari, migrant saisonnier. Inspirée par le vécu de ses grands-mères, elles-mêmes femmes de maris migrants, Bouchard cherche à intégrer les femmes charlevoisiennes au récit régional, alors que les études historiques concernant Charlevoix se sont largement concentrées sur les questions de parenté ou de villégiature tout en demeurant, au dire même de l’autrice dans son mémoire de maîtrise, « plutôt silencieuses sur les femmes de la région ». Tout comme le mémoire dont il est issu, cet ouvrage s’inscrit dans la foulée de la jeune historiographie des « femmes dans l’absence ». Pour réaliser cette étude se situant à la croisée de l’histoire régionale et de l’histoire des femmes, Bouchard emprunte aux techniques de l’histoire orale afin de saisir la réalité du quotidien de ces Charlevoisiennes qui ont vécu les départs ponctuels mais réguliers de leur époux entre les années 1940 et 1980. Dix-sept femmes âgées entre 65 et 90 ans ont été questionnées sur les migrations saisonnières de leur époux – ou de leur père – et leurs répercussions sur les aspects économiques, familiaux et communautaires de leur quotidien. Ces trois aspects font chacun l’objet d’un chapitre. Le premier chapitre, qui s’attarde à la « contexture géoéconomique charlevoisienne » (p. 17), nous fait comprendre l’importance de la pluriactivité et des migrations saisonnières de nombreux Charlevoisiens afin d’assurer la subsistance de leur famille. En effet, même si le territoire de Charlevoix recèle des ressources naturelles diversifiées avec ses terres agricoles, ses rivages et son couvert forestier, celles-ci n’ont qu’un potentiel restreint. Essentiellement « terre de roches » (p. 12), l’espace charlevoisien n’offre qu’une agriculture difficile et limitée, ce qui force les hommes à se tourner vers la navigation ou la coupe forestière comme activités de subsistance principales. S’ensuivent d’incessants allers-retours périodiques des hommes entre la paroisse d’origine et l’extérieur, réaménageant au passage l’organisation familiale, alors que le chef de famille est appelé à s’absenter cycliquement. Dans de nombreux villages charlevoisiens où partir est moins un choix qu’une nécessité économique, travailler à l’extérieur de la paroisse devient « presque une norme » (p. 31), transformant ainsi saisonnièrement certains villages charlevoisiens en paroisses de femmes. Si le chapitre 1 fournit les explications sur les migrations saisonnières masculines observées dans Charlevoix, c’est à partir du chapitre 2 que commence l’analyse des conséquences de cette migration en fonction du point de vue des épouses de migrants. Le chapitre se penche sur l’espace familial en questionnant la réorganisation familiale engendrée par les cycles d’absence et de présence du mari. Bien qu’il existe, comme Bouchard le souligne, une « pluralité des expériences féminines de l’absence » (p. 41), une réalité demeure : les épouses de migrants doivent s’adapter pour combler l’absence du mari, et père de famille, en veillant seules à la réalisation des tâches tant traditionnellement féminines que masculines. Qu’il s’agisse de leur rôle de ménagère ou encore de leur rôle en remplacement de l’homme, leurs tâches sont démultipliées par l’absence du mari. En plus de leur laisser bien peu de temps libre, devoir « jouer la femme et l’homme » (p. 42) entraîne, au sein de ces familles, un certain bouleversement des normes de genre. Cela s’observe par la répartition du pouvoir décisionnel alors que l’absence de l’homme invite l’épouse à s’investir davantage dans la prise de décisions. Cette situation qui engendre une renégociation continuelle des rôles de l’homme et de la femme …
Bouchard, Marie-Pier, Vivre au coeur de « paroisses de femmes » dans la région de Charlevoix, 1940-1980 (Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2019), 176 p.[Record]
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Louise Lainesse
Candidate au doctorat en histoire, Université de Montréal