Dans Thomas Chapais, historien, Damien-Claude Bélanger cherche à faire connaître et à réhabiliter l’oeuvre de l’homme politique éponyme. Bélanger, constatant l’oubli historiographique dans lequel est tombé Chapais à la mi-XXe siècle, s’interroge sur ce qu’il considère être une anomalie : si Chapais a grandement contribué à l’historiographie québécoise, pourquoi a-t-il disparu de la mémoire collective et historiographique ? Au fil de son oeuvre, Bélanger explique cette « anomalie » par un triptyque : 1) le loyalisme conservateur de Chapais survit mal à la crise de la conscription de la Première Guerre mondiale, 2) Chapais, conférencier, mais jamais professeur à l’Université Laval, n’a pas cherché à influencer la jeunesse et n’a pas formé de jeunes historiens et 3) l’influent Lionel Groulx a imposé son programme national et historiographique, notamment en discréditant avec un certain succès l’oeuvre de celui qui était de 20 ans son aîné. Né en plein milieu du XIXe siècle, Thomas Chapais (1858-1946) est l’héritier d’une lignée de « bleus » canadiens. Bélanger situe « son » historien dans le camp des loyalistes qui, fidèles à la Couronne britannique, ont offert une vision d’un Canada français heureux sous l’autorité bienveillante des Britanniques et des élites fédérales conservatrices canadiennes. Chapais, d’ailleurs, a accédé au Conseil législatif québécois en tant que conservateur au début de la trentaine, pour ensuite être invité à rejoindre le Sénat canadien. Dans son premier chapitre, Bélanger décrit un historien autodidacte qui, après avoir terminé son cours classique, construit lui-même son savoir historique et sa méthode. Chapais, nous dit Bélanger, est un ardent défenseur de la critique des sources en histoire, sans pour autant offrir une histoire exempte de jugements sur les acteurs historiques. L’historien du début du XXe siècle est en effet un bourgeois traditionaliste qui écrit une histoire politique élitiste moraliste. Il valorise l’apport des hommes issus des grandes lignées et il est méfiant des parvenus et des foules. Le second chapitre est consacré à la cohérence globale du récit chapaisien de l’histoire du Canada. Bélanger travaille à partir de l’intégrale des oeuvres de Chapais : en particulier son Cours d’histoire du Canada et ses deux biographies sur Jean Talon et sur le marquis de Montcalm. Pour Chapais, apprend-on, la Nouvelle-France souffre de l’absolutisme et du gallicanisme français. Anglophile, Chapais considère la Conquête comme un acte providentiel qui permet aux Lumières britanniques de se répandre. En conséquence, les Canadiens français devraient rester fidèles à la Couronne. L’erreur des Rébellions a entraîné l’Union de 1840, une forme de gouvernement hostile conçu par un esprit whig (Durham). Conservateur et ultramontain, Chapais estime que ce sont les bleus de l’ancien Bas-Canada qui vont transformer le régime de l’Union à leur avantage. Finalement, la Confédération apparaît comme une sorte de happy ending canadien : le réajustement ultime de la Constitution britannique à la réalité canadienne. Plus conservateur élitiste que nationaliste, Chapais partage tout de même avec Groulx un sentiment identitaire francophone pancanadien. Dans le troisième chapitre, Bélanger donne une appréciation de l’écho de l’oeuvre chapaisienne dans les débats historiographiques. De 1890 à 1920, Chapais s’impose comme un historien incontournable pour sa génération. Ses deux biographies font école : bien documentées, elles sont présentées par Bélanger comme de véritables monographies. La crise de la conscription de 1917 vient cependant nuire à la diffusion des thèses loyalistes de Chapais. Il faut dire qu’il cesse de se renouveler et qu’il fait l’objet d’une critique acerbe de la part des nationalistes, Lionel Groulx en tête, qui rejettent l’idée d’une Conquête providentielle. Les travaux de Chapais sont généralement respectés au Canada anglais, mais ce loyaliste britannophile apparaît trop nationaliste pour …
Bélanger, Damien-Claude, Thomas Chapais, historien (Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, 2018), 222 p.[Record]
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Maxime Raymond-Dufour, Ph. D.
Post-doctorant, Université McGill