Comptes rendus

Lapointe-Gagnon, Valérie, Panser le Canada. Une histoire intellectuelle de la Commission Laurendeau-Dunton (Montréal, Boréal, 2018), 416 p.[Record]

  • Claude Couture

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  • Claude Couture
    Université de l’Alberta

Dans cet ouvrage, l’auteure (VLG) utilise le concept de kairos pour interpréter le « moment Laurendeau-Dunton ». Kairos est un terme grec appliqué à la médecine pour montrer que le moment de la prescription d’un remède est aussi important que le remède lui-même. Dans le Canada des années 1960, les tensions entre Canadiens français et Canadiens anglais étaient à un niveau jamais vu peut-être depuis la première crise de la conscription. Le monde aussi était en ébullition : décolonisation, opposition à la guerre du Vietnam, contre-culture, etc. Pour une raison ou pour une autre, de jeunes Canadiens français s’identifiaient aux luttes de libération nationale des mouvements anticoloniaux. Dans ce contexte, le kairos ou moment Laurendeau-Dunton, un « moment où le temps se suspend et où une possibilité s’ouvre pour penser autrement les relations entre francophones et anglophones », a sans doute été aussi important que les remèdes proposés. Le travail d’érudition est impressionnant : l’auteure a examiné à la loupe les archives accumulées au cours des huit années de travaux de la Commission, les archives des intellectuels de la commission (outre André Laurendeau et Arnold Davidson Dunton, Clément Cormier, Royce Frith, Jean-Louis Gagnon, Gertrude Laing, Jean Marchand, Jaroslav Rudnyckyj, Paul Wyczynski, Paul Lacoste, Neil Morrison, Michael Oliver, Léon Dion), la correspondance des protagonistes, les journaux personnels, les procès-verbaux des 83 rencontres des commissaires, les 409 mémoires soumis, les 178 études signées par 78 chercheurs-spécialistes. En comparaison avec une étude publiée quelques années plus tôt et qui a fait un tabac au Canada anglais (Eve Haque, Multiculturalism within a Bilingual Framework : Language, Race and Belonging in Canada, Toronto, UTPress, 2012), VLG elle-même remarque, avec justesse, à la note 35 page 21, que le travail d’érudition d’Eve Haque ayant été limité à la lecture des comptes rendus des réunions, du  rapport préliminaire et des volumes I et IV, celle-ci « n’a pu saisir toute la complexité de la conception des commissaires ». L’ouvrage est structuré de la façon suivante : 12 chapitres répartis en quatre grandes parties, dont la première partie consacrée à la définition du kairos Laurendeau-Dunton et de la dualité canadienne, ainsi qu’une mise en contexte des intellectuels de la commission, du climat intellectuel de l’époque et de la rencontre des commissaires, enfin une série de mini-essais entre autres sur André Laurendeau, Frank Scott et Jean-Louis Gagnon. La seconde partie porte, notamment, sur le fonctionnement même de la commission, l’interprétation du mandat, la réalité du terrain, la question autochtone et les relations avec l’État fédéral. La troisième partie aborde – à nouveau par de mini-essais sur Paul Wyczynski, Gertrude Laing, Jaroslav Rudnyckyj et Clément Cormier, André Laurendeau, Jean-Louis Gagnon et Frank Scott – les contradictions au sein de la commission, les difficultés de la rédaction du rapport final, les défis posés par l’activisme ukrainien et le « sacrifice » de la notion de biculturalisme par la récupération par Pierre E. Trudeau du livre IV sur L’apport culturel des autres groupes ethniques. Enfin, dans la quatrième et dernière partie, l’auteure revient sur la signification du moment Laurendeau-Dunton, comme « lieu d’exercice démocratique » et l’importance « de penser l’engagement au féminin » par l’exemple de Gertrude Laing. D’ailleurs le livre de VLG a permis de découvrir en quelque sorte le journal d’une importante protagoniste, Laing, dont l’étude avait été négligée. Il y a eu, à l’intérieur du grand kairos Laurendeau-Dunton, de plus petits moments de friction, néanmoins importants puisqu’ils ont contribué à miner de l’intérieur l’impact initial du kairos, notamment au niveau de la définition du mandat de la commission. Ainsi, un concept clé de Laurendeau, « l’égalité …