Cet ouvrage est le fruit d’un travail d’équipe, et l’auteure principale, Yolande Cohen, s’est entourée de collègues et de doctorants pour tenter de décortiquer la complexité et les défis inhérents à l’affirmation des Juifs nord-africains à Montréal. Les six chapitres évoquent divers aspects de cette communauté juive dite « sépharade » essentiellement originaire du Maroc. Cet ouvrage est intéressant à plus d’un titre, notamment du fait que les auteurs ont utilisé des dizaines d’entrevues menées avec ces Juifs d’Afrique du Nord depuis les années 1980 jusqu’en 2005, permettant d’analyser l’évolution de leurs différentes perceptions. L’ambivalence et la nécessité de lutter pour exister de ces Juifs maghrébins tournent autour de trois pôles majeurs de leur existence : leur culture, la langue française et leur judaïsme typique qui est différent de celui des Ashkénazes, majoritaires, anglophones et présents au Québec depuis le XVIIIe siècle. L’autre point fort de ce livre est qu’il fait un effort considérable pour que la voix des femmes soit audible. Ainsi, Les Sépharades du Québec est une histoire d’affirmation identitaire en contexte migratoire dans un Québec lui-même en pleine reconfiguration avec la Révolution tranquille et le débat souverainiste. Outre les Ashkénazes, dont l’hégémonie est dénoncée, les Sépharades font aussi face aux Québécois francophones. Antoine Burgard revient dans le premier chapitre sur la représentativité des Sépharades dans les études démographiques d’auteurs comme Rosenberg et Shahar, s’interrogeant quant aux silences observés sur leur présence, même minoritaire, et surtout sur la progression de leur nombre à partir de 1951. Burgard évoque même une occultation statistique volontaire des Sépharades dans les travaux de Rosenberg afin « d’éviter une division entre Ashkénazes et Sépharades » (p. 42-43). Le deuxième chapitre est une étude comparée des parcours migratoires et d’intégration des Juifs marocains à Paris et à Montréal. Il en ressort une situation globalement similaire d’une classe moyenne juive marocaine tentant de maintenir son niveau social malgré une « perte de prestige » (p. 58) constatée par rapport à l’emploi occupé au Maroc. Au chapitre trois, Christine Chevalier-Caron retrace quant à elle la longue marche vers la création à Montréal en 1969 de l’école Maïmonide, directement inspirée des écoles de l’Alliance israélite universelle (AIU) qui forma la plupart des Sépharades du Maroc avant leur migration au Canada. C’est une grande réussite pour ces Juifs d’Afrique du Nord, très attachés à la langue française, considérant que leurs enfants étaient à l’origine obligés de fréquenter les écoles anglophones, tout comme les Ashkénazes. L’appui multiforme des autorités québécoises à ce projet est remarquable, cette école devenant un lieu de préservation culturelle contre une assimilation par les Ashkénazes (p. 109). Aussi, une mémoire tridimensionnelle entre religion, langue et culture est analysée par Olivier Bérubé-Sasseville dans le quatrième chapitre. La majorité québécoise y est jugée moins négativement par les femmes sépharades que par les hommes. Si le souvenir de l’accueil est plutôt positif, à la différence des participants des années 2000, ceux des années 1980, moins exposés aux mariages mixtes, évoquent souvent « une certaine réticence à former des amitiés profondes (ou durables) » (p. 117) avec les Québécois en général. Mais cela n’empêche pas des louanges sur l’ouverture d’esprit des Québécois francophones, et ce, même si on apprend que les Sépharades ont été plus réticents face à l’idée d’indépendance du Québec – contrairement aux Ashkénazes – tout en soutenant fermement le fait français. Bien que les Ashkénazes aient accueilli les Sépharades avec bienveillance, ces derniers dénoncent du même souffle l’hégémonie des premiers, plusieurs se sentant traités comme des Juifs de seconde zone, des « Arabes » et même des « Juifs noirs » (p. 126). Une participante …
Cohen, Yolande, dir., Les Sépharades du Québec. Parcours d’exils nord-africains (Montréal, Del Busso Éditeur, 2017), 190 p.[Record]
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Augustin D’Almeida
Doctorant en ethnologie et patrimoine, Université Laval