Dans Beyond Brutal Passions, Mary Anne Poutanen explore le quotidien de femmes associées à l’univers de la prostitution au début du XIXe siècle à Montréal en révélant le réseau complexe de relations qu’elles entretenaient avec la police et le système de justice. Ce faisant, l’auteure fait une contribution remarquable à l’histoire populaire et à l’histoire du droit pénal, à la géographie sociale et aux études sociojuridiques. À partir d’une lecture minutieuse des dossiers policiers, judiciaires et correctionnels entre 1812 et 1840, son ouvrage nous offre un regard privilégié sur celles qu’on identifiait comme prostituées, des filles publiques aux propriétaires de maisons closes en passant par toutes ces femmes célibataires ou mariées, entrepreneures ou asservies, fuyant la pauvreté et la violence ou aspirant à une vie sexuelle en marge du lien conjugal. L’ouvrage étudie également les endroits qu’elles fréquentaient, au centre comme en périphérie, et les multiples contraintes qui pesaient sur elles alors qu’elles devaient affronter la brutalité des bordels, la dureté de la vie dans la rue et le regard tantôt bienveillant, tantôt accusateur des autres résidents de la ville et des forces de l’ordre. Tout au long de l’ouvrage, Poutanen met l’accent sur l’agentivité et la résistance des femmes, tout en reconnaissant les nombreuses sources de violence et d’oppression dont celles-ci ont fait l’objet. Son oeuvre a le mérite de donner une voix aux femmes en rendant justice à leurs stratégies de survie et d’émancipation et en évitant les clichés réducteurs qui leur sont parfois réservés. Dans la première partie, l’auteure propose un portrait tout en nuances de la place qu’elles occupaient dans l’économie de la ville et des relations qu’elles y tissaient alors qu’elles transitaient dans des espaces privés et publics aux frontières contiguës. Elle nous offre d’abord une géographie de la prostitution en décrivant les lieux privilégiés d’arrestation, mais également en démontrant comment le droit et les stratégies employées par les autorités policières et judiciaires ont souvent eu pour effet de déplacer les femmes dans certains établissements et quartiers ou encore de les confiner à certains espaces, comme les prisons ou les maisons de réforme. Les chapitres 2 et 3 mettent ensuite l’accent sur les caractéristiques sociodémographiques des personnes judiciarisées en distinguant celles qui ont choisi la prostitution résidentielle, principalement des francophones provenant de la classe des artisans, de celles qui ont fait de la rue leur refuge temporaire ou permanent, soit surtout des immigrantes irlandaises, ainsi que sur les conditions de vie de leurs milieux respectifs. La présentation de ces deux univers fait autant ressortir la vulnérabilité de ces femmes que leur ténacité. Elle révèle aussi le caractère simpliste de l’opposition entre le privé et le public alors que les maisons closes ont parfois servi à faire éclater les noyaux familiaux en servant d’abri contre la violence paternelle et conjugale et que la rue aura à l’inverse permis à plusieurs de subvenir aux besoins de leur famille et de développer des liens de solidarité avec d’autres femmes. On retrouve ce même désir d’affirmation et cette volonté de résister dans leurs rapports avec la police et le système judiciaire en seconde partie de l’ouvrage. Bien que les relations qu’elles entretenaient avec les constables, gardes de nuit et policiers aient été ponctuées par la violence, physique et sexuelle, l’intimidation, les arrestations arbitraires et l’extorsion, les membres des forces de l’ordre, qui provenaient souvent des mêmes classes sociales que les femmes, ont aussi pu jouer un rôle protecteur en fermant les yeux sur certaines de leurs activités, en leur offrant une place en prison comme refuge contre la faim et le froid ou encore en développant des …
Poutanen, Mary Anne, Beyond Brutal Passions – Prostitution in Early Nineteenth-Century Montreal (Montréal et Kingston, McGill – Queen’s University Press, 2015), 409 p.[Record]
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Marie-Ève Sylvestre
Faculté de droit, Université d’Ottawa