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Fruit de trois années de travail d’archivistes et de généalogistes ainsi que de la collaboration fructueuse de sept auteurs québécois et français, Les officiers des troupes de la Marine au Canada, 1683-1760 est un ouvrage incontournable de haute qualité qui saura ravir les plus passionnés d’histoire militaire de la Nouvelle-France. Alors que la première partie reconstitue l’histoire de ces officiers et analyse les rôles variés qu’ils ont assumés en terre d’Amérique, la seconde présente les notices biographiques des 895 officiers et cadets qui ont oeuvré au Canada où sont précisés notamment les lieux de naissance et de décès, les grades, les affectations et les unions matrimoniales. Ce livre approfondit et renouvelle les connaissances déjà précieuses acquises par l’historien Jay Cassel dans sa célèbre étude de 1987.
Bertrand Fonck retrace l’histoire organisationnelle tumultueuse des troupes de la Marine, de leur fondation jusqu’à la Révolution. Dès 1674, Versailles décide de créer des troupes pour l’outre-mer dont la vocation première sera la défense des colonies dans les Antilles, puis en Guyane. En 1683, les premières compagnies franches de la Marine sont envoyées au Canada en réponse à la requête du gouverneur La Barre aux prises avec une recrudescence des attaques iroquoises. De 1683 à 1755, les troupes de la Marine constitueront les seules forces régulières de la colonie.
Comme l’évoque Boris Lesueur, l’arrivée des troupes de la Marine en 1683 permit des expéditions en territoire iroquois, comme celles de 1684, 1687 et 1696, lesquelles ouvrirent la voie à la Grande Paix de Montréal de 1701. Ces officiers s’illustrèrent tout autant dans la petite guerre, c’est-à-dire la guerre des partis d’une grande souplesse et efficacité opérationnelles, où ils encadraient miliciens canadiens et guerriers autochtones, comme en témoignent les raids sur les villages de Corlar en 1690, Deerfield ou Haverhill en 1704 le long des frontières des colonies anglaises. L’expédition de Le Moyne d’Iberville en 1697 à Terre-Neuve ou la mise en échec du débarquement des 1500 soldats de Phips à Beauport du 18 au 22 octobre 1690 par les troupes commandées par Jacques Le Moyne de Sainte-Hélène rendent compte des qualités d’adaptation de ces officiers. Boris Lesueur souligne l’homogénéité du corps des officiers en rappelant qu’« en 1683, tous les officiers étaient Français. Puis le recrutement fut de plus en plus local. La moitié des officiers étaient nés au Canada vers 1720, et les trois quarts vers 1750. On a pu même observer que les officiers au Canada tendaient à tourner à la caste » (p. 54). Des dynasties de familles militaires canadiennes, telles les Le Gardeur, les Boucher et les Hertel, vouées à la défense des intérêts de la Couronne française et de la colonie nord-américaine, se constituèrent sur plusieurs générations. La Conquête entraîna des conséquences dramatiques sur le corps des officiers. Ainsi, « la perte du Canada s’acheva par une émigration massive des officiers des compagnies » (p. 81).
Dans sa comparaison entre les officiers de l’armée en France et ceux de la Marine en Nouvelle-France, René Chartrand souligne que, contrairement à la situation hexagonale où les positions d’officiers étaient achetées, l’accès au corps des officiers au Canada et les promotions reposaient sur le mérite et les recommandations des supérieurs hiérarchiques. Cependant, selon cet auteur, l’une des contributions les plus importantes des officiers des troupes détachées au Canada est d’ordre doctrinal. Ces derniers ont élaboré la petite guerre distincte des moeurs européennes de l’époque, particulièrement efficace dans le contexte du théâtre d’opérations nord-américain : « … cette doctrine tient l’ennemi en respect durant au moins un demi-siècle, ce qui est exceptionnel dans les annales militaires » (p. 108). En l’absence d’académie militaire, René Chartrand insiste sur la création des cadets à l’aiguillette comme système de formation alternatif, officialisé par une ordonnance de 1731, équivalant à des élèves-officiers, à qui étaient réservés de facto d’éventuels postes d’officiers au moment où ceux-ci devenaient disponibles. En accompagnant les troupes, souvent dès leur plus jeune âge, les cadets acquéraient une expérience décisive par l’apprentissage direct sur le terrain leur permettant d’occuper éventuellement des postes de commandement. Il y aura jusqu’à 80 cadets pendant la guerre de la Conquête (p. 89).
La contribution de Rénald Lessard porte sur les divers rôles joués par les officiers des compagnies franches de la Marine au moment de la guerre de la Conquête. Au lendemain de la guerre de Succession d’Autriche, la France renforce son dispositif défensif en Amérique. Les officiers du Canada se voient confier des missions de construction de forts le long de la rivière Richelieu et du lac Champlain de même que dans la vallée de la Belle-Rivière (aujourd’hui, celle de l’Ohio) et sur le pourtour des Grands Lacs. En outre, Versailles prend la décision de doubler ses effectifs militaires. En 1757, le sommet est atteint avec 2300 hommes des troupes de la Marine au Canada (p. 112). De l’Affaire Jumonville à la bataille de Sainte-Foy, celles-ci prennent une part active et se distinguent aux combats. Elles ne représentent toutefois que 5 % des effectifs à la bataille de Carillon (p. 126). Les pertes reflètent cette participation : « Trente et un officiers et deux cadets meurent des faits de guerre. Ce sont 10 % des officiers ayant servi entre 1754 et 1760. C’est important » (p. 126). La bataille de la Belle-Famille (juillet 1759), peu connue, livrée pour la défense du fort Niagara, représente à elle seule des pertes très substantielles. Comme l’écrit Rénald Lessard, « [l]a bravoure, l’audace, la détermination et le zèle pour le service du roi ainsi qu’un grand sens de l’honneur se manifestent fréquemment lors des actions entreprises par les officiers des troupes de la Marine » (p. 139).
Louis Lalancette analyse les différents rôles des officiers des compagnies de Marine dans le Pays d’En Haut en tant que commandants des postes de traite, représentants de la Couronne, diplomates auprès des différentes populations autochtones locales, interprètes ou explorateurs. Parfois polyglottes et fins connaisseurs des cultures amérindiennes, certains y amenaient leurs fils afin de les acculturer au mode de vie autochtone. Ces connaissances acquises au contact des populations locales et les relations de confiance, voire parfois d’adoption, qui s’y développaient étaient déterminantes dans le cadre de négociations afin de maintenir l’influence de la France dans la région. Nommés par le gouverneur, les commandants exerçaient leur médiation entre nations amérindiennes et devaient s’assurer de garder celles-ci dans l’alliance commerciale et militaire française. Ces postes revêtaient également de formidables occasions d’enrichissement pour ceux qui les obtenaient, d’où la concurrence féroce pour les acquérir.
Le chapitre de Denis Racine traite de la décoration militaire la plus recherchée par les officiers des troupes coloniales, la prestigieuse croix de Saint-Louis. Il fallait être officier et catholique pour la recevoir. Il y aurait eu 280 chevaliers de Saint-Louis ayant servi en Nouvelle-France, dont les deux tiers étaient des officiers des troupes du Canada (p. 177). Pierre Le Moyne d’Iberville a été le premier officier né dans la colonie à obtenir cette distinction particulièrement prisée par la caste des officiers. L’anoblissement était octroyé si trois générations successives cumulaient le grade de capitaine et l’appartenance à l’Ordre royal et militaire de Saint-Louis, instituée par Louis XIV en 1693. Ce fut le cas au Canada pour les familles Céloron, Denys de Bonaventure, Lacorne, Le Gardeur, Le Moyne, Leneuf de la Vallière et Saint-Ours. Boucher de Niverville, mort en 1804, sera le dernier représentant des chevaliers au Canada.
Marcel Fournier, sous la direction de laquelle l’étude a été conduite, offre une précieuse contribution en faisant état, sous la forme de tableaux chiffrés, de multiples données sociodémographiques sur les officiers des troupes de la Marine. On y apprend notamment qu’un nombre important des officiers français sont originaires de l’Île-de-France et la Nouvelle-Aquitaine. L’auteur insiste également sur la canadianisation progressive du corps des officiers au fil des décennies.
Cinq appendices présentent respectivement les dynasties d’officiers les plus prolifiques, les principaux forts en Amérique du Nord, la reconstitution de la vie de deux officiers, un répertoire des 221 capitaines s’étant distingués au Canada ainsi que la structure des grades militaires.
Les officiers des troupes de la Marine au Canada, 1683-1760 est un ouvrage rédigé par des érudits, mais accessible au grand public, qui apporte une contribution nécessaire à la connaissance de cette institution centrale de la Nouvelle-France. Il jette un regard éclairant sur une partie du patrimoine militaire québécois trop souvent méconnu et sous-estimé. Par leur audace, leur détermination, leur fidélité à leur pays, leurs compétences, leur ouverture aux cultures amérindiennes et par les incroyables épreuves qu’ils ont endurées, ces officiers ont écrit parmi les plus belles pages de l’Amérique française.