Comptes rendus

Mills, Sean, A Place in the Sun. Haiti, Haitians, and the Remaking of Quebec (Montreal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2016), 330 p.[Record]

  • Jean-Pierre Le Glaunec

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  • Jean-Pierre Le Glaunec
    Département d’histoire, Université de Sherbrooke

A Place in the Sun. Haiti, Haitians, and the Remaking of Quebec est un bien beau livre et l’on n’est pas surpris qu’il ait déjà reçu plusieurs récompenses (Prix de la présidence de l’Assemblée nationale, prix Clio Québec). Sean Mills, l’auteur de The Empire Within. Postcolonial Thought and Political Activism in Sixties Montreal, y livre une réflexion aboutie et admirablement écrite sur les relations (entendre par là : les échanges, migrations, circulations des représentations et autres relations de pouvoir) entre Haïti et le Québec des années 1930 à nos jours. Le livre traite en particulier de la capacité d’action et de la pensée des Haïtiennes et des Haïtiens installés au Québec, à Montréal surtout, à partir du début des années 1960, lorsque la dictature duvaliériste, imprévisible et brutale, pousse des milliers d’Haïtiens vers l’exil. Des représentants des professions libérales et des intellectuels, surtout francophones, dans les années 1960 ; des Haïtiennes et des Haïtiens moins favorisés, et souvent créolophones, à partir des années 1970, lorsque Jean-Claude Duvalier prend la relève de son père et se maintient au pouvoir avec la complicité des grandes puissances, le Canada et le Québec notamment, qui profitent de l’immense réservoir de main-d’oeuvre bon marché disponible dans le pays. Sean Mills démontre avec limpidité qu’intellectuels ou non, francophones ou créolophones, femmes ou hommes, d’origine paysanne ou de Port-au-Prince, les Haïtiennes et les Haïtiens installés au Québec « légalement » ou « illégalement » (ces catégories sont évidemment problématiques) jouent un rôle de premier plan dans les métamorphoses de la société québécoise des années 1960 à nos jours. En dignes héritiers de leurs ancêtres, simples esclaves ou hommes d’État de la jeune nation haïtienne qui réclament le droit d’exister et de penser, ils écrivent de la poésie et analysent le réel ; ils participent aux débats politiques (sur l’aide canadienne « au développement » à destination d’Haïti par exemple) et religieux (sur le rôle des missionnaires canadiens en Haïti, notamment), aux luttes syndicales et féministes ; ils prennent position par rapport aux débats sur l’indépendance et la formulation à donner au nationalisme québécois ; ils publient des revues (Nouvelle optique, Collectif Paroles entre autres), des bulletins (Le Collectif, par exemple, journal des conducteurs de taxi, ou Bulletin Maison d’Haïti) ; ils s’organisent en associations (Point de ralliement des femmes d’origine haïtienne, Comité haïtien d’action patriotique, Maison d’Haïti, Bureau de la communauté chrétienne des Haïtiens de Montréal également) et contestent la racialisation des rapports sociaux qui les maintiennent dans des positions de subalternes, qu’ils soient chauffeurs de taxis ou domestiques dans la bourgeoisie montréalaise. Ils participent, en d’autres termes, à la construction du Québec, dont l’horizon d’attente est alors on ne peut plus transnational (luttes noires de l’autre côté de la frontière, mouvements de décolonisation, contestations sociales à travers le monde, attrait du socialisme), tout en imaginant un avenir meilleur pour la République d’Haïti, où la plupart ne retourneront jamais en 1986, lorsque Jean-Claude Duvalier part à son tour en exil, doré celui-là, en France. L’ouvrage de Sean Mills est organisé en deux parties. Une première fait état des premiers contacts de l’élite québécoise avec Haïti (son élite francophone) dans les années 1930, du rapprochement et des échanges qui s’ensuivent entre les deux pays, et de la force des représentations dévalorisantes et infantilisantes construites par les missionnaires canadiens-français envoyés en Haïti pour apporter civilisation et raison à partir des années 1940. Dans la deuxième partie, Sean Mills change de focale et décrit l’implantation de la diaspora haïtienne au Québec, son intégration ainsi que ses luttes contre le racisme et les stéréotypes de …