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C’est avec grand intérêt que j’ai accepté de faire le compte rendu de ce livre sur Kirkland Lake, une ville minière du nord de l’Ontario, située à proximité du Témiscamingue québécois, région où j’ai grandi et dont j’ai fouillé l’histoire de façon professionnelle pendant plusieurs années. J’ai souvent entendu parler de Kirkland Lake, mais surtout de façon anecdotique. Ce livre de Guy Gaudreau, Sophie Blais et Kevin Auger m’offre donc la possibilité de plonger dans l’histoire, la grande cette fois-ci, de Kirkland Lake, alors à son apogée (1930-1942).
Il faut mentionner que ce livre a failli ne pas voir le jour puisqu’il repose sur un fonds d’archives sauvé in extremis de la destruction par Guy Gaudreau. Ce fonds d’archives de la Lake Shore Gold Mine et, dans une moindre mesure, celui de la société minière Wright-Hargreaves, permettent aux auteurs de proposer une version originale et nouvelle de l’histoire des mines, non seulement celles de Kirkland Lake, mais de l’ensemble des mines canadiennes. En effet, jusque-là, l’historiographie minière, incluant les travaux de Gaudreau lui-même, présentait seulement un aspect de la vie et du travail miniers, soit celui des mineurs du fond, soit celui des ouvriers de surface, ou encore le contexte socioéconomique du développement minier. Trop souvent, souligne Gaudreau, les historiens et les cinéastes ont insisté sur le caractère misérabiliste du travail et de la vie des mineurs et de leurs familles.
Dans ce livre, Gaudreau, Auger et Blais présentent une histoire complète des travailleurs miniers, tant ceux oeuvrant dans les galeries et tunnels souterrains que ceux travaillant à la surface, dans les bureaux et autres ateliers nécessaires au traitement et l’expédition du minerai, incluant la construction et l’entretien des bâtiments. Ils brossent le portrait d’un mineur de carrière indépendant et en plein contrôle de ses décisions, heureux et fier d’exercer ce métier. Ce livre fait ressortir l’existence de deux univers miniers parallèles, qui se remarquent notamment dans les horaires et les conditions de travail, mais aussi dans leurs pratiques culturelles et de loisirs comme le décrivent si bien les auteurs, comme le résument les paragraphes suivants.
Le premier chapitre décrit très brièvement l’histoire de Kirkland Lake et de la mine Lake Shore, s’attardant aux tendances générales de la production minière et des conditions de travail. Les chapitres 2 à 5 nous transportent au coeur de l’histoire des mineurs de Kirkland Lake et de la contribution originale de ce livre à l’historiographie. Le chapitre 2 décrit l’organisation du travail dans une mine d’or, ce qui s’avère fort instructif pour tout profane en histoire minière en plus de permettre de comprendre les deux réalités du travail dans une mine, tant au fond qu’à la surface, et d’en apprendre sur les types de métiers que l’on y retrouve. Le chapitre 3 traite des travailleurs de carrière et il met l’accent sur la stabilité des employés, contrastant avec l’image du mineur nomade. Ce dernier occupe toujours une place importante, mais ce chapitre nous fait découvrir qu’un nombre important d’employés de la Lake Shore décide de faire carrière à la mine, malgré les conditions difficiles. Le chapitre 4 fait le pont entre la fiction et la réalité puisqu’il raconte les accidents d’Oscar Bougie, un personnage fictif dont le parcours a été construit à partir de diverses histoires réelles. Guy Gaudreau fait raconter à son personnage les divers accidents qu’il a subis, en utilisant un langage d’époque et en intervenant dans le récit pour bien en situer le contexte. Le chapitre 5 présente un autre aspect méconnu de l’histoire des travailleurs miniers, celui des congés, des fins de semaine et des vacances annuelles non payés, pris volontairement par les employés miniers. Cela démontre l’indépendance des mineurs et leur rapport de force puisqu’ils possèdent un savoir unique, qu’ils exercent dans un milieu éloigné. Il n’est donc pas facile de les remplacer.
Les chapitres 6 et 7 nous transportent dans la vie sociale de la communauté de Kirkland Lake dans les années 1930 et 1940. Le chapitre 6 décrit des bribes de la vie quotidienne telles que les sports d’hiver et d’été, les sorties sociales dans les établissements du centre-ville de Kirkland Lake, certaines étant bien arrosées les jours de paye, en plus de décrire les tâches domestiques et l’arrivée de la radio locale et du téléphone. Le chapitre 7 traite de la culture musicale qui s’exprime notamment par l’existence d’orchestres et de chorales, chacun se regroupant selon ses origines ethniques.
Ce livre se termine par une analyse d’un événement significatif dans l’histoire minière de Kirkland Lake, la grève de 1941-1942. Le chapitre 8 décrit et analyse le déroulement de la grève qui touche les mines de Kirkland Lake entre novembre 1941 et février 1942. Sophie Blais propose une explication aux variations dans la solidarité face au mouvement de grève basée sur les emplois occupés. Ainsi, certains métiers s’exerçant sous terre, tels les foreurs et les chargeurs de minerai, composent le corps principal des grévistes. Le chapitre 9 examine le soutien aux grévistes offert par les femmes, la communauté de Kirkland Lake, incluant les commerçants, et le monde syndical à travers le Canada. Les femmes occupent une place centrale dans le soutien offert aux grévistes, notamment par leurs actions quotidiennes. La solidarité envers le mouvement de grève s’est également exprimé par le soutien financier extérieur, par les fonds obtenus de divers syndicats canadiens et américains, et local, par l’entremise des marchands locaux qui ont fait crédit aux familles de grévistes. Malgré tout, le manque de ressources financières explique en bonne partie la fin de cette grève.
En conclusion, les trois auteurs nous proposent un livre fort intéressant qui saura plaire à une variété de publics, de l’universitaire en quête de nouveaux savoirs historiographiques sur les mines et les mineurs, à l’amateur d’histoire locale et minière, en passant par les résidents actuels et anciens de Kirkland Lake et des environs. Le livre contient également une iconographie intéressante, les cartes, photos et figures complètent très bien le texte.