Comptes rendus

Sweeny, Robert C. H., Why Did We Choose to Industrialize ? Montreal 1819-1849 (Montréal, McGill-Queens University Press, 2015), 436 p.[Record]

  • Martin Petitclerc

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  • Martin Petitclerc
    Centre d’histoire des régulations sociales, Département d’histoire, Université du Québec à Montréal

Une phrase intrigante donne un bon aperçu du projet intellectuel à l’origine de ce livre ambitieux : « people who live in different types of societies, or do differing things within the same society, not only need to know different things, but need to know the same thing differently ». Cette affirmation témoigne du fait que ce livre est plus qu’un ouvrage consacré à la question fondamentale de la transition au capitalisme industriel à Montréal. L’auteur y présente en effet sa conception d’un savoir critique visant à dépasser l’empirisme naïf ayant servi de fondement épistémologique à la discipline historique. Cette posture empiriste, aveugle quant à l’impact des inégalités sociales sur la production même du savoir, aurait globalement détourné les historiens et les historiennes de l’objectif de produire une « connaissance différente » du passé et du présent. À la fois récit autobiographique du parcours intellectuel de l’auteur et analyse minutieuse du problème historique de la transition au capitalisme industriel à Montréal, ce livre original et stimulant ouvre de multiples pistes de réflexion méthodologique, épistémologique et historiographique. En tant que monographie, Why Did We Choose to Industrialize ? cherche à comprendre pourquoi les Montréalais de la première moitié du XIXe siècle ont participé à la transition au capitalisme industriel qui a engendré une transformation des rapports sociaux et des rapports à la nature qui s’est rapidement avérée « désastreuse ». La réponse à cette question nécessite une brève contextualisation : à la période moderne, l’utilisation massive du travail forcé (et notamment l’esclavage) et l’arrivée massive des métaux précieux ont eu un impact considérable sur un petit nombre de pays marqués par les Lumières et la remise en cause de l’État absolutiste. Cela a entraîné une baisse, à très long terme, du prix des biens et l’effondrement d’une production domestique rurale et urbaine qui avait traditionnellement procuré les conditions matérielles d’une existence populaire relativement autonome. Ce contexte mondial, sur lequel l’auteur ne s’attarde pas, est toutefois bien insuffisant pour comprendre les caractéristiques particulières de la transition au capitalisme industriel dans chacune des sociétés touchées. Inspiré notamment par les réflexions d’Albert Soboul sur la variété des « voies de passage » au capitalisme et les travaux de Louise Dechêne sur les spécificités des rapports sociaux féodaux en Nouvelle-France, Robert Sweeny s’est donc lancé, à partir des années 1970, dans une recherche impressionnante sur les caractéristiques spécifiques de la transition à Montréal et au Bas-Canada. Pendant une quarantaine d’années, l’auteur a conçu sa recherche dans les perspectives ouvertes par le matérialisme historique : c’est principalement dans les contradictions internes à la société préindustrielle bas-canadienne, saisies au niveau des conditions matérielles d’existence, que l’on peut comprendre pourquoi les acteurs du passé ont finalement « choisi » la transition au capitalisme industriel. L’importance accordée à certaines sources comme les actes notariés, les rôles d’évaluation foncière, les annuaires municipaux, les cartes géographiques, les recensements, etc., s’explique par le fait que les rapports sociaux dans une société préindustrielle se reproduisent par le biais de la distribution et de la transmission de la propriété. Ces sources, questionnées en respectant ce que l’auteur appelle leur « logique historique » de production, ont effectivement un potentiel considérable pour comprendre les multiples conflits surgissant de la reproduction des conditions matérielles d’existence. Aussi, l’une des contributions importantes de ce livre est de reprendre le fil d’une discussion méthodologique sérieuse sur toutes ces sources et leur intégration dans une pratique rigoureuse d’administration de la preuve. Comme le rappelle l’auteur, il faut voir la propriété autrement qu’une marchandise que l’on possède pour bien comprendre son rôle central dans le problème de la transition. En …