Comptes rendus

Frégault, Guy, La civilisation de la Nouvelle-France (1713-1744), Montréal, Fides, 3e édition, 2014, 284 pages[Record]

  • François-Olivier Dorais

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  • François-Olivier Dorais
    Doctorant en histoire, Université de Montréal

Ouvrage réputé classique de l’historiographie québécoise, nouvellement réédité chez Fides pour souligner le soixante-dixième anniversaire de sa parution en 1944, La Civilisation de la Nouvelle-France de Guy Frégault méritait bien les honneurs d’une réimpression. L’occasion nous est donnée dans ces pages de rappeler l’originalité et l’importance de ce livre sur le plan historiographique, mais aussi de voir en quoi son contenu interpelle toujours notre présent. En ouverture, les éditeurs ont fait le choix de reproduire la préface rétrospective de l’auteur, brève mais plutôt efficace, parue dans la première réédition de 1969. On regrette toutefois l’absence d’une préface inédite d’un spécialiste, ou d’un texte d’introduction dans cette nouvelle édition qui aurait offert un autre regard analytique sur l’oeuvre, fruit d’un contexte particulier mais surtout, des convictions d’une jeunesse encore effervescente (l’historien n’avait pas vingt-cinq ans au moment d’en entreprendre l’écriture). Car il faut savoir qu’entre le Frégault de la Civilisation et celui de La Guerre de la Conquête, il y a maturation de la perspective et de la méthode, sous la double influence de l’expérience acquise au fil de ses propres recherches, mais aussi des analyses historiques de son collègue Maurice Séguin. Le jeune homme qui a écrit ce livre est encore proche de l’historiographie traditionnelle et, surtout, habité d’un sentiment de profonde inquiétude devant la rapidité des transformations sociales qui accompagnent la Seconde Guerre. Confronté à la réalité d’une modernité urbaine et industrielle triomphante, au mouvement de centralisation fédéral qui accompagne l’économie de guerre et à la vive polarisation entre Canadiens français et Canadiens anglais qui en découle, il souhaite que le Canada français réapprivoise sa singularité et retrouve un sentiment d’unanimité, de grandeur et de vitalité nationale. C’est par l’histoire, rehaussée des garanties d’objectivité qu’offre sa méthode scientifique, et plus particulièrement l’histoire de la Nouvelle-France, lieu par excellence où s’« édifie l’armature du pays » (p. 16), que Frégault estime pouvoir faire sens de la présence au monde du Canada français et lui insuffler la force et la confiance nécessaires à son épanouissement. L’ouvrage a pour but de dresser le portrait d’une « civilisation » de la Nouvelle-France et d’en définir les tendances essentielles ainsi que la particularité des logiques internes. Pour Frégault, il existe des réalités historiques spécifiquement civilisatrices qui auraient modelé le visage de la Nouvelle-France et permis à sa population de se former une personnalité distincte. Ne pouvant compter que sur leurs seules ressources et une puissante dose de volonté, les Canadiens sous le Régime français auraient conquis une patrie et développé, au fil du temps, une conscience nationale propre. L’auteur choisit de concentrer son analyse sur la « paix de trente ans », période comprise entre la signature du traité d’Utrecht (1713) et les débuts de la Guerre de succession d’Autriche (1744) au cours de laquelle la Nouvelle-France eut à se relever de plusieurs années de conflits pour rétablir la sécurité de ses frontières, sa puissance militaire, réorganiser son peuplement et reconstruire sa vie économique. La chronologie revêt une importance fondamentale ici. Car, écrit l’auteur, c’est « dans la paix, [qu’]une société apparaît sous son vrai jour » alors que le fonctionnement de ses institutions reprend son cours normal et que l’énergie de son peuple peut se déployer « vers l’accomplissement de travaux féconds et s’intégrer dans un effort de volonté créatrice » (p. 15). Ainsi, comme pour en accentuer le destin tragique, Frégault fait de cette Nouvelle-France « une oeuvre de force et de grandeur » (p. 34), un « acte de volonté » (p. 48) à travers lesquels la vie d’un peuple se réinsère dans la ligne de son destin : celui …