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À l’heure où la jeune génération numérique ne dispose pas toujours des repères nécessaires pour comprendre et s’approprier le patrimoine et le vocabulaire religieux, où une part importante de la population québécoise perçoit les communautés religieuses et les monastères comme un univers qui lui est inconnu, voire interdit, la directrice et conservatrice du Musée des Ursulines de Québec, Christine Cheyrou, signe un ouvrage rafraîchissant et accessible à tous, magnifiquement illustré, sur l’histoire et la mémoire de la première communauté religieuse féminine enseignante à s’implanter en Nouvelle-France.

Cet ouvrage s’inscrit dans une historiographie en plein renouveau. Depuis les quarante dernières années, les spécialistes de l’histoire religieuse québécoise se sont surtout concentrés à produire d’admirables synthèses sur les origines et l’évolution des communautés religieuses. Ne nommons ici que Denault, Jean, Voisine ou Laperrière. Ce défrichage a permis à d’autres chercheurs – tels que Dumont, Fahmy-Eid, Juteau, Laurin et Danylewycz – d’analyser la portée du travail social accompli par les religieuses dans le Québec contemporain. Plus récemment, quelques ouvrages, comme celui de Deslandres, Dickinson et Hubert sur les Sulpiciens (2007), ont éclairé le parcours distinct de certaines communautés religieuses. Mais devant l’effervescence provoquée par l’adoption de la Loi sur le patrimoine culturel en 2011, et devant les sérieux enjeux qui se posent aux communautés et aux municipalités sur l’avenir des bâtiments patrimoniaux à connotation religieuse, le patrimoine matériel et immatériel religieux du Québec est devenu un riche champ d’étude qui appelle à préserver la mémoire de ces communautés religieuses, encore bien vivantes. Du fond de l’ancien cloître des Ursulines, Christine Cheyrou semble avoir entendu ce plaidoyer. Tirant partie des travaux de Pierre Nora sur les lieux de mémoire, Cheyrou utilise l’espace créé par le monastère trois fois centenaire pour illustrer la constitution, les formes et la transmission de la mémoire des Ursulines. D’emblée, l’auteure affirme que cet ouvrage n’est « qu’une fenêtre sur une mémoire qui […] déborde largement le cadre de cette étude » (p. 16). Il ne faut pas s’attendre ici à une histoire exhaustive et chronologique de la communauté des Ursulines, ni à une étude scientifique spécialisée. L’oeuvre a d’abord été conçue pour le grand public, dans une optique de vulgarisation. Et l’auteure gagne son pari.

La première partie de l’ouvrage nous permet de remonter le temps, à la recherche des origines de la mémoire des Ursulines. L’auteure y présente notamment le Vieux Récit – la réécriture des Annales après l’incendie de 1686 –, la première source mémorielle de la communauté. Elle y détaille également le cadre de vie d’une communauté religieuse cloîtrée, selon les constitutions, les règlements et les coutumiers issus de la règle de saint Augustin. Rassemblés, ces cadres de la mémoire dictent des valeurs, des buts, un mode de vie et des usages aux religieuses, qui les respectent fidèlement. L’espace du cloître, « cet univers confidentiel et protégé » (p. 58), perçu avant tout comme un lieu de mémoire, est enfin mis en avant-plan, avec ses grilles, son tour, ses exigences, ses rencontres, ses espaces de travail et de récréations.

La seconde partie se consacre aux formes sous lesquelles la mémoire se constitue. L’histoire des Ursulines, surtout pendant l’époque de la Nouvelle-France, s’apprend et s’enseigne d’abord à travers le récit et le parcours des objets, des lieux et du matrimoine matériel qui la sous-tendent. Mais cette forme de mémoire n’est pas unique et ne peut à elle seule témoigner d’une histoire pluriséculaire. Elle s’allie et s’amalgame plutôt avec l’« incontestable puissance » (p. 124) de l’écrit. Au monastère, la production et la préservation de la mémoire écrite exigent une gestion et un encadrement précis, une protection et une conservation assidues. La mémoire orale participe également à la construction de la mémoire et de l’identité des Ursulines. Le récit des anciennes mères, véritable « héritage familial » (p. 151), résonne à travers les murs du monastère. Puisant dans les riches entrevues réalisées avec des Ursulines, Cheyrou réussit d’une main de maître à faire revivre la règle du silence, le passage du temps rythmé par les cloches, les différents savoirs enseignés aux novices. Elle y dévoile les « trésors documentaires » (p. 168) du patrimoine immatériel des Ursulines. Certes, la mémoire est d’abord matérielle, concrète et palpable, mais elle est aussi beaucoup plus que cela. Elle s’écrit et se raconte, dans toute sa subjectivité et son authenticité.

La troisième partie, « La transmission de la mémoire », cède enfin la parole aux religieuses elles-mêmes, aux éducatrices qu’elles ont été au cours des derniers siècles. Leurs témoignages, écrits et oraux, occupent, au grand plaisir des lecteurs, tout l’espace disponible. Dans ce chapitre, l’appel de la vocation, le charisme de la communauté et la formation des novices côtoient la vie et le quotidien au pensionnat. À coup sûr, le lecteur déplorera la minceur du chapitre et en redemandera davantage !

Les Ursulines de Québec. Espaces et mémoires est porté par le vent de renouveau qui souffle sur l’historiographie religieuse. Seul petit bémol : si les documents d’archives et les photographies d’objets et de peintures abondent au fil des pages, redonnant vie au récit qui y est raconté, il est quelque peu dommage que l’auteure n’ait pas utilisé davantage les sources primaires originales, et somme toute inédites, dont regorgent les Archives des Ursulines. Mis à part le Vieux Récit et certains actes capitulaires, l’auteure use plutôt de travaux déjà publiés, notamment ceux d’Oury et de Roy, pour citer ses sources. Par ailleurs, les photographies auraient gagné à être imprimées sur du papier de meilleure qualité ; la facture du livre ne leur rend définitivement pas hommage. Cela dit, cet ouvrage se révèle être une excellente introduction au patrimoine matériel et immatériel d’une communauté religieuse à l’origine de ce pays. Sans être un ouvrage de référence majeur sur l’histoire des Ursulines, il atteint pleinement son objectif, celui de permettre « à la mémoire du monastère des Ursulines de Québec de pénétrer dans notre mémoire individuelle » (p. 208) et, j’ajouterais, dans notre mémoire collective, afin de préserver un passé garant d’avenir.