Comptes rendus

Laporte, Gilles, Brève histoire des patriotes (Québec, Septentrion, 2015), 361 p.[Record]

  • Yvan Lamonde

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  • Yvan Lamonde
    Professeur émérite, Université McGill

Cette brève histoire des patriotes est une mise en récit, par l’héritier on ne peut plus pro-actif de Jean-Paul Bernard, de la somme de connaissances présentée géographiquement et régionalement dans son ouvrage Patriotes et Loyaux. Leadership régional et mobilisation politique en 1837 et 1838 (2004). En bonne partie, la force du présent ouvrage réside dans la reconnaissance d’une mobilisation politique singulièrement plus large que celle à laquelle l’historiographie a habitué historiens et lecteurs d’histoire. Gilles Laporte a ainsi tiré 16 portraits régionaux et repris une cinquantaine de courtes biographies des acteurs présentées dans des encarts au fil du récit. Les travaux de Laporte sur l’extension géographique du mouvement patriote ont permis, par exemple, de voir plus concrètement la toile organisationnelle des Comités permanents, de comtés et de correspondance. L’idée d’utiliser le terme « patriote » pour inclure les citoyens qui depuis 1791 promeuvent des institutions démocratiques a l’intérêt de faire voir la profondeur historique du mouvement ; elle a ses limites quand on voit affirmer leur réclamation d’une « éducation gratuite et obligatoire » (p. 11) avec la loi de 1829 dont Jean-Pierre Proulx a fait voir toutes les nuances. L’auteur établit enfin clairement la différence entre la radicalité du projet indépendantiste de la résistance de 1837 au Bas-Canada et celle de l’insurrection de 1838 à partir des États orientaux des États-Unis menée par les patriotes en exil. Il précise avec raison que les patriotes ne cherchent pas le gouvernement responsable au sens de La Fontaine, mais le gouvernement responsable devant lui seul, c’est-à-dire émancipé, souverain. Après J.-P. Bernard, Laporte continue de faire place aux Loyaux anglophones et probritanniques. Encore une fois, l’approche territoriale fait voir que l’intensité de la mobilisation politique patriote est souvent proportionnelle à celle des Loyaux ; le constat vaut pour le sud-ouest et le nord de Montréal, et même pour la vallée du Richelieu avec la fonction douanière de Saint-Jean et celle, militaire, de Sorel. Une éventuelle réédition devrait inclure une dimension méconnue, la radicalité des Loyaux anglo-montréalais de la Constitutional Association et du Montreal Herald étudiée par François Deschamps. Le loyalisme radical de ce groupe illustre à souhait la variété et l’ampleur des positionnements anglophones et, sans tomber dans la théorie du complot, il nourrit l’explication de la « résistance » de 1837. Cette brève synthèse met bien à plat l’ensemble des événements, des acteurs et des variables de compréhension de 1837 et de 1838 ; en cela, elle atteint son objectif. Et on comprend que l’ambition n’était pas d’abord d’expliquer les tenants et aboutissants de cette période. Laporte indique bien par ailleurs (p. 300) que pour lui, les événements de 1837 et de 1838 relèvent successivement et cumulativement de la lutte sociale, de la crise politique et de l’affrontement ethnique. On se met à rêver d’un ouvrage explicatif de 1837 et de 1838, d’un livre qui identifie et développe les causes de l’éclatement et de l’escalade des événements et des « échecs » des deux moments. Gilles Laporte fournit certes des paramètres de l’escalade : assemblées populaires dont celle des Six-Comtés qui ne peut aboutir en une Convention, affrontement du Doric Club et des Fils de la Liberté, émission de mandats d’arrestation, escarmouche de Longueuil, arrivée de renforts militaires. Il recense aussi des explications possibles aux « échecs » : en 1837, dérapage des organisations patriotes, attitude de Papineau, désorganisation des radicaux, stratégie des loyaux de pousser au soulèvement ; en 1838, hésitations de Frères Chasseurs à répondre à l’appel, manque de conviction de citoyens annexés au mouvement par la peur, écart profond des forces entre les patriotes et l’armée britannique qui …