Comptes rendus

Bélanger, Réal, Henri Bourassa. Le fascinant destin d’un homme libre (1868-1914) (Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2013), 552 p.[Record]

  • Damien-Claude Bélanger

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  • Damien-Claude Bélanger
    Département d’histoire, Université d’Ottawa

En 2004, dans les pages de la revue Mens, l’historien Pierre Trépanier s’émerveillait devant « la luxuriance des études groulxiennes ». En effet, au tournant du millénaire, la vie et l’oeuvre de Lionel Groulx suscitèrent un vif intérêt chez plusieurs historiens et firent l’objet de nombreux mémoires, thèses et monographies. Cet engouement n’était pas étranger au contexte post-référendaire, où les questionnements entourant l’avenir et, surtout, la nature du mouvement souverainiste ont amené plusieurs historiens à se pencher sur le personnage marquant que fut l’abbé Groulx. Déjà, en 1992, la polémique entourant Le traître et le juif d’Esther Delisle avait lié la figure de l’abbé aux controverses entourant le souverainisme. Le boom des études groulxiennes a permis de mieux comprendre le Canada français de l’entre-deux-guerres et a contribué à l’essor de l’histoire intellectuelle au Québec. Mais il a vraisemblablement aussi eu ses mauvais côtés. Par exemple, ce boom a peut-être amené certains chercheurs à surestimer l’importance et l’originalité du groulxisme. Par ailleurs, alors que les études sur l’abbé Groulx se multipliaient, l’autre grande figure du nationalisme canadien-français, Henri Bourassa, paraissait plutôt susciter l’ennui chez les chercheurs. Fédéraliste avant la lettre et loyaliste sous certains égards, Bourassa avait tout pour ennuyer, semble-t-il. Pourtant incontournable sur le plan politique et intellectuel – l’homme a fait l’objet de plusieurs études en langue anglaise dans les années 1960 et d’une biographie signée Robert Rumilly en 1953 – les historiens québécois l’ont néanmoins boudé pendant des décennies. Heureusement, cette tendance semble se renverser, notamment grâce à l’excellente biographie de Réal Bélanger. Destiné au grand public, l’ouvrage porte sur la jeunesse et l’ascension de l’homme politique et intellectuel et couvre les années 1868 à 1914. Un deuxième volume se penchera éventuellement sur la seconde phase de sa vie. Notons d’emblée que l’appareil savant de cette biographie est plutôt mince. L’auteur discute de ses sources dans une assez longue note bibliographique, mais le recours aux notes de bas de page n’est pas systématique. Pourtant, Bélanger a effectué des recherches archivistiques approfondies. Il a scruté les fonds Bourassa à Ottawa et à Montréal et s’est entretenu à de nombreuses reprises avec Anne Bourassa, la fille de l’homme politique et pendant longtemps la gardienne de sa mémoire. Les recherches que Bélanger avait effectuées auparavant sur Paul-Émile Lamarche et sur Wilfrid Laurier ont également contribué à enrichir son récit bourassien. La biographie repose en bonne partie sur cette recherche en archives, ainsi que sur un important dépouillement des journaux québécois de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. L’auteur dialogue avec l’historiographie bourassienne, notamment avec Rumilly, qu’il corrige à plusieurs occasions, mais la biographie ne contient pas de chapitre historiographique, ce qui est un peu malheureux, parce que les travaux portant sur Bourassa s’inscrivent souvent dans un contexte intellectuel intéressant. Songeons notamment aux travaux en langue anglaise qui concourent, dans les années 1960, à un questionnement plus large sur « What does Quebec want ? ». Le récit de Bélanger est minutieux, parfois un peu trop. Ses temps forts ne surprendront pas les historiens du Québec et du Canada français : l’entrée au Parlement, la guerre des Boers, la crise des écoles du Nord-Ouest, le discours de Notre-Dame, la Loi navale, l’élection de 1911, le Règlement XVII, le déclenchement de la Première Guerre mondiale. L’auteur se penche longuement sur l’indépendance d’esprit du jeune Bourassa. Cet esprit est fortement ancré dans sa pensée, mais elle reflète également sa situation financière, que Bélanger scrute avec intérêt. Il conclut que Bourassa, « sans être riche », dispose toutefois, « le plus souvent, de l’argent qu’il faut pour assumer …