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Consultant en histoire et patrimoine, Jean-Pierre Sawaya s’intéresse à la culture politique et aux traditions diplomatiques des Amérindiens du Québec. Dans Au nom de la loi, je vous arrête !, l’auteur présente le fruit de ses recherches sur la police en milieu autochtone au Québec entre 1880 et 1920. La plupart des études portant sur la participation des Amérindiens au maintien de l’ordre ou à l’administration de la justice dans leur communauté s’intéressent davantage à la période qui suit l’adoption d’une politique sur les services de police des Premières Nations par le gouvernement canadien en 1991. Pensons notamment aux travaux issus du projet Peuples autochtones et Gouvernance dirigés par Pierre Noreau. L’enquête de Sawaya montre que cette participation est beaucoup plus ancienne. En effet, dès la fin du XIXe siècle, des Amérindiens sont employés par la Dominion Police afin de soutenir les conseils de bande et les Affaires indiennes dans l’application de la justice pénale canadienne au sein des communautés autochtones selon les principes, les structures et les pratiques de cette institution. À partir d’un corpus documentaire constitué de sources administratives et juridiques fédérales auxquelles sont greffés des documents tirés d’archives religieuses et privées, l’auteur retrace les formes de cette nouvelle organisation policière et fait ressortir ses actions dans le contexte de la prohibition de l’alcool imposée par la Loi sur les Indiens.
Sous les Régimes français et britannique, l’État colonial légifère à plusieurs reprises pour contrôler le commerce et la consommation de l’alcool en milieu autochtone. Ennemi public numéro un dans les réserves au XIXe siècle, la surconsommation et la dépendance à l’alcool se révèlent la principale cause de la criminalité autochtone. Prohibé depuis l’adoption par le gouvernement fédéral de la Loi sur les Indiens en 1876, l’alcool continue de ravager les communautés. Pour contrer ce fléau, l’État canadien, responsable des Affaires indiennes et chargé d’assurer la sécurité des Autochtones, se dote d’une nouvelle force de l’ordre dans les réserves de la province de Québec. En 1880, les ministères de l’Intérieur et de la Justice mettent au service des Affaires indiennes les ressources légales et matérielles dont jouit la Dominion Police, un service de sécurité et de renseignements armé chargé de la protection de l’est du Canada. L’institution doit imposer les ordres du gouvernement, renforcer les statuts fédéraux et intervenir dans la lutte de l’État contre l’usage et la vente d’alcool en milieu autochtone (chap. 1).
Composée majoritairement d’Amérindiens, cette nouvelle force policière permet aussi aux autorités d’initier les populations autochtones aux institutions judiciaires canadiennes, à leurs acteurs ainsi qu’aux normes sociétales en vigueur chez les non-Autochtones. L’auteur montre qu’en dépit de ce dessein théorique, des considérations pratiques guident tout autant cette politique des autorités fédérales. L’emploi de constables locaux est valorisé pour réduire les coûts d’opération, les candidats possédant la connaissance des langues amérindiennes, française ou anglaise en usage dans les communautés sont favorisés, des Métis et des Canadiens sont embauchés à défaut de candidats autochtones remplissant les critères physiques (taille, âge, force) et moraux (honnêteté, sobriété et bonne moralité) établis par la Dominion Police. Des 40 constables recensés par l’auteur pour la période de 1880 à 1920, 23 sont amérindiens (chap. 2-3).
Recommandés par les élites locales de leur communauté, un agent des Affaires indiennes ou un missionnaire, les candidats retenus obtiennent leur commission de la Dominion Police après quoi ils prêtent les serments d’office public et d’allégeance à la Couronne. Équipés, armés et portant l’uniforme de la Dominion Police, n’ayant reçu aucune formation spécifique, les constables sont d’abord soumis à une période de probation, puis restent ensuite révocables à la discrétion des Affaires indiennes. Moins bien rémunérés que les policiers canadiens, les constables sont seuls d’office au sein des communautés, ayant souvent pour quartiers le conseil de bande (chap. 3). Chaque constable est chargé d’enquêter, de patrouiller, de mener des arrestations dans le but de protéger la vie et les biens des résidants de sa communauté. Les constables traquent ainsi les contrevenants, tentant avec fort peu de moyens de démanteler les réseaux de contrebande qui approvisionnent les Amérindiens en alcool. Poussés parfois à enquêter à l’extérieur des réserves, ils collaborent avec les services de police fédéral, provinciaux ou municipaux (chap. 4-5).
Difficile est leur métier : charge de travail excessive, risque de blessures lors d’arrestations, menaces de mort, équipements carcéraux déficients, nécessité d’adopter un comportement éthique et déontologique sans quoi leur impartialité est remise en question, réputation mise à rude épreuve par de fausses accusations, exigence de résultats sous peine de perdre leur emploi. L’analyse que l’auteur fait de la mise en place de la Dominion Police en milieu autochtone souligne autant les rouages du système que ses carences. La rétribution insuffisante rend le recrutement difficile, l’incompétence et l’indiscipline de certains constables contribuent à l’instabilité du service quand ce n’est pas la magistrature qui fait défaut pour condamner les prévenus (chap. 6-7). Nul doute que ces écueils concourent au remplacement de la Dominion Police en milieu autochtone par la Gendarmerie royale du Canada en 1920. Il faudra alors patienter jusqu’en 1973 avant qu’un corps de policiers amérindiens ne soit introduit en son sein.
En définitive, l’ouvrage de Sawaya éclaire un objet de recherche inédit en brossant un portrait synthétique de l’intégration du personnel de la Dominion Police dans les communautés autochtones, sans pour autant verser dans les généralisations à l’emporte-pièce ou diminuer le recours systématique aux sources. L’ajout de plusieurs encarts, portraits ou reproductions de documents officiels agrémente la lecture de l’ouvrage et appuie la démonstration de l’auteur, malgré l’effet de répétition parfois provoqué. Au terme de l’ouvrage, la curiosité du lecteur reste toutefois entière sur plus d’un tableau. Conscient du travail qu’aurait exigé l’étude de cette organisation policière sous d’autres registres que celui de la lutte contre la vente et la consommation d’alcool, le lecteur peut s’interroger sur les autres raisons motivant la présence de cette police au sein des communautés ainsi que sur les actions préventives ou répressives qui en découlaient. En tournant le regard vers les 40 constables concernés, il peut déplorer – avec l’auteur sans doute – le manque de témoignages qui auraient permis de suivre de plus près leur itinéraire respectif. À la décharge de l’auteur, les figures du Métis canado-iroquois Moïse Lefort, de l’Abénaquis Louis Watso ou encore du Huron Louis-Philippe-Ormond Picard sont parfois placées à l’avant-scène. L’analyse des rapports interculturels entre les résidants autochtones et leurs constables d’origine autochtone, métisse ou canadienne aurait pu fournir aussi une autre vision de ces constables que celle du rapport police/policés examiné par l’auteur. Voilà quelques avenues de recherche que suscite la lecture de cet ouvrage qui constitue désormais une solide pierre d’assise pour la poursuite des travaux dans ce nouveau champ de l’historiographie des Amérindiens du Québec.