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Pour le premier ministre, Stephen Harper, le bicentenaire de la guerre de 1812 entre les États-Unis et les colonies britanniques d’Amérique du Nord, Haut-Canada, Bas-Canada et les provinces maritimes, constitue un moment privilégié pour mousser l’unité canadienne : la guerre de 1812 « a jeté les bases de ce qu’allait devenir le Canada, c’est-à-dire un pays indépendant et libre, uni sous la Couronne et respectueux de sa diversité linguistique et ethnique ». Son ministre James Moore va même plus loin en soutenant que la victoire britannique, lors de la guerre de 1812, a sauvé la langue française au Québec.
Au XIXe siècle, les politiciens canadiens avaient inventé le mythe de la milice : le Canada n’avait pas besoin de maintenir une armée régulière de grande taille pour défendre le pays. Le Canada pouvait compter, comme en 1812, sur une milice locale qui, avec un peu d’entraînement, pourrait repousser toute attaque militaire américaine. Ce mythe, sans fondement réel, permit au pays d’économiser des sommes énormes dans sa politique de défense. En 2012-2013, Harper crée un deuxième mythe de 1812, soit un moment d’union entre francophones, anglophones, Amérindiens et immigrants, tous unis contre un ennemi commun, les États-Unis. Cette vision s’est manifestée dans l’exposition tenue à Ottawa sur la guerre de 1812. Quatre visions y étaient présentées : celles des Britanniques, des Américains, des Amérindiens et des Canadiens. Remarquez ici l’amalgame des Bas-Canadiens et des Haut-Canadiens. On ne peut pas s’empêcher, ici, de noter cet anachronisme.
Bernard Andrès, professeur de Lettres à l’UQAM, a beaucoup écrit et publié sur la littérature québécoise du XVIIe, XVIIIe et du début du XIXe siècle. Il s’est déjà aventuré dans le domaine militaire avec la publication, en 2009, du Journal du Siège de Québec du 10 mai 1759 au 18 septembre 1759. L’auteur profite de la réédition du Journal de guerre de Jacques Viger pour critiquer ouvertement la propagande gouvernementale. Il consacre de nombreuses pages à illustrer toute la politique mémoriale du gouvernement canadien pour utiliser la guerre de 1812 à des fins partisanes. Il soutient : «Nous avons affaire à une campagne idéologique greffée sur une campagne militaire, 1812 permet en 2012 de revivifier la fédération canadienne ». Quoique fort intéressante, cette partie du livre vieillira probablement assez rapidement.
Le Journal de Jacques Viger est-il un journal dans toute son acception ? Même si Viger lui attribue ce titre, on peut s’interroger. Le manuscrit original a été écrit entre le 12 mai et le 15 août 1813. Le Journal est divisé « en trois longues lettres que Viger aimerait envoyer à sa femme (Marguerite de La Corne-Lennox) mais qu’il ne peut expédier que par bribes, en y insérant des plans et des croquis ». Les événements rapportés couvrent la période du 1er avril au 15 août 1813. Viger commente son voyage avec les Voltigeurs Canadiens qui quittent Saint-Philippe pour se rendre en garnison à Kingston dans le Haut-Canada.
Le 15 avril 1812, un mois avant la déclaration de guerre par les États-Unis, Jacques Viger, un des cousins de Louis-Joseph Papineau, s’engage comme officier dans le corps des Voltigeurs Canadiens dirigé par Charles-Michel de Salaberry, un officier britannique originaire du Bas-Canada. Ce régiment de milice est constitué de volontaires qui s’engagent à servir pour la durée de la guerre contre les Américains. Pour Viger, il s’agit d’une promotion rapide dans la milice. En 1809, il obtient le grade d’enseigne dans le Troisième bataillon de milice sédentaire de Montréal. Puis, une commission de lieutenant, le 9 avril 1812, dans le même bataillon. Sa promotion au grade de capitaine se produit seulement six jours plus tard. On peut comprendre cette promotion rapide par les difficultés à recruter des officiers pour les Voltigeurs Canadiens. En avril 1812, Salaberry contacte 21 officiers canadiens-français pour servir avec lui et 12 refusent. Pour sa part, Louis-Joseph Papineau devient capitaine dans le Cinquième bataillon de la milice d’élite et incorporée, en octobre 1812. Ce bataillon est surnommé le Devil’s Own parce qu’on y retrouve de nombreux avocats.
En avril 1813, la compagnie de miliciens de Viger est envoyée à Kingston au Haut-Canada. Il entreprend alors la rédaction d’un carnet des lettres qu’il adresse à son épouse. Viger avait été journaliste pour le journal Le Canadien de 1808 à 1809. Les lettres adressées à sa femme circulent dans un cercle d’amis restreint constituant une oeuvre de correspondant de guerre. Avec raffinement, détails et humour, on y retrouve toute la découverte d’un jeune militaire de 26 ans qui fait face pour la première fois à la vraie guerre. Viger se permet ouvertement de critiquer ce qu’il voit autour de lui : principalement les faiblesses et les problèmes de l’armée britannique et de la milice canadienne.
Dans son introduction au Journal, Andrès nous situe Viger dans les contextes politiques et littéraires de l’époque. On voit l’évolution de Viger, passant de journaliste, à militaire, à collectionneur de documents historiques sans oublier son rôle comme premier maire de Montréal. Andrès traite en profondeur de la langue utilisée par Viger dans son journal. On apprécie le travail qui sous-tend tout le livre.
Andrès nous fait découvrir la complicité entre Jacques Viger et Joseph Mermet. Ce dernier, né en France, la quitte au moment de la Révolution française puis devient lieutenant dans le Régiment des Meurons qui a servi, en Amérique du Nord, avec les troupes britanniques. Mermet et Viger ont eu de nombreuses discussions sur la politique et la vie militaire mais toujours en y mettant une pointe d’humour. Mermet a publié 38 poèmes dans Le Spectateur de Montréal. Mermet est l’auteur du fameux poème « La Victoire du Châteauguay ».
Le Journal de Viger constitue un ouvrage de premier plan pour connaître une réalité historique vécue par les Canadiens français durant la guerre de 1812. L’analyse de Bernard Andrès nourrira certainement des débats intéressants.