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L’histoire nationale à l’école québécoise brosse un portrait relativement exhaustif de l’enseignement de l’histoire, de la Nouvelle-France à nos jours, de l’élémentaire au collégial. L’ouvrage collectif s’inscrit dans le débat actuel sur l’enseignement de l’histoire nationale au Québec et permet de mettre le sujet en perspective tout en montrant les difficultés qu’il y a à enseigner l’histoire, notamment par rapport à la gestion des tensions entre « récit à connaître » et « compréhension historique », qui sont deux approches appelant à une pédagogie différente.
En dépouillant les programmes d’études et les manuels scolaires, les auteurs retracent, en treize chapitres, l’évolution qu’a connue l’enseignement de l’histoire au Québec dans ses finalités, ses méthodes et ses contenus. Bien que la méthode d’analyse des textes utilisée ne soit pas formellement explicitée, le lecteur comprend qu’une thématique a été considérée comme centrale par les auteurs, soit le traitement réservé aux conséquences de la Conquête de 1760 sur les Canadiens. D’entrée de jeu, les auteurs annoncent leurs couleurs par rapport à cette question : « l’une des façons les plus éloquentes de percevoir rapidement le ton donné à un manuel scolaire ou à un guide d’enseignement est d’observer le traitement qui est fait de la Conquête de 1760, l’événement charnière de l’histoire du Canada » (Bouvier, p. 326). Ainsi, ne se contentent-ils pas de rendre compte de l’évolution de l’enseignement de l’histoire nationale, mais ils jugent également la valeur du récit historique proposé. Les auteurs soumettent l’hypothèse que d’étudier la manière dont l’événement est présenté donne accès à l’orientation idéologique se cachant derrière chaque programme.
Pour juger de la valeur du contenu historique proposé dans les textes étudiés, la majorité des auteurs s’appuie sur l’interprétation de la Conquête offerte par l’École historique de Montréal, qu’elle oppose à l’École historique de Québec. C’est-à-dire que la Conquête fut une catastrophe pour les Canadiens français. Ils opposent « la lucidité » (p. 347) de « l’école historique de Montréal » à « l’école bonne-ententiste de Québec », laissant notamment entendre qu’une seule école serait « scientifique ». L’usage de cette opposition, datant de plusieurs décennies déjà, a de quoi surprendre le lecteur. En effet, la recherche historique a abondamment démontré depuis que les conséquences de la Conquête se mesurent différemment selon les groupes sociaux, les thèmes et la périodisation choisis, nuançant ainsi les interprétations.
De quelle nation est-il question dans cet ouvrage ? Dès l’introduction, les auteurs précisent que la nation, pour eux, est canadienne-française, et ce, de la Nouvelle-France à nos jours. Ainsi, les débats sur l’évolution et la transformation de la société québécoise dans le temps sont-ils éludés. Les auteurs font le choix de traiter la nation canadienne-française d’hier, d’aujourd’hui et de demain comme un objet immuable et indiscutable. Ce choix est justifié par le fait que ce groupe est toujours majoritaire dans la société contemporaine (p. 414).
L’analyse qu’ils proposent se concentre donc sur les écoles francophones, bien que quelques mots – souvent sévères – soient parfois dits sur le réseau anglophone et qu’un chapitre aborde la question des écoles autochtones. D’ailleurs, ce chapitre de Gabriel Arsenault offre une réflexion intéressante en ouvrant la question nationale à la réalité amérindienne. Le texte ne fait toutefois qu’effleurer la question, faute de données pour l’alimenter.
Le portrait offert de l’enseignement de l’histoire nationale montre qu’au XVIIIe siècle, les classes d’histoire se consacrent surtout à l’enseignement de l’histoire de l’Antiquité et de l’Europe. Puis, avec la montée des nationalismes du XIXe siècle, l’histoire nationale s’implante dans les écoles. Elle privilégie alors une vision « bonne-ententiste » et l’attachement au Canada ou encore, une histoire canadienne-française visant la survivance pieuse et la reproduction sociale d’un ordre largement dominé par les ecclésiastiques (chapitres d’Allard et Aubin). Cette histoire est truffée des hauts faits des héros canadiens-français créés par Lionel Groulx. Larouche brosse ensuite un portrait juste et équilibré de la période de la Révolution tranquille où on souhaite ajouter plus d’objectivité et d’interprétation à l’enseignement de l’histoire nationale. C’est à ce moment qu’émerge au Québec – qui est en retard de quelques décennies par rapport à l’Europe – l’objectif de former à l’esprit critique. À partir des années 1960, les programmes font l’objet de critiques plus acerbes de la part des auteurs, particulièrement de la part de Bouvier. L’irritant réside dans l’introduction de la citoyenneté dans les cours d’histoire, qui est interprétée comme une manière de diminuer l’expérience historique canadienne-française en intégrant des aspects socio-économiques plus importants, en faisant plus de place aux autres groupes sociaux et en focalisant donc moins sur la nation. L’auteur déplore également la diminution de l’histoire politique.
Il aurait été intéressant de rappeler que, de tout temps, l’enseignement de l’histoire à l’école a eu pour objectif de former le citoyen et que c’est plutôt la définition de ce dernier qui a changé au fil du temps. Les sociétés occidentales, dont le Québec, sont passées d’un désir de former un citoyen patriotique au XIXe siècle à un citoyen critique, après la Deuxième Guerre mondiale en Europe et avec la Révolution tranquille au Québec, et enfin à un citoyen critique et ouvert au XXIe siècle. Ces modèles de citoyenneté appellent à des pédagogies et à un rapport à l’histoire différents :
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la citoyenneté patriotique du XIXe siècle est associée à une histoire-récit héroïque que l’élève doit mémoriser et qui a pour but l’acceptation et la reproduction de l’ordre social ;
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la citoyenneté critique du début du XXe siècle est associée à une histoire moins émotive et se détachant lentement du récit politique en intégrant les aspects socio-économiques – l’influence des Annales est ici manifeste. Elle a pour but de former un citoyen capable de s’opposer aux décisions d’un État jugées nocives ;
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la citoyenneté telle que vue de nos jours est associée à une histoire vue comme un processus d’interprétation ayant pour but de former un citoyen capable de générer lui-même des représentations du passé et de demeurer critique vis-à-vis des discours sur le passé qu’on lui soumet.
La conclusion de l’ouvrage ouvre d’ailleurs sur une série de questionnements centraux auxquels on aurait souhaité que le livre réponde, au moins en partie. Par exemple, les auteurs (Larouche et Allard) soulèvent les questions de la prise en compte de la pluralité des mémoires et des identités, de la difficile neutralité de l’enseignement de l’histoire nationale, du rôle incertain de la recherche historique dans l’élaboration des programmes d’histoire, etc.
En somme, malgré ses limites, cet ouvrage permet de comprendre les différentes étapes du développement de l’enseignement de l’histoire au Québec tout en renseignant le lecteur sur la vision de la nation canadienne-française privilégiée dans les programmes et manuels. Il reste maintenant à documenter les efforts des spécialistes de l’enseignement de l’histoire qui ont cherché, depuis plus de 50 ans, à prendre en compte la multitude des expériences historiques québécoises et à mettre l’interprétation historique au coeur de l’apprentissage de l’histoire nationale, malgré des résultats somme toute décevants.