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Après s’être penché, au début des années 2000, sur la carrière politique de l’ancien chef libéral et penseur de la Révolution tranquille Georges-Émile Lapalme (VLB, 2000), premier ouvrage substantiel sur le sujet, Jean-Charles Panneton, politologue et historien, nous fait le plaisir ici d’une nouvelle biographie politique (n’en déplaise à l’auteur, qui préfère plutôt décrire son travail comme un « parcours journalistique et politique » [p. 27]) d’un homme tout aussi méconnu, sinon (volontairement ?) écarté de l’histoire : Pierre Laporte. En constituant lui-même un impressionnant (je pèse mes mots !) corpus rassemblant l’ensemble des textes journalistiques publiés par le principal intéressé sur une période de seize ans ( !), ses interventions à l’Assemblée législative de Québec (journaux des débats de l’Assemblée), diverses archives provenant de fonds de personnages contemporains à Laporte, de même que des entrevues menées avec ses anciens collègues et des membres de sa famille, Panneton s’est assuré d’offrir un travail rigoureux et minutieux à la hauteur d’un grand historien. Le portrait qu’il dresse de Pierre Laporte est à la fois intime, honnête et intègre. Ce parcours professionnel échelonné sur près de trente ans (1944 à 1970) que décrit Panneton permet assez justement de rétablir la mémoire de l’homme, en plus de dévoiler certains pans de notre histoire trop longtemps laissés dans l’ombre.
L’ouvrage de Panneton se divise en six chapitres soigneusement sous-divisés (ce qui facilite d’ailleurs grandement la lecture !) partant de l’enfance de Pierre Laporte et de sa formation scolaire (chapitre 1) jusqu’à son décès et la commémoration de sa mort (chapitre 6). Fait notable, agréable, l’écriture de l’auteur suscite l’intérêt tout au long de l’ouvrage que j’ai dévoré d’un seul trait.
Journaliste fougueux et déterminé, adversaire impitoyable du premier ministre Maurice Duplessis et ministre libéral sous les gouvernements Lesage et Bourassa, Pierre Laporte est un personnage politique et journalistique d’envergure. Panneton rappelle son parcours professionnel depuis ses débuts. Embauché par Le Devoir en 1944 comme chroniqueur universitaire, il y demeure jusqu’en 1961 et devient l’un des tous premiers journalistes d’enquête (chapitre 2). Si cette période de sa carrière est peut-être la plus connue (ou la moins méconnue ?), il n’en demeure pas moins que l’auteur sait en révéler avec détails et preuves les étapes importantes. Promu au poste de courriériste municipal de Montréal en 1946, il gravit rapidement les échelons. En 1947, le nouveau directeur du Devoir, Gérard Filion, le nomme correspondant parlementaire à Québec et directeur de l’information. C’est alors qu’il commence ses premières enquêtes journalistiques. Talentueux, consciencieux et passionné, il devient vite la bête noire du premier ministre et chef de l’Union nationale Maurice Duplessis. Il ne manque notamment pas de critiquer les gouvernements provincial et fédéral lors des événements de la grève d’Asbestos en 1949. Se réclamant d’une éthique journalistique indépendante (bien à sa place au Devoir, on en convient), il sait toutefois reconnaître les bons coups (la loi de l’impôt sur le revenu par exemple). Mais c’est son oeil de faucon à l’affut de la moindre dérive qui agace le gouvernement Duplessis. En 1958, Laporte révèle à la une du quotidien le scandale du gaz naturel qui implique alors plusieurs membres du gouvernement de l’Union nationale, dont Duplessis lui-même, accusés d’avoir spéculé sur la vente du réseau public de gaz naturel à l’entreprise privée. Un événement que l’on considère, encore aujourd’hui, comme un sérieux clou dans le cercueil de l’Union nationale, à la veille des années 1960 et de cette Révolution tranquille qui se prépare en catimini. Il ne fait nul doute pour Panneton que, dans sa carrière de journaliste au Devoir, Laporte, « par ses enquêtes, ses éditoriaux et ses Lettres de Québec, a pratiqué un journalisme de combat, se démarquant singulièrement de celui de ses collègues de la colline parlementaire québécoise ».
Parallèlement à son travail au Devoir, Laporte est nommé en 1954 directeur de L’Action nationale, revue nationaliste fondée en 1917 notamment par l’économiste Esdras Minville et le chanoine Lionel Groulx, poste qu’il occupera officiellement jusqu’en 1963 (chapitre 3). Il y poursuit sa fronde contre le gouvernement de l’Union nationale, en plus de défendre l’idéologie de l’autonomie nationale (en opposition à la centralisation fédérale) qui le met parfois à couteaux tirés avec le père Georges-Henri Lévesque ou le premier ministre fédéral Louis Saint-Laurent. Panneton porte un éclairage fort intéressant sur cette période de la carrière de Pierre Laporte.
Vient ensuite le plus gros morceau : la carrière politique du personnage (chapitres 4 et 5). Pierre Laporte a été député libéral de Chambly de 1961 à 1970. Nommé d’abord ministre des Affaires municipales en 1962 et ministre des Affaires culturelles en 1964 (succédant à Georges-Émile Lapalme) sous le gouvernement de Jean Lesage, puis ministre de l’Immigration, du Travail et de la Main-d’oeuvre en 1970 dans l’administration Bourassa, son parcours politique est riche et varié. Il a également occupé, entre 1966 et 1970, les postes de leader de l’opposition et whip du Parti libéral, en plus d’avoir tenté de devenir chef du même parti (course qu’il perdra aux mains de Robert Bourassa). Panneton retrace avec précision et justesse les événements importants de cette carrière politique (qu’il m’est inutile d’énumérer ici). L’auteur fait la démonstration efficace du rôle qu’a joué sa profession de journaliste, sa rigueur, son intégrité et sa fougue, dans ses fonctions ministérielles.
J’aurais aimé que Panneton souligne un tant soit peu le soutien que Pierre Laporte, en tant que ministre des Affaires municipales, a accordé au Progrès civique de Québec (PCQ) et au maire de Québec, Gilles Lamontagne, dans sa lutte contre la corruption municipale sous l’administration Hamel (contexte de la Commission Sylvestre en 1964), pour l’assainissement des eaux de Québec et la lutte contre les taudis. L’historien à l’Assemblée nationale du Québec Frédéric Lemieux, qui a récemment consacré une biographie au maire Lamontagne (Delbusso, 2010), révèle justement beaucoup plus de détails sur les liens idéologiques entre Laporte et Lamontagne. Il aurait été souhaitable d’avoir ici la perspective de Laporte là-dessus.
Certes, on note enfin le malaise qui transparaît à la toute fin du dernier chapitre lorsque Panneton fait état de la polémique entourant la possible filiation entre Laporte et le monde interlope montréalais avant sa mort, une affaire révélée en 1972 par Jean-Pierre Charbonneau, alors journaliste au Devoir. Laporte sera officiellement blanchi en 1974 dans le rapport rédigé par les commissaires mandatés pour faire la lumière sur cette affaire par le premier ministre Bourassa, mais on comprend que Panneton marche sur des oeufs, surtout que son ouvrage est endossé par la famille du principal intéressé et que les plaies ne sont probablement pas encore totalement guéries. D’autant plus que Charbonneau soutient toujours sa version et n’en démord pas. Il a d’ailleurs reproché à l’auteur de ne pas l’avoir consulté au sujet de cet épisode de la vie de Laporte (bien que Panneton ait consulté les articles de Charbonneau, son autobiographie ainsi que le rapport de l’enquête). Au contraire, selon moi, Panneton n’applique ici aucune censure, ce qui est louable, et parvient à s’élever au-dessus du débat plutôt que de verser dans la chronique.
Double victime tragique des dérives extrémistes du Front de libération du Québec (FLQ) en octobre 1970, il perd d’abord la vie, puis son legs et sa mémoire journalistiques et politiques, emportés par cette douleur collective nationale qui l’a remisé aux oubliettes de l’histoire pour tout exutoire d’un malaise profond et inexplicable. L’ouvrage de Panneton, impeccable biographie politique et travail d’érudition, aura le mérite de restaurer le personnage et de le réhabiliter dans l’histoire politique du Québec. À lire absolument.