Dans Le vert et le bleu. Identité québécoise et identité irlandaise au tournant du XXe siècle, qui s’est illustré en remportant le Prix de l’Assemblée nationale en 2012, l’historien Simon Jolivet se penche sur ce qu’il qualifie de « deux questions irlandaises » du Québec. En conjuguant l’étude de « la persistance du sentiment ethnique irlandais » (l’irlandicité, selon l’expression de l’auteur) dans le Québec du début du XXe siècle, et la résonance qu’a pu avoir au Québec la lutte menée en Irlande pour l’autonomie politique (voire l’indépendance nationale) au cours de la période 1898-1921, Jolivet exerce la profession sur plusieurs terrains : l’histoire de l’immigration, l’histoire irlandaise et l’histoire québécoise. Avec ce que chacun de ces champs de la discipline historique comporte d’exigences particulières et spécifiques. Le double objectif poursuivi par l’auteur, soit, d’une part, d’évaluer l’incidence au Québec de la situation politique irlandaise et, d’autre part, d’évaluer le degré d’« irlandicité » des immigrants irlandais sera circonscrit aux « groupes les plus spécifiquement concernés par le sujet », soit les Irlando-catholiques et les Canadiens français. Selon l’hypothèse avancée, l’état des relations entre ces deux groupes, qui partagent l’expérience historique de la dualité « majoritaire/minoritaire » sur le plan national et de la confession, a joué un rôle déterminant à la fois dans le retentissement des événements politiques irlandais au Québec et dans le degré d’« assimilation » des Irlando-catholiques. Ces deux communautés, de même que les enjeux politiques, culturels et identitaires qui les touchent, sont étudiés à travers l’oeuvre de leurs élites respectives. Le corpus utilisé est composé de plusieurs fonds privés des membres de l’élite irlando-québécoise et canadienne-française, de fonds d’associations sociopolitiques, de même que ceux de la Chambre des Lords, de près d’une quarantaine de revues et journaux publiés au Québec par chacune des deux communautés et, enfin, de discours, résolutions, débats, poèmes et pamphlets originaux publiés. En introduction, l’historien dresse un portrait de l’immigration irlandaise au Québec au XIXe siècle, et propose un bilan de l’historiographie sur la question, précisant que, depuis les années 1980, les chercheurs ont surtout travaillé à exposer les différences entre les expériences irlando-canadiennes et irlando-américaines en utilisant principalement l’exemple ontarien comme modèle de référence. Jolivet reconnaît l’importance du travail de comparaison entre les expériences ontarienne et américaine, cependant il insiste sur l’importance de poursuivre l’exercice de comparaison en remplaçant les Irlandais de l’Ontario par la communauté irlandaise du Québec. Dans son exposé, l’auteur fait appel aux concepts contestés de « diaspora » et « d’assimilation ». Or, en 2005, l’historien Joseph J. Lee (« The Irish Diaspora in the Nineteenth Century », dans L. M. Geary et M. Kelleher, dir., Nineteenth-Century Ireland. A Guide to Recent Research, University College Dublin Press, 2005, p. 186) faisait état de la dimension vague, voire fuyante du concept de diaspora (slippery concept), renvoyant au débat en cours depuis le début des années 2000 à propos de la validité scientifique du concept de diaspora. Sans surprise, aux concepts de diaspora et d’irlandicité se mêle celui d’« assimilation ». Là encore, un cadre théorique aurait aidé à mieux saisir la portée que l’auteur désirait donner à cet autre terme ambigu. Comme la sociologue et politologue Dominique Schnapper nous le rappelle, après 1950 on a distingué l’adoption des traits culturels de la participation aux diverses instances de la vie sociale. En ce sens, lorsque Jolivet avance que le niveau d’assimilation des Irlandais catholiques à la société d’accueil est faible, et que la situation est due à des rapports dont la densité et la régularité avec la majorité canadienne-française sont insuffisantes, …
Jolivet, Simon, Le vert et le bleu. Identité québécoise et identité irlandaise au tournant du XXe siècle (Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2011), 292 p.[Record]
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Julie Guyot
Département de géographie, d’histoire et de science politique, Collège Édouard-Montpetit