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Le titre de ce livre porte à confusion. Couplé en page couverture à une reproduction d’un portrait présumé de Louise de Ramezay, comment, en effet, ne pas s’attendre à ce qu’il consiste en une biographie de cette « femme d’affaires » emblématique de l’historiographie d’une certaine époque (pas si lointaine) qui a vu dans le Régime français un monde de possibilités pour les initiatives féminines ? Le sous-titre « mythe et réalité » contribue à appuyer cette impression. Tout semble nous indiquer que l’auteur entend procéder aux vérifications appropriées pour éclairer et évaluer l’activité économique de Louise de Ramezay, à tout le moins en ce qui a trait à « son » moulin à scie de la rivière des Hurons dans la seigneurie de Chambly. Le lecteur aurait donc entre les mains une biographie à saveur économique de tendance révisionniste. Or, les choses ne sont pas aussi simples.
À la décharge de l’auteur, les méandres de sa démarche apparaissent clairement dès l’introduction. D’entrée de jeu, une tirade bucolique sur les moulins d’antan rappelle les motivations initiales du spécialiste de l’histoire locale et régionale cherchant à documenter ces équipements de la vie économique villageoise préindustrielle. Au gré de sa recherche sur le moulin à scie de la rivière des Hurons au XVIIIe siècle, la rencontre de « personnages célèbres de la Nouvelle-France » a amené Réal Fortin à vouloir vérifier l’« envergure nationale » de cette entreprise et la réussite de Louise de Ramezay à sa tête. Comme il l’écrit lui-même : « C’est ainsi que la simple monographie d’un moulin est peu à peu devenue la biographie d’un personnage unique de notre histoire : Louise de Ramezay ». (p. 12) Malheureusement, le reste de l’ouvrage ne permet pas de conclure que ce changement de cap a été réalisé avec tout le succès escompté.
La structure même du livre fait en sorte que l’on constate rapidement que la nouvelle cible de l’auteur est loin d’être parfaitement atteinte. En fait, les deux premiers chapitres, qui occupent tout de même une bonne vingtaine de pages chacun, portent d’une part sur le moulin sous Claude de Ramezay, gouverneur de Montréal et père de Louise, et, d’autre part, sur ce qu’il en advient sous la direction de la veuve Ramezay, Marie-Charlotte Denys, entre 1724 et 1738. Ce n’est donc qu’à la page 69 – grosso modo vers la moitié du livre – que Louise de Ramezay entre véritablement en scène. Ce déséquilibre dans ce qui est censé constituer sa biographie se prolonge entre les deux chapitres qui lui sont effectivement consacrés : 80 pages dans un cas contre moins de 10 dans l’autre !
Au-delà de ces dosages discutables qui illustrent l’ambivalence du sujet, le problème fondamental de ce livre tient à son allure de chronique qui se déploie au fil des documents. Car, s’il est important de signaler l’indiscutable recherche de fond sur laquelle repose le propos, il n’en demeure pas moins que la simple et stricte succession chronologique de documents, notamment d’actes d’entente et de société et leurs suites très souvent judiciaires, ne saurait constituer une trame narrative suffisante pour répondre à des questionnements précis. Si une certaine histoire locale peut recourir sans coups férir à ce procédé qui risque toujours de sombrer dans l’anecdotique, la véritable enquête historique doit se situer à un autre niveau que l’on cherche en vain ici. Tant Louise de Ramezay que son moulin sont suivis sans jamais les voir intégrés à des contextes socio-économiques globaux (sauf la conjoncture militaire) et leur traitement ne semble redevable à aucun champ historiographique ou conceptuel. À cet égard, certaines références de style psychanalytique et féministe paraissent sortir de nulle part.
Outre les questions générales évoquées en introduction (et auxquelles d’ailleurs on ne répond pas précisément même en conclusion), le lecteur ne trouve pas de lignes directrices lui permettant de bien comprendre une entreprise comme un moulin à scie et l’implication d’une femme de la noblesse coloniale dans son fonctionnement. Les digressions sont monnaie courante, ce qui nous vaut d’être prudemment ramenés à l’ordre par une section intitulée « Pendant ce temps à la rivière des Hurons… » (p. 96, les points de suspension sont de l’auteur). En ajoutant à tout cela des annexes d’intérêt variable mais dont certaines, comme le lieu de résidence de Louise de Ramezay, auraient pu être exploitées directement dans les chapitres pertinents, et une iconographie largement accessoire et parfois carrément fantaisiste comme le « portrait imaginaire de Clément de Sabrevois de Bleury vers 1740 (créé par l’auteur à partir d’un portrait de son fils aîné) » (p. 49), on obtient un résultat plutôt décevant. Ni ceux encore intéressés à l’histoire économique ni ceux plus attirés par une histoire sociale renouvelée des entrepreneurs et des femmes ne trouveront leur compte dans cet ouvrage.