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Joseph François D’Avignon demeure pour la postérité ce patriote de Saint-Jean arrêté avec Pierre-Paul Demaray, puis libéré sur le chemin Chambly lors d’une audacieuse embuscade qui marquait du coup le déclenchement des Rébellions de 1837-1838. Le livre de Jean Lamarre consiste surtout à faire la lumière sur la période suivante, alors que le médecin, désormais établi aux États-Unis, participe entre 1861 et 1865 à la guerre de Sécession aux côtés de l’armée nordiste à titre de chirurgien du 96e régiment de New York.

L’ouvrage est divisé en trois courts chapitres : D’Avignon le Patriote, le Nordiste et, enfin, le héros, tandis que le vétéran revient triomphant au village d’Au Sable Forks, NY, jusqu’à sa mort en 1867 à l’âge de 59 ans. Toute la deuxième partie est consacrée à reproduire la correspondance de D’Avignon avec son fils Eugène demeuré à Montréal. Une correspondance d’ailleurs toute en anglais. Un trait sur lequel ni D’Avignon ni son biographe ne s’expliquent vraiment.

En introduction, l’auteur reprend des éléments déjà développés dans son essai précédent consacré aux Canadiens français et la guerre de Sécession (VLB, 2006), estimant entre 12 000 et 15 000 le nombre d’entre eux ayant participé au conflit.

Pour présenter l’épisode patriote de D’Avignon, l’auteur n’utilise guère qu’une source, l’ouvrage de Rheault et Aubin consacré aux médecins patriotes, dont D’Avignon (Septentrion, 2006). Dès qu’il en sort, l’auteur commet quelques erreurs comme lorsqu’il avance que le parti patriote obtient 480 000 votes en 1834 (dans un Bas-Canada alors peuplé par 560 000 habitants !), qu’il inverse le dépôt des 92 Résolutions en février 1834 et la tenue des élections à l’automne suivant, qu’il évoque une bataille à Napierville, qu’il situe au 9 novembre 1838, plutôt qu’au 3, le début de l’offensive des Frères chasseurs, que Durham « rentre directement en Angleterre », alors qu’il transite plusieurs semaines aux États-Unis ou qu’il considère que la loi martiale du 5 décembre « n’empêche pas la tenue de nouvelles assemblées partisanes et de manifestations à Montréal », ce qui est difficile à concevoir quand on sait combien le district tout entier est alors plongé dans la répression. La période patriote de D’Avignon souffre aussi de certaines lacunes. On voudrait en savoir plus sur la mobilisation dans le comté de Rouville où vit D’Avignon, de même que sur l’affaire du pont Jones, le 10 novembre 1837, qui aurait causé son arrestation. On n’y apprend pas même où ni auprès de qui D’Avignon a fait l’apprentissage de la médecine.

Le récit de l’épisode nordiste s’appuie sur les lettres écrites par D’Avignon entre 1862 et 1867. On mentionne donc peu de choses sur les décennies 1840 et 1850 pour lesquelles l’auteur s’en tient à quelques prudentes conjectures. La thèse qu’il y développe est à l’effet que l’engagement de D’Avignon, d’abord dans la cause patriote puis dans la cause nordiste, relève du même désir de participer à deux grandes luttes d’émancipation : « Il y voyait une nouvelle occasion d’être au coeur de l’action, de participer à nouveau à un moment unique » (p. 41). L’auteur nous a aussi semblé tirer le meilleur parti de sa source afin d’identifier les autres motivations de D’Avignon : « […] à la fois un égoïsme contenu, un patriotisme croissant, un sens de la famille fluctuant et un pacifisme naissant. » (p. 60) Parmi ces motivations, une « véritable obsession » suivant l’auteur, profiter de sa solde pour rembourser quelques vieilles dettes.

L’ouvrage n’a pas les prétentions d’une véritable biographie. Un tel chantier requerrait l’usage de sources plus étendues et davantage de première main. Il contraindrait aussi l’auteur à faire la lumière sur des périodes demeurées obscures dans la vie de D’Avignon. En revanche, ce livre apparaît plutôt comme un très bel écrin permettant parfaitement d’apprécier et de placer en son juste contexte une série de lettres inédites écrites par un ex-chef patriote alors engagé dans la guerre de Sécession et qui décrit pour son fils les conditions de vie dans l’armée du Potomac. L’ouvrage prend en ce cas pleinement sa place au rang des meilleurs récits de l’exil consécutif aux troubles de 1837-1838. À titre de médecin, membre de l’élite, bilingue, tour à tour chef patriote, puis chirurgien dans l’armée nordiste, D’Avignon bénéficie d’une perspective hors pair pour jeter un regard croisé sur ses deux patries. Cela nous donne d’ailleurs droit à quelques perles, comme quand il ironise sur la façon dont l’Angleterre remercie ultimement les États-Unis d’être demeurés neutres lors des Rébellions de 1837-1838 : en soutenant la sécession des États du Sud vingt-cinq ans plus tard…

It might come to that point sooner than the Canadians are aware. The government of the U.S. in 1837-1838 have put down the Canadian Rebellion with their Neutrality Bill & today England has paid the U.S. in a same coin – has furnished the South with ammunitions of war etc.

Lettre de D’Avignon à son fils Eugène, le 18 septembre 1863