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Dans son premier ouvrage tiré de son mémoire de maîtrise, Josianne Paul nous propose de mieux connaître l’histoire des fils de familles et des faux-sauniers envoyés par lettres de cachet dans la vallée laurentienne entre 1723 et 1749. Le projet est ambitieux, car les sources concernant ces individus sont rares et disparates. Aussi, convient-il de saluer d’emblée l’audace de l’auteure qui parvient, malgré cette difficulté, à dresser un bon portrait de ces acteurs.
La problématique est clairement présentée dès l’introduction. Plus qu’un simple relevé exhaustif des fils de famille et des faux-sauniers, l’objectif est de comprendre comment et pourquoi Maurepas « a utilisé la justice retenue pour mener à bien sa politique coloniale et mettre à profit le système des lettres de cachet pour favoriser l’immigration française vers la Nouvelle-France » (p. 12). Il s’agit aussi d’observer les répercussions de ce système sur la société coloniale (p. 17). Se basant principalement sur la correspondance officielle et quelques listes d’embarquement, l’historienne mène son enquête en adoptant un plan thématique en trois chapitres.
Le premier consiste en une réflexion sur l’influence de Maurepas sur l’immigration forcée. L’auteur y rappelle le contexte et l’arrivée du comte à la tête du ministère de la Marine et des Colonies en 1723. Il souhaite poursuivre la politique coloniale de ses prédécesseurs et favoriser, suivant les préceptes mercantilistes, l’épanouissement des colonies françaises pour mieux servir les intérêts de la France (p. 29-30). Mais, mis à part les fourrures, le Canada n’offrait pas grand-chose à la métropole et les méthodes de peuplement n’avaient pas été très concluantes. Aussi, Maurepas délaissa-t-il le rêve de faire de la Nouvelle-France « une colonie de peuplement idéale pour en faire une colonie productive modèle » (p. 33). Pour atteindre son objectif, il met en place une nouvelle stratégie pour envoyer à peu de frais de nouveaux colons au Canada qui contribueraient au développement et à la diversification économique de la colonie.
Cette stratégie repose sur les lettres de cachet, « instrument de contrôle social » qui permettait au roi d’imposer son arbitraire en matière de justice. Ces lettres répondaient ordinairement « aux besoins des familles qui voulaient éloigner ou interner un de leurs proches portant préjudice à l’honneur familial » (p. 15-16). Maurepas décide d’étendre leur usage. Dès 1720, il les utilise pour envoyer discrètement des prisonniers dans la colonie, et calmer du même souffle l’opinion publique qui s’opposait vigoureusement à la systématisation de l’immigration forcée observée entre 1717 et 1720. La mesure est toutefois abandonnée en 1726 à la suite des plaintes répétées de l’administration coloniale et des autorités religieuses : « les prisonniers n’étaient pas des colons convenables » (p. 49). Maurepas choisit donc de se tourner vers les fils de famille, sujet du second chapitre.
Bien qu’il soit impossible de chiffrer les personnes venues par voie de justice retenue, Josianne Paul identifie 84 fils de familles exilés au Canada entre 1722 et 1749 (p. 70). La question du long processus emprunté par les parents désireux d’obtenir une lettre de cachet pour réprimer un fils déviant est abordée dans ce chapitre, mais c’est la difficile adaptation de ces jeunes hommes une fois transférés au Canada qui constitue la partie la plus intéressante. Puisqu’ils sont issus généralement de l’élite sociale, le rang de ces exilés ne les dispose pas au travail de la terre (p. 53). Privés du soutien de leur réseau social métropolitain et incapables, sauf exception, de trouver une occupation professionnelle ne dérogeant pas à leur condition, plusieurs se retrouvent sans rémunération et deviennent une charge pour la colonie. Finalement, rares sont ceux qui s’établissent au Canada. Quelques-uns désertent ; la plupart parviennent à renverser la décision du roi et finissent par rentrer en France. Maurepas se rend à l’évidence (tardivement s’étonnera le lecteur !) : ces « fils de famille ne constituaient pas le bassin de colons stables qu’il recherchait » pour accomplir son dessein colonial (p. 111). Aussi, dès 1730, son attention se porte-t-elle sur un autre groupe, celui des faux-sauniers.
Exclusion faite des militaires, ces contrebandiers de sel représenteraient 50 % de l’immigration au Canada pour la période étudiée, soit 607 individus (p. 126). L’auteure nous invite, dans son dernier chapitre, à en comprendre les raisons. La situation économique difficile du début du xviiie siècle et la gabelle, taxe impopulaire imposée sur le sel, ont contribué à l’essor du faux-saunage en France. Pour contrer ce fléau et contribuer parallèlement au développement économique et démographique du Canada, Maurepas suggère de privilégier la « peine du Canada », soit l’exil forcé de ces contrebandiers dans la colonie par lettres de cachet.
L’historienne se penche ainsi sur la procédure et les critères de sélection des contrebandiers, évoque le processus de déportation, leur accueil, leur parcours et leur intégration dans la colonie. Sur place, deux choix s’offrent à eux : s’engager dans les troupes ou auprès des habitants. La majorité a préféré la deuxième option. Contrairement aux fils de familles et à ce que laisse entendre l’historiographie, nombre de faux-sauniers s’établissent au Canada, prennent une épouse et deviennent habitants, artisans ou marchands (p. 154). Grâce à une sélection rigoureuse, les envois de faux-sauniers, continus entre 1730 et 1749, ont été un succès ; les buts que s’était fixé Maurepas ont été atteints, « puisque les habitants ont accueilli avec enthousiasme l’arrivée de cette main-d’oeuvre et que plusieurs de ces faux-sauniers se sont établis définitivement dans la colonie » (p. 168).
Exilés au nom du roi s’achève par une excellente synthèse et chronologie des types de colons envoyés au Canada par lettres de cachet, et par une apologie de la politique coloniale menée par Maurepas. Le ministre a-t-il pour autant réussi à accélérer le développement démographique et à favoriser la diversification économique de la colonie ? Bien qu’enthousiaste à l’égard des réalisations de Maurepas – trop peut-être – l’auteure n’offre pas à son lecteur de réponse claire. Elle soulève néanmoins un point intéressant en affirmant que l’utilisation des lettres de cachet à des fins de peuplement constitue les prémisses « d’une nouvelle façon de penser la justice à l’époque moderne » (p. 187). Les spécialistes du droit s’étonneront néanmoins qu’elle puisse être « une mise en application précoce des grands principes qui seront développés par les philosophes qui ont inspiré la déclaration universelle des droits de l’homme ».
Assurément, l’ouvrage de la jeune historienne comblera tous les amateurs d’histoire. Exception faite de quelques coquilles, le texte est bien écrit et dénué de jargons scientifiques. Les illustrations sont pertinentes et renforcent les propos de l’auteure. Les cartes, graphiques et schémas, quoiqu’un peu petits à cause du format poche utilisé, sont bien réalisés. Doté d’une bonne bibliographie et d’une annexe répertoriant les exilés étudiés par l’auteure, l’ouvrage sera utile à l’historien chercheur ou au généalogiste. Un seul regret sur la forme : les notes de bas de pages en fin de chapitre qui cassent le rythme de la lecture.
Conscient que nous avons entre les mains un livre tiré d’une maîtrise et non d’un doctorat, l’historien professionnel sera tout de même un peu critique sur le fond. Quelques points spécifiques pour commencer. D’abord, une étourderie historique concernant le règne d’Henri IV qui n’accède pas au trône au début mais bien à la fin du xvie siècle (p. 37). L’auteure se méprend également en affirmant que les femmes ne pouvaient pas travailler à titre d’engagés (p. 57) ; certains contrats rochelais prouvent le contraire. Ensuite, comme elle traite des exilés dans la vallée laurentienne, il aurait fallu privilégier le vocable « Canada » plutôt que « Nouvelle-France » afin d’éviter toute confusion. Outre ces points de détail, on comprend mal pourquoi les militaires sont exclus des calculs pour évaluer la proportion des exilés au sein de l’immigration (note 12, p. 112). Certes, par définition, les militaires ne sont pas venus au Canada dans un but de peuplement, mais ils ont tout de même représenté plus de 50 % de l’immigration sous le Régime français et ont été encouragés, à plusieurs reprises, à s’établir au pays.
Autre point discutable, celui relevant du salaire des faux-sauniers engagés auprès des habitants. Les autorités le fixent à 100 livres pour éviter que ces contrebandiers négocient des gages plus élevés – ce qu’on a du mal à imaginer étant donné leur statut – et faire d’eux « une main-d’oeuvre accessible pour les habitants de la Nouvelle-France » (p. 156). L’auteure semble ici ignorer ce que représente un telle somme ; cette main-d’oeuvre n’était visiblement pas accessible à tous. Aussi, aurait-il été judicieux de préciser le statut socioprofessionnel des employeurs ou de nuancer le propos. Même chose lorsqu’elle affirme que « le faible fardeau fiscal pesant sur les colons » a été un des facteurs favorisant l’établissement des faux-sauniers (p. 167). Ce fardeau est en fait bien relatif puisqu’il varie selon le capital des individus ; or, tout porte à croire que les faux-sauniers n’étaient pas bien riches.
Plus largement, on aurait souhaité que Josianne Paul situe son travail par rapport aux ouvrages récents sur l’immigration et la colonisation (Carpin, Choquette, Larin, Courville, etc.). En outre, le volet démographique et l’échec des méthodes de peuplement auraient pu être développés (p. 32-33). À ce sujet, les structures économiques de la colonie sont à privilégier et Josianne Paul aurait dû être un peu plus critique à l’égard de ses sources, car la demande de main-d’oeuvre n’a peut être pas été aussi forte que ce que les autorités coloniales ont bien pu laisser entendre. On peut aussi regretter que l’auteure ne se soit pas plus penchée sur l’histoire des faux-sauniers dans la colonie d’autant qu’elle affirme avoir « retrouvé des traces appréciables de leur vie quotidienne » (note 7, p. 169).
Enfin, toute une réflexion sur le concept de politique de peuplement aurait été nécessaire. En ce sens, une politique d’immigration par lettre de cachet ne démontre-t-elle pas justement l’incapacité (ou la mauvaise volonté) de l’État à mettre sur pied une véritable politique de peuplement ? Une mise en perspective du phénomène avec ceux observés dans les autres empires (et notamment britannique) aurait probablement permis à l’historienne de répondre à cette question.
Ses réserves ne doivent toutefois pas ternir la qualité de cette étude ni minimiser son apport dans l’historiographie. Nous avons affaire ici à une belle contribution à l’histoire du peuplement du Canada au xviiie siècle, et à un ouvrage original par l’angle d’approche privilégié par l’auteure.