Les récentes controverses sur le renouvellement des programmes d’histoire au secondaire en ont poussé certains à s’intéresser aux rouages politiques des réformes scolaires. Dans ce contexte, les chercheurs en éducation Gabriel Gosselin et Claude Lessard apportent une importante pièce au dossier en publiant le contenu d’une vingtaine d’entrevues qui décrivent de l’intérieur le fonctionnement des deux principales commissions d’enquête sur l’éducation menées par le gouvernement québécois dans la seconde moitié du xxe siècle, soit la commission Parent (1961-1966) et la commission des États généraux sur l’éducation (1995-1996). La publication de ces entrevues est une importante contribution à l’histoire de l’éducation au Québec et permet une utile comparaison entre ces deux temps forts, qui ont chacun servi de prélude à d’importantes réformes scolaires. La majorité des personnes interrogées furent commissaires à l’une ou l’autre commission. Les entrevues ont été menées en deux temps : les membres de la commission Parent ont été interrogés au milieu des années 1990, et les protagonistes des États généraux, devine-t-on, entre 2002 et 2004. Les responsables du recueil ont aussi eu la bonne idée d’inclure les témoignages d’autres acteurs comme les ministres Paul Gérin-Lajoie et Pauline Marois, ou comme Monique Berthelot qui coordonnait les services de recherche de la commission des États généraux. L’ouvrage présente le contenu intégral des entrevues, remaniées sur le plan linguistique mais présentées autrement sous forme « brute », sans coupure ni commentaire. La première partie de l’ouvrage offre les témoignages de Gérin-Lajoie et de cinq membres de la commission Parent, soit Gérard Filion, Jeanne Lapointe, Guy Rocher, Ghislaine Roquet et Arthur Tremblay. Si certains, comme Tremblay et Gérin-Lajoie, s’étaient déjà mis en scène ailleurs, il est heureux d’avoir ici les points de vue rétrospectifs de personnalités plus discrètes comme Lapointe ou Roquet. Les anciens commissaires évoquent le rôle pédagogique de la commission, dont on attendait qu’elle précise mais aussi qu’elle fasse accepter le projet controversé d’un réseau public intégré en éducation. Ils décrivent la dynamique interne de la commission, insistant sur le fait que les commissaires faisaient tout eux-mêmes, lisaient tous les documents et rédigeaient tous les rapports, sans rémunération – une expérience très différente de ce que connaîtra ensuite Lapointe à la commission d’enquête fédérale sur la condition féminine ! Lapointe et Rocher soulignent aussi le rôle des commissaires anglophones dans la promotion des idéaux de la pédagogie moderne. On apprend que des personnages négligés par l’historiographie, comme Jeanne Lapointe, ont été plutôt influents et que la majorité des commissaires regrette aujourd’hui la réunion des formations générale et professionnelle dans de grandes polyvalentes. On aurait pu craindre que le parallèle établi par l’ouvrage entre la commission Parent et celle des États généraux ne serve de prétexte à une certaine mythique de la continuité entre les deux époques, un tic courant en sciences de l’éducation où l’on se réclame souvent du rapport Parent pour justifier des tangentes qui lui sont en fait ultérieures et surtout étrangères. Les entrevues, cependant, ne s’engagent pas dans cette voie. Au contraire, elles mettent à mal cette hypothèse de la continuité tant elles rendent évidentes les ruptures entre les modes d’opération des commissions et les points de vue des commissaires sur des thèmes comme le statut des savoirs ou le rôle des enseignants. Les membres de la commission Parent critiquent ainsi à peu près tous la manière dont les Facultés des sciences de l’éducation s’acquittent de la formation des enseignants – Lapointe, Rocher et Parent auraient attendu de l’université qu’elle forme « des enseignants cultivés… pour qu’ils ne soient pas esclaves des manuels » (p. 101). De plus, alors que l’interviewer les pousse à se …
GOSSELIN, Gabriel et Claude LESSARD, dir., Les deux principales réformes de l’éducation du Québec moderne. Témoignages de ceux et celles qui les ont initiées (Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2007), 475 p.[Record]
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Julien Prud’homme
Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (CIRST), Université du Québec à Montréal