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Cette nouvelle publication des médecins Benoît Gaumer et Georges Desrosiers offre « une histoire organisationnelle de l’enseignement et de la recherche en santé publique à l’Université de Montréal autour de sa Faculté de médecine » (p. 14). Pas moins, pas plus : on n’y traite donc pas du contexte général de la santé publique, ni de son enseignement dans d’autres universités québécoises ou même d’autres unités de l’Université de Montréal, comme la Faculté des sciences infirmières. On n’y décrit guère, non plus, le contenu de l’enseignement ou de la recherche, le texte s’en tenant à l’histoire proprement administrative des quelques unités actives en santé publique dans l’entourage de la Faculté de médecine. Sur ce sujet très précis, l’ouvrage se montre toutefois complet et détaillé, représentant le point culminant de plus de vingt ans de recherche des auteurs, dont le texte reprend d’ailleurs de larges pans d’articles parus antérieurement. L’ouvrage se divise en neuf chapitres, qu’on peut regrou--per en trois sections distinctes.
Les deux premiers chapitres suivent la trace des programmes d’hygiène publique à l’Université de Montréal avant 1970. Bien que la future faculté de médecine ait donné des cours d’hygiène dès 1874, le chapitre 1 s’ouvre plutôt, un peu abruptement, sur la création, en 1911, d’un premier programme formel en « hygiène appliquée ». Ce programme, pourvu d’un enseignant à temps plein en 1917, ne forme qu’un nombre limité de médecins, mais sert de tremplin à l’ouverture, en 1925, d’une École d’infirmières hygiénistes à la postérité plus conséquente. Comme il est décrit au chapitre 2, le véritable envol de l’enseignement médical de la santé publique survient à la fin de la Seconde Guerre mondiale avec la création, sous l’impulsion d’Armand Frappier, de l’École d’hygiène de l’Université de Montréal, alors indépendante de la Faculté de médecine. Chargée de former le personnel des services sanitaires provinciaux et municipaux, l’École assure l’enseignement d’une variété de programmes dont plusieurs ne sont pas destinés aux médecins, notamment des infirmières et des dentistes, ce qui témoigne du projet de ses dirigeants « d’assurer la formation de toute “l’équipe de santé publique” » (p. 31). Ce rôle intégrateur prend cependant fin en 1970, alors que les recommandations de la Commission Castonguay-Nepveu entraînent la dissolution de l’École et l’incorporation de ses principales composantes à la Faculté de médecine, à qui est désormais attribué le mandat d’enseigner l’approche « globale » de la santé qui faisait la spécificité de l’hygiène publique.
Les chapitres 3, 4 et 5 décrivent le sort des différents départements de l’École ainsi avalés par la Faculté, parfois en reprenant leur parcours du début. Le chapitre 3 décrit ainsi l’émergence à l’École, dans les années 1950, d’un premier enseignement universitaire en administration hospitalière, dont le contrôle fait alors l’objet d’une rivalité entre les représentants de l’École et des membres du clergé catholique. Le chapitre 4, pour sa part, montre la naissance au sein de l’École d’un département d’« hygiène des milieux » dont le premier directeur est un ingénieur et qui, entre 1950 et 1965, assure principalement la formation d’inspecteurs sanitaires. Transformées respectivement en départements d’administration de la santé et de santé environnementale/santé au travail après leur intégration à la Faculté de médecine, ces unités y développent rapidement des équipes professorales plus importantes et orientées vers la recherche. Enfin, le chapitre 5 montre en quoi le volet épidémiologique de la défunte École d’hygiène est, à terme, pris en charge par un nouveau département de médecine sociale et préventive, créé administrativement par la Faculté dès 1965 sous la pression d’organismes accréditeurs mais qui demeure une coquille vide jusqu’en 1973. Consacré aussi à la médecine familiale, ce département rehausse son enseignement en santé publique en 1976 pour répondre aux demandes de l’État provincial qui en est alors à mettre sur pied son nouveau réseau de départements de santé communautaire. Dans les années 1980, le département, comme les autres, s’engage dans le développement accéléré de la recherche dans un contexte où des compressions au budget des universités donnent un poids inédit aux organismes subventionnaires publics qui, eux, sont en pleine expansion.
Les chapitres 6 à 9 évoquent les efforts récents d’enseignants et chercheurs en santé publique pour se doter, sur une base dite interdisciplinaire, d’un espace institué pour leur secteur désormais écartelé entre plusieurs départements. Le chapitre 6 décrit la naissance, après 1974, d’équipes de recherche jusqu’à la création, en 1985, du Groupe de recherche interdisciplinaire en santé qui fédère encore aujourd’hui une large part des recherches appliquées sur l’organisation des soins au Québec. Le chapitre 7 relate la création, en 1978, d’un programme de doctorat en santé publique chapeauté conjointement par les trois départements évoqués plus tôt, tandis que le chapitre 8 décrit le démarrage, en 1986, d’une unité consacrée à la coopération internationale. Finalement, le chapitre 9 énumère les tentatives, souvent moins heureuses, de doter les anciens départements de l’École d’hygiène d’une existence administrative commune, un projet qui culmine dans la création d’un vice-décanat en 1995, puis dans le projet d’une école ou d’un institut autonome en santé publique, une option rejetée par la Faculté de médecine jusqu’en 2003, mais dont une version atténuée semble désormais sur les rails.
Bien que l’ouvrage de Gaumer et Desrosiers comporte certains apports originaux, par exemple en ce qui concerne la création d’un enseignement en administration hospitalière, son intérêt pour l’historien reste difficile à évaluer, et ce, pour deux raisons. D’une part, plusieurs éléments parmi les plus importants du livre sont en fait la reprise de publications antérieures dont certaines ne sont plus toutes jeunes ; c’est le cas, notamment, de l’histoire de l’École d’hygiène. D’autre part, les auteurs se livrent la plupart du temps à une chronologie de balises administratives (noms des directeurs, intitulés de programmes, etc.) qui nourrit mal l’analyse : autant on en apprend somme toute peu sur la dynamique interne au secteur de la santé publique, autant ces chronologies offrent peu d’ouvertures sur des thèmes plus larges comme l’histoire de la médecine ou de l’université. À cet égard, le sous-titre de l’ouvrage qui présente son objet comme l’« exemple » de phénomènes plus amples ne doit pas être pris au pied de la lettre.
À cela s’ajoutent de réels problèmes d’écriture. La structure du texte est parfois si déficiente, et ses principaux fils conducteurs si peu mis en valeur, qu’il faut un effort soutenu pour en reconstituer la pleine cohérence. Un travail d’édition plus appuyé aurait sans doute atténué cet inconvénient, en plus d’éliminer les ambiguïtés syntaxiques qui brouillent régulièrement l’écriture. Malgré ses faiblesses, l’ouvrage de Gaumer et Desrosiers, qui remplit également une fonction commémorative, n’en offrira pas moins un outil de référence utile aux chercheurs spécifiquement intéressés aux questions de santé publique ou à l’évolution administrative des unités de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal.