Réglons en trois mots le cas du livre de Sauvé : décousu, répétitif, hors champ. Malgré une lecture attentive de l’ouvrage, on ne sait trop où l’auteur veut en venir dans ce texte truffé de jugements à l’emporte-pièce, empêtré dans les dichotomies simplistes et marqué d’une forte perspective téléologique (« Pourtant, en 1774, les assises de l’État du Québec étaient en place… »). Sauvé, un ancien militaire qui se prend pour un nouveau philosophe et qui, sous ce chapeau qui lui sied mal, établit la liste des « principes de base d’un État optimal » (p. 38-39), veut apparemment montrer que le Québec possède non seulement les atouts pour être une nation souveraine, mais qu’il n’en tient qu’à nous, les Franco-Québécois bien sûr, de parvenir à ce stade de notre destin. Le livre recèle des passages troublants : « Lève-toi et marche, Québécoise. Tu n’as perdu aucune guerre. La seule bataille à livrer demeure pour toi celle de l’ignorance et de l’absence de véritable volonté d’agir et d’agir avec envergure. » (p. 109) ; « Ce n’est pas que le Québec n’est pas beau. Il est archi beau parmi les beaux. » (p. 90) ; « […] l’autarcie agro-alimentaire pour tout le Québec, condition sine qua non pour accéder à l’indépendance politique. » (p. 93). Et la quintessence du comble, dont la signification m’échappe encore : « C’est la radicalité, l’ipséité et la sémelfactivité de la réalité. » (p. 101). Une seule opinion possible sur cet ouvrage : mauvais. Et dire que l’auteur annonce, toujours dans la même collection d’une « Histoire à libérer », la publication prochaine d’un autre titre : Le Québec, de la Nation à l’État. Navrant. Si l’on exclut la préface rédigée par un incorrigible railleur qui pique par tic, le livre de Boulanger a plus d’allure. Sauf peut-être en introduction et en conclusion, où il fait dans l’idéologie pure, l’auteur a du respect pour son lecteur. Rien à redire sur le ton du texte, encore que le moralisme qui colle à l’argumentation – les historiens se sont trompés sur la bataille de 1759 ; moi, Boulanger, je vais rétablir la vérité – agace à la longue. Idem pour le petit côté pep talk qui traverse le livre. « Dans l’optique d’une possible indépendance du Québec, écrit l’auteur, il n’est pas inutile de souligner que les mêmes facteurs qui eussent permis une victoire des Franco-Canadiens sur les Anglo-Américains pourraient être encore agissants aujourd’hui et que bien les cerner pourrait nous garantir la sécurité et le succès […] ». Extraite du livre à la page 18, cette citation fonde le propos de Boulanger. En montrant que la bataille des Plaines d’Abraham aurait pu être remportée par les Français-Canadiens, il s’agit pour lui d’inspirer les Québécois d’aujourd’hui dans leur quête d’émancipation. Non, dit implicitement Boulanger aux siens en paraphrasant Sauvé sur ce point, la bataille de notre libération n’est pas perdue. Elle n’est surtout pas objectivement déterminée par la loi du nombre. Notre condition minoritaire ne signifie pas que tout est joué pour nous. « Ce que nous pouvions, nous le pouvons encore. » (p. 143). Que dire de l’ouvrage dans son ensemble ? Essentiellement, il s’agit d’un essai d’histoire contrefactuelle. Pour Boulanger, la victoire anglaise à Québec en 1759 n’aurait pas dû survenir. Cette victoire découle d’erreurs stratégiques majeures dans le camp français. Elle tient également de crises à répétition dans la chaîne de commandement français. Montcalm, en particulier, s’est révélé bien piètre stratège. Si, au lieu de n’en faire qu’à sa tête, le marquis avait suivi les ordres et avis de Vaudreuil, avec qui il était …
Sauvé, J. René Marcel, Le Québec, carrefour des empires (Québec, Éditions du Québécois, coll. « Histoire à libérer », 2007), 123 p.Boulanger, René, La bataille de la mémoire : essai sur l’invasion de la Nouvelle-France en 1759 (Québec, Éditions du Québécois, coll. « Histoire à libérer », 2007), 160 p.[Record]
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Jocelyn Létourneau
Chaire de recherche du Canada en histoire politique, et économie politique du Québec contemporain, Université Laval