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Après avoir publié la correspondance de Louis-Joseph Papineau à son épouse et à ses enfants, Georges Aubin et Renée Blanchet abordent maintenant les missives, mémoires et autres textes destinés à ceux et celles ne lui étant pas apparentés. En consultant une quarantaine de fonds différents provenant de vingt dépôts d’archives, les deux collaborateurs ont réussi la tâche colossale de réunir en deux tomes l’ensemble des lettres, répertoriées à ce jour, que Papineau écrivit à ses adversaires, collègues, amis, clients. Le premier commence par une introduction d’Yvan Lamonde, spécialiste reconnu de l’histoire intellectuelle et culturelle québécoise. Il regroupe également les 223 documents rédigés avant le retour d’exil de Papineau en 1845. Les 163 missives écrites subséquemment, jusqu’à son décès en 1871, forment avec les différents index le deuxième tome des Lettres à divers correspondants.
Le travail de présentation d’Aubin et de Blanchet est excellent. Les brefs commentaires historiques qui parsèment les deux ouvrages offrent des repères chronologiques appropriés qui mettent en lumière le contexte de certaines lettres. De même, les notes judicieusement placées en bas de page fournissent de nombreux éclaircissements pertinents, notamment sur des termes moins connus utilisés par Papineau ainsi que sur les événements et les personnes auxquels ce dernier fait allusion. Ces annotations diverses facilitent grandement la consultation de la correspondance colligée et en améliorent d’autant la compréhension. Par ailleurs, les index, chronologique et nominatif, des lettres reçues par Papineau s’avèrent fort utiles. Aubin et Blanchet y ont identifié les divers fonds d’archives où elles sont conservées facilitant ainsi amplement la tâche aux chercheurs. Cette contribution inestimable mérite d’être soulignée.
Par son introduction, Lamonde apporte une perspective révélatrice du potentiel analytique de la correspondance publiée. Il y met en lumière « ce que ces lettres apportent d’inédit à la compréhension de la pensée politique de Papineau » (I : 13). Le projet d’union de 1822 lui apparaît comme une étape charnière dans le cheminement intellectuel de Papineau. Ce dernier réalise alors qu’il est utopique de croire en l’impartialité du gouvernement londonien et envisage progressivement l’indépendance comme l’avenir incontournable de sa colonie d’Amérique. Les tumultes politiques qui secouent le Bas-Canada jusqu’à l’explosion de 1837-1838 confirment directement ce constat. L’émeute électorale du 21 mai 1832 et l’acquittement des officiers militaires responsables, selon Papineau, de la mort de trois électeurs innocents constituent une autre étape importante qui le convainc de l’impossibilité d’en arriver à un compromis viable avec les bureaucrates qui jouissent du soutien indéfectible du gouvernement londonien. Les 92 résolutions ne sont donc que l’aboutissement d’une réflexion politique amorcée douze années plus tôt.
Les opinions du tribun patriote sur l’avenir de la colonie se radicalisent durant son exil, et ce, malgré les déceptions que Washington et Paris lui réservent. Sa correspondance montre que, réfugié aux États-Unis, il approuve alors le recours à la force puisqu’il recommande de recueillir des fonds pour acheter armes et équipements militaires. À son retour, Papineau est ostracisé par ses anciens alliés mais demeure actif en politique, dénonçant l’Union et le gouvernement responsable cher à ses nouveaux adversaires. Admirateur des institutions américaines, il accueille favorablement le mouvement annexionniste mais l’esclavage et la guerre civile le déçoivent amèrement. Plutôt que de voir sa nation noyée dans la république voisine, il opte finalement pour une fédération continentale où elle devra tenter de survivre. Lamonde termine en déclarant que ce qui isola Papineau « est ce qui le fait notre contemporain en matière de défi » (I : 36).
Le propos de cette introduction est fort élogieux à l’égard de Papineau, s’approchant parfois même de l’hagiographie. Elle joue cependant très bien son rôle en permettant au lecteur d’aborder les volumineux écrits du politicien patriote avec un regard mieux éclairé. Elle procure une synthèse des idées politiques de Papineau et identifie les lignes de force de sa pensée complexe. Il aurait cependant été pertinent d’apporter quelques précisions supplémentaires, notamment en ce qui concerne la distinction entre la démocratie telle que conçue au xixe siècle et la manière dont on l’entend aujourd’hui. En effet, Lamonde discute abondamment des convictions démocratiques de Papineau mais néglige de mentionner que cette « démocratie », dont se réclame si abondamment ce dernier, est fondamentalement masculine. En 1834, Papineau, ses collègues et leurs adversaires se prononcent clairement en faveur de l’abolition du suffrage féminin. Rien n’indique que ses opinions aient changé par la suite. Profondément influencé par les idées politiques de Thomas Jefferson, Louis-Joseph Papineau reste un républicain classique, se méfiant à la fois des excès aristocratiques et populaires. Il déplore en 1854 : « Le pays est dans une phase bien nouvelle. L’élément démocratique y domine soudainement sans aucun contrepoids, à un degré périlleux. » (I : 158).
Finalement, il aurait été préférable d’indiquer à quels travaux Lamonde réfère lorsqu’il soutient que l’historiographie canadienne et québécoise a « tellement lu l’histoire de la première moitié du xixe siècle avec les lunettes interprétatives du Rapport Durham » qu’elle n’a pu comprendre le point de vue de Papineau, selon lequel c’est chez la minorité anglophone que l’on retrouve un projet « nationaliste » exclusif (I : 34). Pareil constat semble plutôt expéditif et aurait gagné à être nuancé en regard des travaux d’historiens tels que Jean-Paul Bernard et Allan Greer.
La publication de ces « lettres à divers correspondants » est une contribution exceptionnelle à l’histoire politique québécoise, mais son intérêt ne se limite pas à ce champ d’étude. En effet, la correspondance de Papineau est une source d’informations sur des thèmes variés de l’évolution foncière et architecturale de Montréal à la gestion de la seigneurie de la Petite-Nation en passant par les souvenirs de la vie d’un écolier au séminaire de Québec du tournant du siècle. Il y traite également de la vie sociale des jeunes gens de son époque, de ses fréquentations lors de son exil, de ses convictions religieuses profondes et d’une foule d’autres sujets qui pourront captiver nombre de lecteurs, historiens ou simples curieux. En ne se confinant pas aux seuls documents à portée directement politique, Aubin et Blanchet ont colligé une masse documentaire impressionnante qui, mise en valeur par un admirable travail de présentation, devient donc une source incontournable pour toute personne s’intéressant de près ou de loin au xixe siècle québécois.