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L’ouvrage de Camille Legendre entend présenter la foresterie québécoise et les diverses transformations qu’elle a connues depuis le début du xxe siècle. Professeur de sociologie à l’Université de Montréal depuis de nombreuses années, l’auteur aborde les divers aspects du travail forestier au Québec à travers les cadres de la socio-économie et de la sociologie des organisations. Des aspects très diversifiés du travail forestier au Québec sont examinés à travers ces grilles théoriques et conceptuelles. En effet, neuf chapitres présentent, de façon distincte, les entrepreneurs forestiers, les travailleurs en forêt, le régime contractuel de l’exploitation forestière, la rémunération de la main-d’oeuvre forestière, la syndicalisation et l’innovation technologique des entreprises forestières.

Ce contenu varié se construit autour d’une approche théorique dite « du développement et de l’évolution du capitalisme » (p. xxxi) ; curieusement, elle est présentée en annexe. L’auteur puise de façon importante aux travaux mis en oeuvre par Innis (1930) sur les produits régénérateurs (théorie des staples). Il postule que l’activité économique du Québec a été façonnée autour d’un rôle de pourvoyeur de ressources au service de métropoles tels la Grande-Bretagne et les États-Unis. Cette dynamique freinerait le développement et poserait des limites structurelles, lisibles notamment dans l’organisation et le travail forestiers. Le livre s’organise autour de cette théorie. Bien que ce ne soit pas le seul employé par Legendre, le postulat des produits régénérateurs traverse l’ouvrage et devient le principe directeur des recherches empiriques de l’auteur. Ce faisant, il procède d’un paradigme tout autre que ceux de l’ethnographie ou de la théorie ancrée. Son approche diffère par exemple des recherches récentes sur le développement régional, et des travaux ayant jadis fait école au sujet des transformations du monde rural par la transition vers l’exploitation forestière, comme ceux de Marc-Adélard Tremblay, Gérald Fortin et Louis-Marie Tremblay.

Camille Legendre se penche particulièrement sur le cas des entrepreneurs forestiers entre 1900 et 1960, sujet auquel il consacre trois chapitres de son volume. Le rôle qu’ils ont joué au cours de la première moitié du XXe siècle est analysé comme celui d’acteurs sociaux ne pouvant devenir des moteurs de développement local en raison d’une position mitoyenne. Ils sont ainsi soumis aux contraintes structurales du marché puis aux transformations du travail forestier. Les études de cas réalisées par l’auteur au Saguenay et au Lac-Saint-Jean au cours des années 1970 étayent en partie ce propos, tout en suggérant que ces entrepreneurs bénéficiaient néanmoins d’une certaine reconnaissance sociale. Trois autres chapitres présentent de nouveau la situation de ces entrepreneurs et répètent certains éléments de leur condition. L’analyse s’attarde cette fois à la nature de la relation de travail des entrepreneurs : le contrat, l’organisation du travail et la rémunération. Ces sections sont les plus réussies du volume. En misant davantage sur une approche comparative, elles illustrent les modifications apportées par le virage technologique et économique des années 1960, subordonnées aux visées des grandes entreprises.

Les autres chapitres de l’ouvrage puisent autant à la psychologie sociale qu’à la socio-économie. Dans le chapitre consacré aux travailleurs forestiers, Camille Legendre s’attarde à brosser leurs aspirations et leur implication dans une société en pleine mutation, celle de l’après-Révolution tranquille. La variété des désirs et des perspectives d’avenir y est formulée, quoique classée par catégories d’idéaux-types. Deux chapitres traitent de la syndicalisation des travailleurs forestiers, attribuée en partie à un déterminisme individuel et collectif : elle est présentée comme « une propension » (p. 281). Cependant, la description de la grève de Rouyn met aussi en lumière l’influence du contexte socio-économique lors de l’apparition du mouvement syndical en forêt.

Cet ouvrage représente la somme des recherches accomplies par Camille Legendre sur le travail forestier québécois. À cet égard, le volume mérite un certain respect, d’autant plus que M. Legendre semble avoir poursuivi ses recherches avec un engagement personnel remarquable. Cependant, le titre du livre donne une fausse piste sur son contenu réel. L’ouvrage annonce une analyse des transformations de l’organisation du travail forestier et de ses impacts sur les différents acteurs concernés. Or, cet objectif n’est que partiellement atteint. La présente publication rassemble des articles et rapports déjà publiés au cours des années 1960 et 1970, à partir de résultats datant de la même époque. L’écriture présente ces données comme des faits actuels plutôt que comme des éléments d’une période de transition désormais révolue.

Demeurent alors plusieurs interrogations sur la perpétuation de ce modèle, trente ans plus tard. Pourtant, Legendre se tait sur la période suivant les années 1970, même si plusieurs transformations structurales et techniques sont survenues au cours des dernières années. L’auteur se borne, de temps à autre, à préciser en note de bas de page que cette situation a changé. La perspective sociologique s’allie souvent à un regard diachronique, mais cet ouvrage ne parvient malheureusement pas à comprendre et à décrire l’état du travail forestier québécois à l’orée du xxie siècle.

À cette première limite de la publication il faut ajouter deux autres lacunes majeures : la contextualisation et la méthode. En soi, aborder le travail forestier dans ses dimensions sociologiques est déjà un enjeu de taille, qui exige de bien poser les contextes historique, social, économique, politique, culturel, juridique et écologique, puis de montrer leurs interactions. Cependant, l’auteur escamote cette mise en perspective initiale. Il ne propose pas de vue d’ensemble sur les transformations techniques et organisationnelles ayant traversé la foresterie et le Québec du xxe siècle, ni sous forme de texte ni sous forme de modélisation graphique. Ce livre ne parvient pas à montrer comment le travail forestier s’inscrit dans un cadre plus global de processus et de contextes sociohistoriques. Il devient plutôt un recueil de descriptions de situations de transition du travail forestier dans les années 1960.

Pour sa part, la méthodologie est allusive et n’explique pas les approches qualitatives retenues pour la cueillette et l’analyse des données. Les justifications d’échantillon du corpus sont absentes ou peu convaincantes, par exemple pour les sites, les informateurs et les sources documentaires choisies. Il en va de même des statistiques présentées, dont on ne comprend pas toujours le mode de sélection ni la pertinence par rapport au propos. Plusieurs photos ne sont pas datées, de même que les moments de cueillette de données sur le terrain. Enfin, de façon générale, le niveau de généralisation des résultats n’est pas indiqué, et l’analyse réalisée à partir de données d’échantillon non justifié ne permet pas toujours de tirer des conclusions probantes. Bref, des interrogations demeurent sur l’intérêt de ce livre, et ce, même en le considérant comme un portrait historique d’une transformation vécue au Québec entre 1900 et 1960.

En terminant, je désire cependant rappeler que mon propos vise l’ouvrage de Camille Legendre, et non son travail de chercheur et de professeur. Les pratiques de recherche et d’écriture ont varié depuis les années 1970, moment de réalisation des travaux relatés dans ce livre. L’auteur a su s’y adapter, comme en font foi ses recherches plus récentes sur les changements techno-organisationnels, mais malheureusement Le travailleur forestier québécois ne répond pas suffisamment à ces critères.