Tout semblait avoir été dit sur le voyage de La Capricieuse, ce navire de guerre français qui avait remonté le Saint-Laurent en 1855, événement considéré par la population canadienne-française du Bas-Canada comme le symbole du premier « retour » officiel de la France depuis la Conquête. Évidemment, pour la recherche historique, le dernier mot n’est jamais dit, le renouvellement des problématiques permettant de nouveaux éclairages. C’est le cas avec cet ouvrage qui présente les Actes du colloque tenu à Québec en 2005 pour le 150e anniversaire de la venue de la Corvette, dans le cadre de la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs (Marcel Masse). Après le centenaire célébré à Terre-Neuve (J. M. Huille), c’est une belle occasion pour les historiens québécois et français de soumettre à la réflexion critique cette communauté mémorielle. Les 17 communications se répartissent chronologiquement en trois ensembles d’inégale longueur : les relations entre la France et le Canada pendant l’ensemble de la période considérée ; le voyage de La Capricieuse et son contexte ; l’après 1855. C’est ce que suggère la métaphore de la proue et de la poupe, mais une lecture thématique est aussi possible. Loin d’être une mission voulue par Napoléon III dans le cadre d’une nouvelle stratégie diplomatique concernant l’Amérique du Nord, la venue du vaisseau est une mission commerciale explicable par la conjoncture économique, par la diplomatie européenne et, plus prosaïquement, par l’ennui d’un capitaine de vaisseau qui supporte mal son séjour forcé à Terre-Neuve. Et la carrière de Belvèze, contrairement à ce qui a été souvent affirmé, n’a pas été cassée en raison de sa mission. Avec J. Portes, près de la moitié des textes reviennent sur ces démonstrations, mais on sait qu’un colloque échappe difficilement à la répétition. La conjoncture est celle de l’abolition des Corn Laws (1846) et de l’abrogation des Actes de Navigation (1849-1852). Depuis la Conquête, le Canada est, commercialement aussi, « un pays perdu » et des ports comme La Rochelle, auparavant très actifs, se sont reconvertis dans la pêche morutière (D. Pothon). Les relations commerciales entre la France et le Canada, presque inexistantes avant 1850, semblaient pouvoir se développer avec les mesures de libre-échange, mais ces deux pays resteront au xixe siècle des partenaires marginaux (B. Marnot). Diplomatiquement, depuis la prise du pouvoir par l’anglophile Napoléon III, l’alliance franco-anglaise constitue un des piliers de la politique étrangère de la France, les deux pays se mettant d’accord pour bloquer l’expansion russe en Orient. À l’été 1855, la guerre de Crimée piétine et même si la France a ouvert des agences consulaires au Canada en 1850 (Québec et Sydney) et 1854 (Saint-Jean et Halifax), même si l’Empereur s’intéresse au sort des familles acadiennes, il n’est pas question d’indisposer l’Angleterre. L’Empereur n’a donc aucune visée sur le Canada-Uni, alors qu’en cette année 1855, les souverains s’invitent à Londres en avril puis à Paris en août, en pleine exposition universelle. Le voyage de La Capricieuse est bien provoqué par P.-H. Belvèze, commandant de la Station navale de Terre-Neuve qui souhaite aller au Canada pour concilier le plaisir d’une excursion et l’occasion de développer les échanges commerciaux. Avant d’obtenir l’accord des ministères concernés, il lui faudra beaucoup batailler, car si le ministre de la Marine est vite acquis, celui des Affaires étrangères est très réticent, par crainte d’importuner l’allié anglais. Les instructions qui parviennent à Belvèze lui donnent mission d’accomplir ce qu’il avait proposé, une mission purement commerciale, mais avec quelques précisions : préparer l’ouverture (déjà prévue) du Consulat de France à Montréal et négocier des droits de douane favorables. Il n’y aura donc aucun …
Lamonde, Yvan et Didier Pothon, dir., La Capricieuse (1855) : poupe et proue. Les relationsFrance-Québec (1760-1914) (Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2006), 379 p.[Record]
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Jacques-Guy Petit
Université d’Angers, CERHIO/CNRS et CERPECA