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Au départ, traiter du conflit dans l’amiante en 1949 n’est pas en soi original. Cette grève a déjà fait l’objet de très nombreuses études et analyses et celui d’une consécration mythique avec la parution de l’ouvrage dirigé par Pierre Elliott Trudeau, en 1956.
Or récemment, le conflit de l’amiante fait un retour dans l’historiographie. Esther Delisle et Pierre K. Malouf, dans Le quatuor d’Asbestos, tentent de présenter un regard différent sur l’événement. Ils axent leur présentation sur un aspect moins bien étudié, celui de la lutte pour faire reconnaître les maladies industrielles. Pour réaliser ce projet, ils ont consulté une très abondante documentation. Ils rendent donc disponibles des informations qui, jusqu’ici, étaient peu ou pas connues. Durant plus de 400 pages, les auteurs nous invitent à les suivre dans la reconstitution des débats qui a entouré une question importante dans les années qui suivent la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Delisle et Malouf fondent leur thèse sur le rejet par les élites politiques et religieuses québécoises de l’importance des maladies comme la silicose et l’amiantose chez les mineurs québécois. Ils font du journaliste franco-américain, Burton Ledoux, qui a mené la controverse dans le public, le chef de file des tenants de la reconnaissance des maladies industrielles en butte à l’ineptie des élites québécoises. La lecture de l’ouvrage nous permet de constater les obstacles auxquels Ledoux et ses supporteurs ont fait face. Nous voyons s’exercer les pressions politiques, les interventions du milieu patronal ainsi que les tribulations du clergé québécois, divisé sur cette question.
Le texte est abondamment documenté et présenté de façon originale. Les auteurs nous offrent de longs extraits sinon des textes complets des intervenants qu’ils ont pris soin de présenter brièvement. Nous avons donc l’impression d’être plongés dans les sources et de suivre cette histoire de façon « objective ». C’est sans compter que tout au long des 400 pages, la trame du renouvellement de la convention collective des mineurs est posée : le coeur de ce conflit ne peut être que le refus de reconnaître les maladies industrielles.
Toutefois, l’ouvrage nous laisse perplexe sur la place accordée aux mineurs, quand même les premiers intéressés par les maladies industrielles. Bien que la revendication sur la réduction de la poussière d’amiante figure parmi les premières revendications syndicales, elle disparaît rapidement au profit de revendications plus traditionnelles, dont les salaires. Est-ce à dire que les travailleurs étaient peu intéressés par l’état de leur santé ? Les auteurs nous amènent à croire que les mineurs et leurs dirigeants syndicaux ne semblent pas accorder toute l’attention voulue à cette question.
Tout au long de la lecture, nous retrouvons cette tendance typique à Esther Delisle de se poser en porte-à-faux voire en paria dans la communauté des historiennes et des historiens. Est-ce que ces diverses allusions apportent plus de crédibilité à cet ouvrage ? Certes non. Au mieux provoquent-ils un certain agacement chez le lecteur.
Toutefois, faire de la question de l’amiantose le nouveau paradigme de la grève de l’amiante de 1949 représentait un exercice intéressant, mais voué à l’échec. Le lecteur n’est pas en mesure d’évaluer les autres aspects du conflit, que ce soit la nouvelle option syndicale des catholiques sociaux ou des positions de l’ensemble des organisations syndicales, notamment celles des mineurs.
D’autres paradigmes vont suivre. Le débat interne au sein de l’Église catholique autour de la « réforme de l’entreprise » en sera un. Tout cela ne fera que renforcer le caractère mythique du célèbre conflit. Ce qui fait que l’ouvrage demeure fort instructif sur les débuts de la réflexion autour des maladies industrielles dans le Québec duplessiste et des réactions qu’elle a entraînées mais il ne met pas un terme à la réflexion sur la signification de la grève de l’amiante.