Comptes rendus

Bock, Michel, Quand la nation débordait les frontières. Les minorités françaises dans la pensée de Lionel Groulx (Hurtubise HMH, coll. « Cahiers du Québec - histoire », Montréal, 2004), 452 p.[Record]

  • Joseph Yvon Thériault

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  • Joseph Yvon Thériault
    Chaire de recherche identité et francophonie
    Université d’Ottawa

Le livre de Michel Bock commence par cette phrase de Lionel Groulx écrite en 1935 : « Le fait dominant de la vie française d’Amérique, au cours du siècle dernier, c’est, sans doute, sa dispersion. Le Canada français ne saurait plus se définir comme une expression géographique limitée aux frontières du Québec. » (p. 11) La thèse de Michel Bock, dans ce grand ouvrage sur Lionel Groulx, pourrait être réduite aux conséquences d’une telle affirmation. Groulx advient à la vie intellectuelle dans le demi-siècle qui suit la Confédération canadienne, période qui voit une émigration massive – dispersion – des Canadiens français en dehors de leur implantation historique dans la vallée du Saint-Laurent : vers l’Ontario et l’Ouest canadien, vers la Nouvelle-Angleterre. Assumer ce fait dominant contraint Groulx à opter pour une conception non territoriale, non structurelle et non étatique de la nation. Une large part de son oeuvre consistera d’ailleurs à démontrer comment le Canada français est en continuité historique avec la grande aventure que fut l’Amérique française. La dispersion du fait français en Amérique s’inscrit ainsi dans le destin providentiel de cette petite nation en Amérique, comme d’ailleurs la Confédération canadienne de 1867, destin qui est celui de témoigner partout en Amérique du Nord de la civilisation française et catholique. La fidélité de Groulx aux minorités françaises fut dès lors indéfectible. Il réprimandera George-Étienne Cartier pour ne pas avoir défendu l’école française et catholique, dès le début de la Confédération, dans la question des écoles du Nouveau-Brunswick, en 1871. Il utilisera toutes les tribunes mises à sa disposition pour dénoncer le règlement XVII en Ontario et pour mobiliser l’ensemble de la nation contre cette tentative de bloquer les plans de son expansion providentielle. Dans l’après-guerre, les néo-nationalistes et certains jeunes historiens issus de son sérail, notamment Michel Brunet, annonceront la fin du Canada français et le nécessaire abandon du poids mort qu’étaient devenues les minorités hors frontières. Groulx ne se résoudra toujours pas alors à souscrire à une nation réduite aux frontières de la Province de Québec. Pour Michel Bock, en effet, Groulx ne saurait être le père des souverainistes d’aujourd’hui, car toute sa démarche s’inscrit contre le « provincialisme ». S’il n’est pas aussi enflammé qu’Henri Bourassa dans sa promotion d’un nationalisme canadien c’est que, pour lui, la nation est avant tout une idée spirituelle et le pacte canadien n’a de validité qu’en autant qu’il permet le déploiement de la civilisation canadienne-française. D’où d’ailleurs son flirt avec l’État français d’Amérique, immédiatement après la Première Guerre mondiale, moment où il croit que le Canada est susceptible de s’effondrer face aux forces centrifuges qui proviennent principalement du Canada anglais, moment où il cherche une autre façon politique de réaménager le déploiement de la nation française d’Amérique. Cette thèse est relativement convaincante et on serait porté à adhérer au jugement que portaient les membres du jury lors de la remise du Prix du gouverneur général à l’essai de Michel Bock : « En analysant de façon originale un aspect négligé de la pensée de Lionel Groulx, le jeune auteur réfute solidement l’idée que les minorités doivent être considérées comme un poids mort. » Ce jugement est toutefois trompeur. On pourrait penser, à l’encontre de la thèse de Michel Bock, que le Groulx vieillissant du début des années 1960 n’a pas su bien saisir l’évolution de la société qu’il étudiait. La dispersion du Canada français hors de son foyer historique de la vallée du Saint-Laurent, qu’il annonçait en 1935, serait chose révolue en 1960, la nation s’étant à nouveau repliée géographiquement dans la vallée du Saint-Laurent. Les néo-nationalistes auraient eux mieux saisi …