Comptes rendus

LEMIRE, Maurice, Le mythe de l’Amérique dans l’imaginaire « canadien » (Québec, Éditions Nota bene, 2003), 236 p.[Record]

  • Dominique Marquis

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  • Dominique Marquis
    Département d’histoire
    Université du Québec à Montréal

Maurice Lemire s’intéresse depuis longtemps à l’« imaginaire canadien ». Après avoir abordé la question dans un premier ouvrage, Formation de l’imaginaire littéraire au Québec (1993), il propose ici un recueil de dix textes publiés depuis une vingtaine d’années dans des revues ou des actes de colloque et qui constituent, selon lui, la démonstration de « la manière dont les Canadiens sont parvenus à s’approprier mentalement le continent » (p. 33). Comment les Canadiens ont-ils imaginé leur territoire ? L’imaginaire canadien relève-t-il de l’universel ou du particulier ? De quel imaginaire la littérature canadienne s’est-elle nourrie ? Voilà quelques questions soulevées dans cet ouvrage qui propose un bilan des réflexions de l’auteur sur le sujet. Maurice Lemire cherche la réponse à ses questions dans la tradition orale puis dans la littérature écrite. La tradition orale, plus proche de l’imaginaire populaire, est plus difficile à cerner et a souvent été récupérée, et figée, par la littérature des élites. Le corpus de son analyse est donc principalement formé des oeuvres littéraires des xixe et xxe siècles. L’auteur propose deux mythes fondateurs à la base de l’imaginaire collectif canadien : le mythe de l’Amérique (continent ou États-Unis) et le mythe de la forêt. Cela se traduit chez la population canadienne par un attrait des grands espaces et une volonté de quitter le « ici-maintenant » pour chercher le bonheur dans « l’ailleurs-plus tard ». Bien que ces deux mythes soient très présents dans l’univers mental des Canadiens, Lemire démontre comment les élites ont cherché à contrer cet attrait des grands espaces, à façonner un imaginaire plus proche de leur idéologie. L’auteur établit son cadre théorique dans un premier chapitre où il cherche à « découvrir le lieu où pourrait se situer l’imaginaire québécois par rapport à un imaginaire universel » (p. 36). S’appuyant sur les théories de Bachelard, Jung, Durand et Frye, il convient que l’imaginaire canadien est à la fois universel et particulier, mais que c’est à son aspect particulier qu’il s’intéresse. Le chapitre suivant « Champlain et le nouveau monde » constitue la seule incursion dans les textes du xviie siècle. Son analyse de quelques parties des Oeuvres de Champlain, celles portant sur ses voyages de 1603 à 1607, montre comment le voyageur cartographe ne « débordait pas d’imagination » et s’appliquait plutôt à faire une description de l’environnement physique qu’il découvrait. L’oeuvre de Champlain, malgré son point de vue très technique, aura néanmoins servi à établir les bases à partir desquelles plusieurs imagineront la Nouvelle-France. L’auteur fait par la suite un important saut dans le temps et il est d’ailleurs malheureux que les récits de voyageurs du xviiie siècle n’aient pas fait l’objet d’une analyse. Dans les chapitres 3 et 4, les plus intéressants, Lemire montre comment les élites du xixe siècle, nourries de référents européens par leur formation dans les collèges classiques, estiment d’abord que l’imaginaire canadien ne peut que reproduire l’imaginaire de l’Ancien monde. Ces élites s’aperçoivent cependant que l’univers livresque européen ne correspond pas à la réalité canadienne et elles s’interrogent sur ce qui fait l’originalité du peuple canadien. L’appel des grands espaces, la soif de liberté ne correspondent pas à leur idéal de société et les élites cherchent à détourner le peuple du nomadisme afin de le convaincre de la valeur de la sédentarité. Au xxe siècle, des auteurs comme Léo-Paul Desrosiers, Félix-Antoine Savard ou Germaine Guèvremont utilisent la confrontation entre nomades et sédentaires afin de redonner ses lettres de noblesse à l’appel des grands espaces, mais un décalage s’est installé : le thème n’est plus autant d’actualité …