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L’Histoire du livre et de l’imprimé au Canada, volume 1 : des débuts à 1840 aborde son sujet par le biais d’une quarantaine de courts textes regroupés dans quinze chapitres thématiques à l’intérieur de sept sections qui correspondent aux grands chantiers de recherche dans l’histoire de l’imprimé. Malgré le grand nombre de collaborateurs (plus de cinquante) et la complexité du sujet, la première impression qui se dégage de l’ouvrage est celle d’une grande cohérence dans l’approche des contributeurs tant au niveau du style qu’à celui de l’équilibre entre l’analyse et la description. Chacun des articles explique l’importance de son sujet, touche à la question des sources, aux approches utilisées par les historiens et offre quelques pistes de recherche. Des « cas types », petits textes encadrés qui illustrent le propos d’un chapitre par un exemple tiré soit de l’historiographie, soit directement des sources d’époque, viennent enrichir la réflexion des auteurs. Les directeurs du volume n’ont pas lésiné sur l’illustration, reproduisant des ex-libris de l’époque française, des pages de titres de dictionnaires amérindiens publiés au milieu du xixe siècle et des portraits de lecteurs, parmi tant d’autres images toujours pertinentes. À la fin du livre, la bibliographie des ouvrages cités par les auteurs s’étire sur près de quarante pages et représente une ressource importante pour les chercheurs qui voudront poursuivre les pistes identifiées dans les articles.
D’entrée de jeu, les textes de la première partie du recueil révèlent que l’histoire de l’imprimé est ici considérée dans sa perspective la plus large. Regroupés sous la rubrique « L’Imprimé et le Nouveau Monde », ils touchent aux représentations de l’Amérique et de ses habitants dans les imprimés européens (C. Blais et I. S. McLaren), à la présence des imprimés dans la Nouvelle-France (C. Blais) et aux traditions iconographiques des peuples autochtones (C. Jaenen). Comme « Étude de cas », Gilles Gallichan nous présente la plus importante collection de livres de la Nouvelle-France, celle de la bibliothèque des jésuites. Ces premiers articles montrent tout l’intérêt de l’histoire de l’imprimé et des modes de communication avant 1760, même si aucun atelier d’imprimerie n’a été établi en Nouvelle-France.
Dans la deuxième et la troisième parties du volume, les chapitres regroupés sous les rubriques « L’imprimerie en Amérique du Nord britannique » et « La diffusion du livre et de l’imprimé » explorent les multiples étapes de la production et de la diffusion de l’imprimé dans le Canada d’avant 1840. Dans « Les Chemins de l’innovation », des articles de Jean-Pierre Wallot et John Hare, de Claude Galarneau et Gilles Gallichan et de Patricia Fleming retracent l’implantation des ateliers d’imprimerie dans les diverses sociétés coloniales de l’Amérique du Nord britannique. La section se clôt sur un texte de Sandra Allston et Jessica Bowslaugh qui offre un aperçu quantitatif des métiers de l’imprimerie et du nombre de titres parus au Canada avant 1840. Dans la troisième partie, il est question des réseaux de la mise en marché du livre et des premières bibliothèques. Yvan Lamonde et Andrea Rotundo y décrivent les diverses stratégies adoptées pour commercialiser l’imprimé, analysent les catalogues d’encans de l’époque et traitent de l’émergence des librairies. Dans la même section, le septième chapitre touche aux bibliothèques de collectivités, aux bibliothèques professionnelles et aux bibliothèques parlementaires.
Sous la rubrique « Lecteurs et collectionneurs », les directeurs ont retenu des articles sur l’alphabétisation et les usages de l’écriture dans le Nord-Ouest, sur les ex-libris et sur les bibliothèques personnelles. Cette section paraît moins cohérente que les autres, malgré que certains des textes soient d’une très grande originalité (celui de F. R. Beaulieu sur les ex-libris en Nouvelle-France, par exemple). La cinquième partie du livre porte sur « Les usages de l’imprimé » et regroupe des articles sur « L’imprimé au quotidien » (chapitre 10), « Le livre populaire » (chapitre 11) et « Les imprimés de diverses communautés » (chapitre 12). Cette partie du livre résume des champs de recherche très bien développés au Canada et au Québec, car elle traite des journaux, des almanachs et des manuels scolaires. Le chapitre dix ne contient que deux textes sur les journaux, la forme la plus répandue de l’imprimé dans la société coloniale. Il est bien sûr question des journaux dans d’autres sections de l’ouvrage, mais à l’exception du texte de Gérard Laurence sur le Bas-Canada et de quelques graphiques, nous n’avons pas droit à une vue d’ensemble de l’évolution de la presse coloniale. La place faite au « livre populaire » s’avère plus appropriée : Paul Aubin aborde le livre scolaire dans le contexte de la Nouvelle-France et du Bas-Canada, alors que Sarah Brouillette a repris le même thème pour les colonies anglaises. Le résumé de Raymond Brodeur sur le livre religieux nous paraît un peu mince, mais il réussit à y intégrer toutes les colonies et plusieurs congrégations. Les imprimés parus en langues autochtones, en allemand, en gaélique ou en traduction sont le sujet des articles publiés dans le chapitre douze. Parmi ces textes, celui de Joyce M. Banks révèle l’importante contribution des auteurs et éditeurs qui ont publié des livres de prières en langues autochtones. Selon Banks, leurs efforts auraient « fait une précieuse contribution à la culture des premières nations du Canada » (p. 305). Les directeurs de la collection ont également annexé sous cette rubrique les imprimés spécialisés, soit dans les domaines scientifique, juridique et médical.
La sixième partie du livre consiste en un seul chapitre, « Les imprimés et le pouvoir ». Gilles Gallichan y signe deux excellents textes, le premier sur les publications officielles et le deuxième sur la censure politique. Comme étude de cas, George Parker nous présente la cause de Joseph Howe, poursuivi pour libelle en 1835 à l’instigation des magistrats de la Nouvelle-Écosse. Le chapitre se termine sur un texte de Pierre Hébert qui trace les origines de la censure cléricale au Bas-Canada. Dans la septième et dernière partie du livre les directeurs ont choisi d’abandonner l’optique canadienne pour mieux mettre en lumière les particularités locales de la culture littéraire. Ainsi, cinq articles résument l’état de la culture littéraire avant 1840 dans chacune des colonies. Dans ce survol qui clôt le volume, le Bas-Canada a droit à deux textes : Bernard Andrès dresse un bilan de la culture littéraire francophone et Carol Gerson se penche sur la culture littéraire anglophone.
Dans l’ensemble, ce premier volume de l’Histoire du livre et de l’imprimé au Canada résume très bien l’état de la recherche sur « l’Ancien Régime » canadien. Quand on sait que l’histoire du livre s’est développée par l’étude de l’Ancien Régime français, la richesse de l’historiographie canadienne sur le sujet, et surtout celle de l’historiographie québécoise, ne devraient pas nous surprendre. Nous aurions souhaité que la question de la relation entre l’imprimé et le pouvoir occupe plus de place et nous avons certaines réserves sur la place restreinte faite aux journaux et sur le découpage de certaines parties de l’ouvrage. Les essais de la dernière partie du livre nous portent également à nous interroger sur l’organisation « canadienne » du sujet. Il y a dans ce volume un souci de toucher à toutes les facettes du sujet canadien qui n’est pas toujours bien servi par l’historiographie existante. Cela dit, ce recueil est d’une très grande qualité scientifique et il est voué à devenir un ouvrage de référence incontournable.