La question de la reproduction familiale, au centre des travaux d’histoire comparée pendant la décennie 1990, autour du tandem Gérard Bouchard et Joseph Goy (Transmettre, hériter, succéder, 1992 ; Les exclus de la terre en France et au Québec, 1998), continue d’occuper une partie des historiens ruralistes qui signent divers articles du présent ouvrage ; toutefois, elle ne tient plus la place centrale. La famille constitue toujours le pivot de tous les travaux regroupés dans ces actes, mais plus précisément la famille dans ses activités économiques et ses rapports au marché entre les xviie et xxe siècles. L’ouvrage se présente en cinq parties, regroupant dix-neuf textes : 1) Exploitations familiales et conditions économiques ; 2) À la recherche des logiques de la reproduction familiale ; 3) Arbitrages et tensions ; 4) La question du marché foncier et 5) Migrations et marché du travail. Ces divisions internes plus ou moins artificielles cachent cependant d’autres recoupages que les auteurs de l’introduction ont bien mis en lumière. Pour Béaur, Goy et Dessureault, trois principales voies s’ouvrent à partir des textes rassemblés dans cet ouvrage, trois « chaînes de causalité » émanant de la famille : familles et patrimoine ; familles et marchés ; familles et dynamiques économiques, qui, somme toute, auraient pu constituer les trois pôles de l’ouvrage. La question du processus de transmission de la terre revient à l’avant-plan dans plusieurs textes, essentiellement ceux des historiens français. Parfois de manière assez traditionnelle, à l’échelle locale, comme dans la contribution d’Antoinette Fauve-Chamoux qui aborde le processus de transmission familiale à Esparros dans les Pyrénées, faisant néanmoins des constats éclairants sur des pratiques successorales que l’on croyait connaître. D’autres textes se démarquent par l’utilisation d’échelles d’analyses différentes, nationale ou régionale. Par exemple, les travaux de Gérard Béaur, de Nadine Vivier et de Bernard Derouet, à partir des enquêtes rurales de 1810 et de 1866, ont permis, par une approche macro-analytique, d’esquisser une géographie des modes de transmission du patrimoine et de saisir des différences régionales parfois déroutantes. L’étude de Nadine Vivier sur la Bretagne a révélé une transformation des pratiques successorales imputable davantage à une certaine modernisation et à une influence du marché plutôt qu’au maintien de modes de transmission habituellement considérés comme anciens. Le deuxième pôle, celui du rapport famille-marché, est en bonne partie éclairé grâce aux historiens québécois. Qu’il s’agisse de l’insertion de la famille dans le marché des biens, celui de la consommation, le marché foncier ou encore du crédit, les travaux ont habilement permis de saisir les éléments positifs et négatifs des transformations qui surviennent dans le monde rural du fait du marché, dont l’accroissement de la dépendance économique des familles. Les textes de Sylvie Dépatie, Thomas Wien ou encore de l’équipe de Gilles Paquet, Jean-Pierre Wallot et Jean Lafleur, abordant respectivement le marché de la main-d’oeuvre domestique, celui de la traite des fourrures et le marché foncier dans la région de Montréal, viennent enrichir considérablement notre compréhension des réalités socio-économiques des xviiie et xixe siècles canadiens. Sylvie Dépatie, en scrutant le recensement de 1765, donne un premier portrait des rapports entre la taille de l’exploitation agricole et le recours à une main-d’oeuvre domestique chez une certaine strate de cette population paysanne canadienne économiquement hétérogène. De son côté, Thomas Wien porte son regard sur les liens unissant les deux principaux secteurs de l’activité économique au xviiie siècle : l’agriculture et la traite des fourrures. Dans un texte qui se veut la continuité de celui paru dans Famille et marché en 2003, Wien vient élucider de manière convaincante certains questionnements relatifs au calendrier …
BÉAUR, Gérard, Christian DESSUREAULT et Joseph GOY, dir., Familles, Terre, Marchés. Logiques économiques et stratégies dans les milieux ruraux (xviie-xxe siècles) (Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004), 278 p.[Record]
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Benoît Grenier
Département d’histoire
Université de Montréal