Il y a toujours eu en France un certain nombre de personnes qui ont été partisanes de relations privilégiées avec le Québec. On les désigne souvent par l’expression « lobby québécois » ou « mafia québécoise ». Le but du livre de Comeau et Fournier est de mettre en relief l’action de ce groupe qui a agi comme cheval de Troie du Québec au sein du gouvernement français. Aux fins de cette démonstration, les auteurs utilisent surtout les sources orales, qui sont importantes en histoire contemporaine. Le lobby du Québec à Paris a donc le mérite d’avoir recueilli in extenso le témoignage du diplomate français Bernard Dorin, l’un des acteurs du voyage du général de Gaulle au Québec. À cela s’ajoutent les souvenirs de plusieurs autres témoins, du côté canadien et québécois, cette fois. On pense d’abord à Claude Roquet et Jean-Marc Blondeau, qui ont été diplomates canadiens avant de faire le saut du côté québécois. On pense également à Jean-Marc Léger, ancien directeur de l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT), à Jacques-Yvan Morin, ancien ministre, à Jean Deschamps et Yves Michaud, tous deux ayant occupé le poste de Délégué général du Québec à Paris, ainsi qu’à quelques autres. L’exercice nous permet d’apprendre un certain nombre de choses. On savait que de Gaulle s’était intéressé au Québec dès sa jeunesse. Bernard Dorin nous révèle que cet intérêt s’est manifesté au cours de la Première Guerre mondiale. De Gaulle avait alors été blessé au combat et, profitant de sa convalescence pour se cultiver, il aurait lu sur le Québec. Dans cette perspective, le Général en vient à regretter que la France, contrairement au Portugal, à l’Espagne ou à la Grande-Bretagne, ne se soit pas dédoublée davantage sur le continent américain. D’où une partie de son intérêt pour le Québec. Les témoignages recueillis par les auteurs permettent par ailleurs une compréhension un peu plus détaillée de la perspective du gouvernement fédéral dans cette affaire. En 1965, le Québec et la France signent une entente de coopération culturelle, laquelle sera bientôt chapeautée par une entente franco-canadienne du même type et ouverte à toutes les provinces canadiennes. On apprend que le premier ministre canadien Lester B. Pearson était favorable à cette entente franco-québécoise. Historien de formation, il souhaitait apaiser les revendications du Québec. Ce point de vue n’était toutefois pas partagé par le sous-ministre aux Affaires extérieures, Marcel Cadieux, pas plus que par son adjoint, Allan Gotlieb. À titre de juriste et ayant lui-même flirté avec le nationalisme québécois, Cadieux était particulièrement intransigeant. Au printemps de 1967, il avait notamment annoncé que le Général viendrait au Canada pour « foutre la m… » (p. 56). Gotlieb, quant à lui, craignait que le Québec ne commence à créer des précédents sur la scène internationale, qui lui permettraient de se séparer tout doucement du Canada, à l’instar de ce que ce dernier avait fait avec la Grande-Bretagne. Il est regrettable que les auteurs n’aient pas développé davantage cet aspect de l’histoire, entre autres en ce qui a trait au changement de nature de la représentation québécoise en France qui, après quatre années sous l’appellation « Maison du Québec », devint en 1965 la Délégation générale du Québec en France et obtint presque tous les statuts d’une ambassade. Grâce au témoignage et à l’expertise de Jacques-Yvan Morin, le livre de Comeau et Fournier jette un regard éclairant sur les origines de la doctrine Gérin-Lajoie, selon laquelle les compétences internes du Québec se prolongent sur la scène extérieure. Dès 1937, le conseil privé de Londres avait statué que les provinces étaient responsables de l’application dans leurs champs …
COMEAU, Paul-André et Jean-Pierre FOURNIER, Le lobby du Québec à Paris : les précurseurs du général de Gaulle (Montréal, Québec-Amérique, 2002), 209 p.[Record]
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Frédéric Bastien
Montréal