Parmi les multiples problèmes posés par l’histoire de la condition féminine, celui des relations entre les femmes et la loi demeure l’un des plus controversés. Plusieurs chercheuses ont dénoncé l’injustice faite aux femmes par un système judiciaire conçu pour maintenir l’ordre patriarcal, tandis que d’autres ont souligné l’indulgence des tribunaux à l’endroit du « sexe faible ». La criminologue Sylvie Frigon adopte réso-lument la première interprétation et entreprend de démontrer les liens entre les processus de « victimisation » et de criminalisation des femmes dans le contexte de l’homicide conjugal commis par celles-ci, de 1866 à 2002. En introduction, l’auteure cite les statistiques prouvant que les femmes sont plus exposées que les hommes à être assassinées par leur conjoint, définit sa terminologie (les mots « maricide » et « fémicide » ser-viront à désigner l’homicide conjugal commis respectivement par une femme et par un homme) et expose les résultats des recherches sur le sujet : le fémicide serait un geste d’appropriation, tandis que le maricide est perçu comme une mesure de protection par des femmes qui se considèrent en situation de légitime défense. Le premier chapitre, qui revêt un caractère proprement historique, porte sur le traitement sociopénal des femmes maricides au Canada, de 1866 à 1954, et est basé sur un répertoire disponible aux Archives nationales du Canada : Les condamnés/es à la peine de mort au Canada, 1867-1976. Parmi ces quelque 1500 personnes, l’auteure a repéré 58 femmes, dont 28 qui ont tué leur mari (la dernière en 1954), et 7 qu’on a pendues pour cette raison. De l’analyse de ces 28 dossiers, l’auteure conclut que l’appréciation du caractère moral de l’accusée en tant que femme-épouse-mère semble plus décisive que les preuves objectives dans le dénouement du procès. En vain leurs avocats invoquent-ils la légitime défense ou la défense de provocation due à la violence conjugale. Les définitions légales de ces deux types de défense ne tiennent pas compte des expériences des femmes et n’ont que très peu d’effet sur les décisions finales. L’auteure fait ensuite un bond de 36 années pour aborder les changements majeurs dans la jurisprudence à partir de 1990. Elle s’attarde particulièrement à l’arrêt Lavallee (1990) et à ses conséquences. En acceptant la preuve d’experts sur le syndrome de la femme battue (SFB), la Cour suprême du Canada a jugé que l’appréciation du caractère raisonnable de la réaction d’une femme face à la violence appréhendée devait tenir compte de la réalité des femmes, laquelle peut être différente de celle des hommes. Cette décision devait élargir l’accès au recours à la légitime défense, mais tel n’a pas été le cas. Les femmes battues « maricides » sont incitées à se déclarer coupables d’homicide involontaire plutôt que de plaider la légitime défense dans un procès pour meurtre qui les expose au risque de l’emprisonnement à perpétuité. Le SFB présente également l’inconvénient d’entacher la crédibilité des femmes et d’accréditer l’idée qu’elles ont agi sous l’effet d’une anomalie mentale. Par contre, pour les hommes victimes d’un agresseur réputé violent, l’accès à la légitime défense est moins complexe et ne porte pas atteinte à leur dignité ni à leur crédibilité. Il leur suffit de prouver la propension à la violence de l’agresseur. Contrairement au SFB, cette preuve ne requiert pas d’explication psychiatrique. L’auteure conclut que malgré les acquis de l’arrêt Lavallee, il existe encore un réel double standard en matière de légitime défense. L’auteure tourne ensuite son attention vers l’Examen de la légitime défense de la juge Ratushny chargée en 1995, après la décision Lavallee, d’examiner tous les cas des femmes condamnées pour homicide dans un …
FRIGON, Sylvie, L’homicide conjugal au féminin, d’hier à aujourd’hui (Montréal, Éditions du remue-ménage, 2003), 157 p.[Record]
…more information
Marie-Aimée Cliche
Département d’histoire
Université du Québec à Montréal